«Dégénération» de Mes Aïeux... De la nostalgie du bon vieux temps!

Par A Briggs

17. Actualité archives 2007

Récemment, une chroniqueuse d’une émission de la radio de Radio-Canada invitait l’auditoire à écouter attentivement les paroles de la chanson «Dégénération» du groupe musical Mes Aieux qu’elle s’apprêtait à faire jouer. Férue que je suis de ces groupes qui allient musique traditionnelle aux paroles qui nous racontent notre histoire, et ne m’étant jamais arrêtée à l’écouter au complet, je me suis volontiers prêtée à cet exercice. Mais c’était aussi pour tenter de comprendre ce qu’il y a de plus dans cette chanson qui lui vaut cet engouement ces derniers temps et qui, selon la chroniqueuse, était attribuable au réalisme des paroles.
J’ai été un peu déçue. Non pas de la chanson en tant que telle puisque le parolier est quelqu’un qui écrit avec son bagage de connaissance et ses interprétations de la vie. Mais j’ai été plutôt déçue de l’engouement qu’elle suscite puisque celui-ci témoigne d’une identification étendue à ce qui est dit dans cette chanson. Et, ce qui est dit dans cette chanson d’une part, occulte des éléments de l’histoire et de la réalité actuelle et d’autre part, véhicule un ensemble de stéréotypes sexuels très marqué et constitue une [autre] attaque lancée aux baby boomers.
Les aïeux, parlons-en, mais des aïeules itou! Il faudrait peut-être que les filles et les garçons sachent qu’en plus d’avoir une douzaine d’enfants, leurs aïeules ont, elles aussi, participé à défricher et à labourer la terre avec leurs aïeux. Ce, en plus de cuisiner hiver comme été sur le poêle à bois et de faire la lessive de la trâlée et du mari, incluant les couches et les mouchoirs pas jetables avec comme seul soutien technique une planche à laver.
Cette misère-là...
Pas plus fous que les autres, de cette misère-là, leurs grands-parents n’ont pas voulue et se sont dotés des appareils qui leur ont permis de s’alléger la vie. Aussi, ceux-ci ont bien dû abdiquer devant l’arrivée des denrées bon marché venues de nos voisins du sud qui coûtaient moins cher aux marchands que ce que les fermiers d’ici produisaient. Incapables de faire face à la concurrence, manquant de moyens pour agrandir leur terre et pour acheter la machinerie nécessaire à la rentabiliser, la plupart ont été forcés de vendre. De plus, c’est le grand-père lui-même qui a incité son fils à étudier pour qu’il devienne fonctionnaire et puisse ainsi assurer son avenir.
Par ailleurs, en ce qui a trait aux stéréotypes, la première chose qui étonne, c’est qu’on s’adresse au «p’tit gars» par rapport à deux aspects de sa vie : son logis et ses perspectives professionnelles. Alors qu’à la «p’tite fille», on lui parle essentiellement de son rôle de procréatrice. En plus, le «p’tit gars» est en quelque sorte une victime à geler dans son 3 et 1/2 qu’il peine à payer parce que son père n’a pas su lui transmettre l’héritage de ses aïeux. La fille, elle, est coupable de s’envoyer en l’air avec tout un chacun et, en plus, irresponsable qu’elle est, elle n’utilise pas de moyen contraceptif; elle devient donc enceinte et se fait avorter. Sa mère, elle, est coupable de ne pas l’avoir souhaitée.
Est-ce la réalité des jeunes?
Si c’est ça la réalité des jeunes qui entourent le parolier, ce n’est pas celle des jeunes qui m’entourent. Ce que je vois parmi ceux qui ont des problèmes, ce sont des jeunes hommes qui ont décroché de l’école, qui vivent chez leur parents, fument leur joint en jouant au jeu vidéo et qui vivotent en passant d’un boulot pas payant à un autre encore moins payant et ce, entrecoupés de périodes de chômage.
Je vois leurs parents désemparés par tant d’inertie qui feraient tout pour les aider. Les filles elles, cumulent souvent études et travail, elles s’en vont rapidement en appartement soit pour échapper au joug de leurs parents ou tout simplement pour accéder à leur indépendance. Une indépendance chèrement acquise par leurs mères et leurs grands-mères. Si elle ne peut ou ne veut prendre des contraceptifs, intrusifs et non sans conséquences sur sa santé, la p’tite fille est prise pour se fier au condom et au chum qui voudra bien le porter. Faute de collaboration, elle devient enceinte, son chum ne travaillant pas, elle ne veut surtout pas vivre ce que sa mère a vécu, c’est-à-dire la monoparentalité «sur le b.s.». Elle se fait donc avorter.
La nostalgie du bon vieux temps
Après avoir permis la mise en place de tout ce qu’il faut pour inciter les filles à devenir des objets sexuels et à adopter des comportements sexuels libertaires, on vient maintenant les leur reprocher. Un peu partout, on sent rejaillir depuis peu un mouvement de droite des plus conservateurs. Entre autres, on reproche aux jeunes de ne plus faire d’enfants, on remet en question l’avortement et on coupe le financement alloué pour continuer à avancer vers l’égalité. La nostalgie du bon vieux temps refait surface. Sinon, pourquoi tant d’engouement et d’identification à des paroles qui ne donnent qu’une vision partielle de l’histoire et de la réalité, qui confine le gars paumé dans sa léthargie et qui reproche à la fille ses comportements sexuels et la renvoie à un unique rôle de reproductrice? Ah, ce qu’on était bien autrefois quand les hommes et les femmes avaient des rôles sociaux bien campés, l’homme pourvoyeur et propriétaire et la femme mère et ménagère!
A. Briggs*

Sociologue et féministe

* L'auteur habite Montréal


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé