AFFAIRE RONA

Daoust, prisonnier de ces paroles qui restent

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La vérité finira bien par sortir, et elle accablera Philippe Couillard

À force de jouer sur les mots, on finit par se brûler les ailes. Jacques Daoust l’a appris à ses dépens : il a dû démissionner dans l’opprobre. Mais à la suite du témoignage du chef de cabinet, Pierre Ouellet, qui n’a pas hésité à enfoncer son ancien patron en commission parlementaire, on comprend que l’ex-ministre n’aurait pu traverser cette audition, à laquelle il devait participer, sans perdre la face. C’est ce qu’il avait compris.
Devant la Commission de l’économie et du travail (CET), Pierre Ouellet, le directeur de cabinet de Jacques Daoust au moment où il était ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, a révélé que celui-ci n’était pas favorable à la vente par Investissement Québec (IQ) de son bloc d’actions de Rona d’une valeur de 156 millions. Or le conseil d’administration d’IQ, qui avait sollicité l’avis du ministre, n’en a rien su : il s’est satisfait d’un « OK » dans un courriel signé par le chef de cabinet.

On a appris que le conseil avait pris la décision, le 17 novembre 2014, de vendre la totalité des actions Rona sans que le sujet soit à l’ordre du jour de sa réunion, sans qu’un dossier étoffé soit remis préalablement à ses membres. Quelqu’un a soulevé l’enjeu et hop ! on a adopté une résolution pour se débarrasser d’un bloc d’actions qu’un décret gouvernemental lui avait fait acheter. Certains y verront un esprit de décision hors du commun, d’autres, une précipitation inopportune.

Devant la CET, Jean-Claude Scraire, l’ancien président de la Caisse de dépôt et placement et président du conseil d’IQ de juillet 2013 au printemps 2014, s’est étonné que le CA de la société d’État adopte cette résolution sans en parler au préalable avec le ministre. « J’aurais d’abord consulté avant d’en arriver à une résolution », a-t-il fait observer. Qu’arrive-t-il, une fois la résolution adoptée, si le ministre dit non ? Le conseil a l’air fou.

Louis Roquet, qui présidait le CA d’IQ quand la décision a été prise, a eu une réponse singulière à ce sujet. Il s’est dit d’accord avec Jean-Claude Scraire. « Logiquement, c’est ce que j’aurais fait, mais ce n’était pas à l’ordre du jour. Ç’a atterri comme ça », a-t-il dit. Comme un cheveu sur la soupe, pour ainsi dire.

Pourtant, tous les dirigeants d’IQ qui ont défilé devant les parlementaires étaient unanimes, que ce soit Louis Roquet et Jean-Claude Scraire ou deux anciens p.-d.g., Mario Albert et Yves Lafrance : ils ont affirmé que le CA devait obtenir l’avis du ministre pour prendre une décision d’une pareille ampleur, même en l’absence d’une obligation légale. Tous ont dit que, si le ministre exprimait son désaccord, le CA devrait se réunir à nouveau pour réévaluer son intention ou sa décision.

Il est bon de rappeler qu’IQ jouit d’une certaine autonomie mais qu’en vertu de l’article 4 de sa loi constitutive, la société financière doit agir en conformité avec la politique économique du gouvernement. Et pour s’en assurer, il lui faut consulter le ministre quand l’enjeu est important, ce qui était manifestement le cas ici.

Le cabinet du PM au parfum ?


Pierre Ouellet a suscité l’incrédulité des députés de l’opposition, particulièrement chez les péquistes, à qui les rouages du gouvernement sont familiers, en affirmant qu’il n’avait pas informé le chef de cabinet du premier ministre, Jean-Louis Dufresne, qu’IQ avait décidé de se débarrasser d’un bloc d’actions de Rona d’une valeur de 156 millions.

C’est d’autant plus « abracadabrant », pour reprendre le qualificatif employé par Amir Khadir, que les chefs de cabinet sont choisis par le cabinet du premier ministre et servent à encadrer les ministres.

« Je n’avais pas beaucoup de discussions avec le chef de cabinet du premier ministre, le ministre ayant plus d’occasions que moi de le croiser, que ce soit au Comité des priorités, que ce soit au Conseil des ministres, les caucus le matin », a relaté Pierre Ouellet.

Or, selon nos informations, le cabinet de Philippe Couillard n’a pas été informé par Jacques Daoust, ni par son chef de cabinet, de la décision d’IQ de se départir de ses actions de Rona.

Si on se fie au témoignage de Pierre Ouellet, le ministre a adopté une attitude désinvolte dans cette affaire. D’abord, il a semblé tout faire pour s’assurer qu’il n’avait aucune autorité pour invalider la décision. Puis, il n’a rien fait pour tenter de l’infirmer, ou même exprimer sa réprobation. Pour l’opposition officielle, il s’en est lavé les mains, ce que Pierre Ouellet n’a pas démenti. « C’est leur responsabilité. Ils vivront avec les conséquences », a dit Jacques Daoust à son chef de cabinet, selon ce dernier.

Vers la sortie


C’est au début de juin que l’enfer a commencé pour Jacques Daoust. La vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, publiait un rapport qui traitait de l’intervention d’IQ, commencée à l’été de 2012, pour empêcher l’américaine Lowe’s de mettre la main sur Rona. La VG indiquait que la société d’État n’avait pas besoin de l’aval du gouvernement pour se départir de ses actions de Rona. Elle soulignait cependant que les membres du CA d’IQ « ne considéraient pas avoir toute la latitude pour autoriser la vente sans consulter le gouvernement ». Elle faisait état des procès-verbaux du conseil qui confirmaient qu’il avait obtenu « l’accord du ministre avant de vendre la totalité des actions ».

« Je ne sais pas où ils ont pris ça, c’est rigoureusement inexact », s’était insurgé Jacques Daoust. « Je n’ai non seulement jamais été informé de ça, je n’ai jamais autorisé ça, on ne m’a jamais parlé de ça », avait-il livré au Devoir.
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