De simples soldats

Les Canadiens français pendant la Deuxième Guerre mondiale

Jour du Souvenir - 11 novembre 2008-2011

On ne peut réduire l'anticonscriptionnisme des Canadiens français en 1942 à une sympathie diffuse pour les puissances de l'Axe, encore moins pour la croix gammée
Les insinuations de Jean-Louis Roux sur l'attitude des Canadiens français pendant la Deuxième Guerre mondiale sont inacceptables. Que l'ex-lieutenant-gouverneur ait été un carabin écervelé dans sa jeunesse, passe encore. Qu'il ait trouvé drôle de dessiner une croix gammée sur son sarrau, en 1942, alors que 50,000 Canadiens français, un peu plus fauchés que lui, s'étaient déjà engagés dans les forces armées canadiennes pour combattre le nazisme, c'est déjà moins drôle. Mais que Jean-Louis Roux ait sciemment déterré cette déshonorante fanfaronnade pour éclabousser la mémoire des Canadiens français de l'époque et, à travers eux, les «Séparatistes» d'aujourd'hui, est ahurissant.
J'en veux pour preuve ses propos dans un communiqué, où il prétend qu'avoir porté une croix gammée en 1942, «témoigne malheureusement de la mentalité d'une grande partie de la jeunesse québécoise [...]» Dans l'entrevue accordée à L'actualité du mois de novembre, il associe clairement le port de la svastika à ses sympathies pétainistes, mussoliniennes, franquistes et... anti-conscriptionnistes d'alors. «Il se revoyait dans la rue en 1942, rapporte Luc Charland, à 20 ans, au coeur d'une émeute anticonscription, en route pour saccager les bureaux de The Gazette! Rue Sainte-Catherine, les vitrines de tous les magasins dont le nom avait une consonance étrangère surtout israélites -, précise-t-il, avaient volé en éclat.»
Pour les générations privées de cours d'histoire, l'amalgame entre nazisme et anticonscriptionnisme s'impose. Faut-il comprendre que les 72% de Québécois ayant voté «Non» à la conscription en 1942 étaient antisémites et sympathiques au régime nazi? Mackenzie King doit se retourner dans sa tombe. Que le Très Honorable repose en paix: lorsqu'on se penche sur l'état de l'opinion publique à l'époque où M. Roux s'amusait, le mythe du Canadien français nazifié s'effondre.
Une tendance isolationniste
Nul doute que l'élite nationaliste des années 30-40 ait flirté avec des idéologies peu recommandables. Mais des historiens crédibles comme Pierre Anctil ont suffisamment fait la lumière sur cette question, avec toutes les nuances qui s'imposent, pour que je m'y attarde. Ce qui m'intéresse ici, c'est la majorité silencieuse. Non l'élite. L'anticonscriptionnisme canadien-français de 1942 doit être lu dans son contexte nord-américain, pas seulement à l'aune de quelques excités prêts à casser du Juif ou quiconque s'écrit en «ski» et en «ska». La réaction des Canadiens français à la conscription exprimait une tendance isolationniste comparable à celle des Etats-Unis pendant les deux conflits mondiaux. En ce sens, elle affirme plus une «nord-américanité» territoriale et culturelle qu'un quelconque sursaut religieux ou ethnique.
Dans un sondage de juillet 1942, 90% des Canadiens français refusent qu'on lève une armée de conscrits pour le service outre-mer (voir Wilfrid Saunders, "Jack et Jacques, L'opinion publique au Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale" , Comeau et Nadeau éditeurs, 1996). Ils ne favorisent la participation militaire qu'en cas d'attaque du Canada. Dans ce cas, les Québécois francophones se montrent sans équivoque: 86% d'entre eux croient que la plupart des hommes valides s'enrôleraient. Isolationnistes, les Canadiens français sont aussi profondément anti-impérialistes. Ils se sentent brimés par la politique de guerre du Canada: 70% d'entre eux croient que le pays est dépendant de la Grande-Bretagne, ce qui peut expliquer leur aversion pour toute conscription sur un front étranger.
En dépit de ces réserves, les jeunes Canadiens français ont répondu «présent» à la croisade contre les forces de l'Axe. Au cours de 1942, entre 50 000 et 60 000 d'entre eux se sont déjà engagés comme volontaires pour le service actif outre-mer. Ils totaliseront environ 160 000 membres à la fin de la guerre, dont entre 84 000 et 90 000 sont originaires du Québec. Certes, des facteurs comme le chômage et le peu de débouchés valorisants pour les jeunes francophones sur le marché du travail expliquent en partie le phénomène. Mais, de la part d'un groupe si nettement anticonscriptionniste et anti-impérialiste, et compte tenu des problèmes que pose son intégration dans une armée anglophone et de tradition britannique, cet effort mérite d'être reconnu à sa juste valeur. Il va en tout cas à contre-courant de la «mentalité» de M. Roux et de ses amis de l'époque.
La liberté de choisir
Comment expliquer un tel paradoxe? Après enquête sur l'opinion publique canadienne-française face à la guerre, en 1940-1941, l'historienne américaine Elizabeth Armstrong analyse la situation en ces termes: «Il est indubitable que le Québec se tient aujourd'hui solidement aux côtés du Dominion pour gagner la guerre. Mais, aujourd'hui, aussi fermement qu'hier, il nie la nécessité et la pertinence d'envoyer ses fils se battre outre-mer, à moins que ceux-ci ne l'aient choisi en toute liberté».
Dans ses causeries diffusées sur les ondes de Radio-Canada en avril 1941, le journaliste Louis Francoeur, qui n'a rien d'un extrémiste, explique ainsi la spécificité de l'attitude des Canadiens français face au conflit: «Le phénomène de la guerre ne peut agir sur lui [le Canadien-français], comme il agit sur le Canadien d'origine anglaise ou écossaise. Cependant, il a toujours fait son devoir, même un peu plus, et ses annales le prouvent toutes les deux pages. Mais il a d'abord fallu lui laisser le loisir de voir par lui-même, de juger et de se décider librement à sa façon.» La liberté de choisir. Voilà ce que revendique la jeunesse canadienne-française de l'époque.
On ne peut donc réduire l'anticonscriptionisme des Canadiens français de 1942 à une sympathie diffuse pour les puissances de l'Axe. Encore moins pour la croix gammée. Aussi, Louis Roux (La Presse, 6 novembre 1996) en écrivant: «Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il ait pu, avec un certain nombre de ses contemporains, reconnaître très tôt l'aberration du nazisme et du fascisme sous toutes ses formes, et devenir un farouche adversaire du racisme, de tous les racismes», il oublie que d'autres avaient compris bien avant. Dès novembre 1939, le régiment francophone des Fusiliers Mont-Royal fut, paraît-il, parmi les premiers au Canada à remplir son contingent. De simples soldats...
***
BÉATRICE RICHARD
Candidate au doctorat en histoire à 1'UQAM


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->