Et, les États-Unis de 2011 n'ont plus rien à voir avec les États-Unis de 1944. D'abord, le pays doit désormais faire face à de la véritable concurrence. L'Europe est reconstruite et le Japon aussi. La Chine et l'Inde ont toutes deux tiré profit des délocalisations suicidaires de l'Amérique pour abattre des pans entiers de son économie. Autour, d'autres pays émergents attendent pour en faire autant.
Certes, la part des États-Unis dans le PIB mondial demeure constante aux alentours de 22 %. Mais, la tendance est à la baisse et la qualité de l'économie américaine a diminué. En 1953. le secteur manufacturier représentait 28,3 % du PIB US. En 2009, il ne faisait plus que 11,2 %. En 1976, le secteur industriel comptait pour 19 % de l'emploi aux États-Unis. En 2010, ce pourcentage avait fondu à 10 %. Autrement dit, dans les années 50, le consommateur américain travaillait pour GM et US Steel. En 2010, il bosse à temps partiel chez McDonald's ou il se retrouve à vendre de la pacotille chinoise chez Wal-Mart. D'ailleurs, la Chine vient de ravir aux États-Unis le titre de première puissance manufacturière au monde. Et, Silicon Valley n'a pas pris la relève des industries délocalisées. Certains croient toujours en la Nouvelle Économie et se réjouissent du fait que Facebook soit évaluée à 100 milliards $US. C'est bien là le problème de l'Amérique. Facebook n'est qu'une mode flash qui risque de prendre le même chemin que MySpace.
Google et Twitter ont peut-être fait leur lot de millionnaires ou de milliardaires, mais ailleurs, aux États-Unis, on s'appauvrit lentement mais sûrement. Dans les années 70, 1/5 emploi était rémunéré à moins de 7 000 $US annuellement. Dans les années 80, c'était 6/10 emplois. Heureusement, on a fini par trouver une solution. Dans les années 90, on a commencé à combler l'écart par le crédit. Mais, fin 2010, un Américain sur cinq était sans emploi. Le chômage structurel est évalué à 40 %. Une famille sur neuf ne peut rencontrer le paiement minimum exigé sur sa carte de crédit. Une hypothèque sur huit est en saisie. Un Américain sur huit a besoin de bons alimentaires. Au total, 43,7 millions d'Américains vivent sous le seuil de la pauvreté. Certes, le PIB par habitant est de 46 000 $US, mais il est concentré dans la couche supérieure de 1 % de la population.
Et, les pouvoirs publics sont tout aussi endettés que la population. La dette fédérale touche 100 % du PIB. Le gouvernement central emprunte 40 % des fonds qu'il dépense. Environ 46 % de sa dette est due à l'étranger. Parmi ses grands créanciers, il y a la Chine et le Japon. Mais ces derniers n'achètent pas vraiment les bons du Trésor américain pour des motifs liés à l'investissement. Ils le font en grande partie dans le cadre de programmes d'assouplissement quantitatif destinés à empêcher leur monnaie de trop gonfler face au dollar. D'autres pays émergents impriment de la monnaie pour acheter eux aussi des dollars US. Ils espèrent par là s'immuniser contre les griffes du FMI. Lors de la crise asiatique, ils avaient en effet dû accepter des conditions hautement contraignantes de la part du Fonds. Depuis le début de 2011, la Réserve fédérale a acheté près de 70 % des nouvelles émissions de bons du Trésor. Dans les années 20, on a jeté Charles Ponzi en taule pour moins que cela. Si l'on ajoute la dette privée à la dette publique, les Américains sont endettés à la hauteur de 360 % de leur PIB. Mais, si l'on tient compte de leurs engagements au titre de la Sécurité sociale et des programmes de santé, cette proportion passe à 760 %.
La situation est-elle désespérée? Il semble douteux que la croissance seule puisse tirer les Américains du bourbier dans lequel ils se sont empêtrés. Au cours des cinq dernières années, la dette a augmenté de 73 %, alors que le PIB, lui, a progressé de 12,5 %. Depuis le début de l'année, la croissance est presque stagnante, à 0,8 %. La tendance qui se dégage n'est pas soutenable. En outre, les salaires n'augmentent pas. L'inflation est nettement plus élevée que ne le disent les statistiques et la Réserve fédérale. Le consommateur est en mode désendettement et l'État devra le suivre sous peu. Pour ajouter au marasme, la valeur des résidences familiales refuse obstinément de repartir à la hausse. Les retraités, eux, se demandent si leur fonds de pension leur donnera de quoi vivre décemment. Il ne semble donc pas réaliste de compter sur la consommation pour résoudre le problème. Et, dans les circonstances, il serait surprenant que les entreprises investissent avec confiance.
Les Américains peuvent-ils augmenter les impôts. En général, ils y sont allergiques. Mais, avec les délocalisations, ils ont érodé leur assiette fiscale. Les salaires anémiques du travailleur américain ne permettent pas de trop espérer du côté de la fiscalité. En plus, il y a l'évasion fiscale, facilitée par la mondialisation. Mais, l'État conserve néanmoins une certaine marge de manoeuvre. Selon les statistiques de l'OCDE, le fardeau fiscal américain compterait pour 26 % du PIB, alors qu'ailleurs, dans les pays développés, cette proportion serait de 35 %.
Alors, faudra-t-il sabrer dans les dépenses? Aux termes de l'entente conclue dans le cadre du débat concernant le relèvement du plafond de la dette, on s'est entendu autour une diminution d'un billion $US sur dix ans. Deux autres billions $US devraient s'ajouter suite aux recommandations d'une commission paritaire qui sera chargée de se pencher sur le comment de cet objectif à atteindre. Au Bureau de budget du Congrès (CBO), on évalue les coupes visées à l'entente à 2,1 billions $US. Mais, les républicains ne veulent pas d'augmentations d'impôt, alors que les démocrates veulent les hausser. Le débat n'est pas terminé.
Les Américains feront-ils défaut sur leur dette? Certainement pas sur la part étrangère de leur dette; du moins pas à court terme. Il pourrait cependant en aller autrement si les taux devaient, pour un motif quelconque, partir à la hausse. La dette interne est une toute autre chose. Les Américains devront donc se préparer à une douloureuse diminution de leur niveau de vie à plus ou moins brève échéance. C'est d'ailleurs ce que les Chinois veulent dire lorsqu'ils affirment que les Américains devront apprendre à vivre selon leurs moyens. L'Europe semble avoir commencé, elle. Et, il y a des mécontents...
Maintenant, où se situe le dollar US par rapport à ce qui précède? Comparés à ce qu'ils étaient en 1944, les États-Unis sont un pays lourdement diminués, même s'ils demeurent la première économie de la planète. Pourtant, le dollar US continue à servir de pivot au système monétaire mondial. En 2010, on le retrouvait dans 84,9 % environ des transactions. En 1998, il occupait sensiblement la même place, à 86,8 %. L'euro est bon deuxième, loin derrière, avec 37,4 % en 2004 et 39,1 % en 2010. Le total des pourcentages est cependant de 200 %, du fait qu'il y a toujours deux devises par transaction. Le marché des changes compte pour environ 4 billions $US quotidiennement, soit 70 fois plus que le marché des biens et services. Il est dominé par les spéculateurs.
Le dollar US est également en première position du côté des réserves bancaires. Il s'agit des réserves de dollars US que gardent les banques centrales et les banques commerciales pour assurer l'exécution des transactions internationales. La Chine conserverait environ 65 % de ses réserves de 3,2 billions $US en valeurs américaines. En 2005, le dollar US occupait une part de 66,5 % des réserves mondiales. En 2008, il faisait 64 %. Encore là, l'euro est bon deuxième, loin derrière, avec 24,4 % en 2005 et 26 % en 2008. Mais, nous ne sommes plus en 1944 et le dollar US ne fait plus consensus. D'abord, le billet vert représente un risque financier pour ceux qui le détiennent. Les étrangers gardent leurs réserves sous forme de bons du Trésor. Lorsque les Américains dévaluent, les réserves perdent de la valeur. À la limite, les détenteurs risquent d'être payés avec de la monnaie hautement dévaluée. Mais, il y a pire encore, les Américains pourraient éventuellement faire défaut sur leur dette, même si le risque sur la part étrangère est limité à court terme. Les Américains, eux profitent de leur situation pour emprunter à des taux moindres que ceux qui seraient applicables si le dollar n'était pas une monnaie de réserve. Évidemment, le fait qu'ils peuvent s'endetter dans leur propre monnaie leur permet de dévaluer et de rembourser leurs créanciers avec de la monnaie diluée.
Au risque financier, il faut ajouter le risque économique. Les Américains tentent de se sortir de la crise de 2008-09 en gardant le taux des fonds fédéraux à 0,25 % et en multipliant le programmes d'assouplissement quantitatif. Récemment, la Réserve fédérale s'est engagée à garder son taux directeur aux environs de zéro jusqu'en 2013 et l'on parle d'un troisième programme d'assouplissement. Malheureusement ces liquidités se retrouvent en bonne partie entre les mains des spéculateurs qui les utilisent pour parier sur les ressources naturelles, l'immobilier et divers actifs financiers. Évidemment, une partie de cet argent aboutit dans les pays émergents. Ces derniers se retrouvent alors avec des taux d'inflation qui les obligent à hausser leurs taux d'intérêt, ce qui pourrait à la limite grandement ralentir leur croissance. Récemment, l'Inde affichait un taux d'inflation de 10 %. En Chine, on parle de 6 %. La hausse des prix de l'alimentation les expose aussi à des troubles sociaux graves. Évidemment, les pays développés n'échappent pas au phénomène, même si les statistiques montrent une inflation nulle.
Finalement, la dévaluation du dollar pourrait encourager certaines entreprises à revenir en Amérique. Les pays émergents n'apprécient pas cet aspect de la stratégie américaine non plus. En Europe, on fait un peu les frais de cette course à la dévaluation. Comme la Banque centrale européenne n'est pas autorisée à dévaluer avec la même détermination que les autres banques centrales, l'euro demeure élevé et les exportations européennes s'en ressentent. Le mécontentement est donc plus ou moins généralisé.
La Chine et la Russie parlent de remplacer le dollar par les droits de tirage spéciaux (DTS) comme monnaie de réserve. En France, le président Nicolas Sarkozy a lancé l'idée d'un nouvel ordre monétaire. À la Banque mondiale, le président Robert Zoellick, un américain, suggère de le remplacer par un panier de monnaies. Et, au FMI, on doute de la pérennité du dollar US comme monnaie de réserve. Autrement dit, le dollar US est officiellement in extremis en question. Est-il en danger?
Pour remplacer le billet vert, on parle généralement des DTS, du yen, du yuan et de l'euro. Font-ils le poids?
Fondamentalement, les DTS constituent une forme de monnaie internationale en compte au FMI. Le Fonds doit son existence aux Accords de Bretton Woods. On voulait en faire un organisme de stabilisation du système monétaire international. Les pays membres devaient y ouvrir un compte où ils devaient déposer des réserves établies en fonction de leur quote-part. Cette dernière était, elle, établie en fonction du poids économique du membre dans le système. À l'origine les réserves étaient constituées de la devise du pays membre pour une part de 75 % et de 25 % en or. Les droits de vote sont répartis en fonction des quote-parts et les décisions fondamentales se prennent à 85 % des voix. Comme les Américains détiennent 16,5 % des votes, ils ont en fait un droit de veto sur les décisions du Fonds. Au départ, les DTS n'existaient pas. Il n'y avait que des droits de tirage ordinaires. Grosso modo, un pays qui avait besoin de financement à court terme pouvait retirer jusqu'à 125 % de sa quote-part dans la devise dont il avait besoin. Si un pays avait, par exemple, besoin de dollars US, il devait remettre au Fonds un montant équivalent dans sa devise pour obtenir les dollars US. Une première tranche de 25 % était disponible sans conditions. Mais, à chaque tranche additionnelle de 25 % des conditions de plus en plus contraignantes étaient imposées au membre emprunteur.
Dans les années 60, on en vint à la conclusion que le système était trop restrictif. C'est ainsi que seront lancés les DTS en 1969. En peu de mots, les DTS sont une forme de monnaie internationale. Il s'agit d'une monnaie essentiellement fiduciaire. Depuis 1981, les membres peuvent s'en prévaloir sans avoir à déposer un montant de leur monnaie nationale en contrepartie du montant de la devise étrangère dont ils ont besoin pour équilibrer leur balance des paiements ou pour changer le mix de leurs réserves. Par exemple, supposons que le Canada se trouve à court de dollars US. Il peut s'adresser au Fonds pour en obtenir. Le Fonds choisit le pays qui devra approvisionner le Canada. Au terme de la transaction, le Canada aura moins de DTS dans son compte et plus de dollars US. Le pays fournisseur, lui, aura plus de DTS et moins de dollars US. Éventuellement, l'équilibre devra être rétabli. À l'origine la valeur des DTS était établie en fonction de l'or. Un DTS valait ,888 gramme d'or, ou un dollar US. Depuis 1974, leur valeur est établie quotidiennement contre un panier de monnaies.
Est-il réaliste de vouloir remplacer le dollar US par les DTS? D'abord, on ne saurait le faire sans l'accord des Américains qui ont un droit de veto sur les grandes décisions du Fonds. Or, comme ils ne sont pas du genre à se faire Hara Kiri... Ensuite, cela signifierait que des fonctionnaires internationaux se retrouveraient en position d'arbitrer les grands différends économiques et monétaires qui finissent inévitablement par opposer les grandes puissances. Rares sont les fonctionnaires qui en imposent autant. Tous les efforts en ce sens ont échoué dans le passé. En 1976, aux termes des Accords de la Jamaïque, on avait prétendu faire une place plus grande aux DTS dans le système monétaire. Or, ils n'ont jamais décollé. En outre, le Fonds est essentiellement tributaire des grandes puissances pour son financement. Ces dernières financeraient-elles un organisme qui ne serviraient pas leurs intérêts? Il faut voir la résistance qu'offrent les Européens aux pays émergents pour les sièges au conseil pour comprendre la futilité de l'idée de remplacer le dollar US par les DTS. Il ne faut cependant exclure qu'on leur fasse éventuellement une meilleure place.
Certains parlent du yen comme monnaie de réserve. Le Japon croule sous une dette qui fait près de 220 % du PIB du pays. Les agences de notation sont à ses trousses. Et, l'économie nipponne ne s'est toujours pas relevée de la débâcle de la fin des années 80. Le Japon s'adonne à l'assouplissement quantitatif avec une frénésie remarquable. Ce pays ne fait tout simplement pas le poids avec les États-Unis.
À suivre demain.
Économie et finance (3)
Diagnostic sur le dollar américain
La situation est-elle désespérée? Il semble douteux que la croissance seule puisse tirer les Américains du bourbier dans lequel ils se sont empêtrés.
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