Dans la ligue des petits

La Dépossession tranquille





On dit souvent que le ridicule ne tue pas, mais il peut parfois, malheureusement, coûter cher. Cher en argent, mais aussi en réputation. Et c'est bien ce qui en train de se passer dans la saga du renouvellement des voitures du métro de Montréal.
En 2006, le gouvernement Charest invoquait l'urgence pour faire fi des règles normales en matière d'octroi des contrats publics. Plutôt que de s'en remettre à un appel d'offres transparent invitant toutes les entreprises qualifiées à soumettre une proposition compétitive, le gouvernement a négocié de gré à gré avec une seule entreprise, Bombardier. C'était là ouvrir la porte toute grande à de coûteuses contestations juridiques. Ces contestations qui ont duré quatre ans et ajouté quelques millions de dollars à la facture finale, le gouvernement aurait pu et dû les prévoir. Mais disons les choses comme elles sont. En 2006, la date des élections approchait et l'ADQ de Mario Dumont était forte en région, notamment dans le Bas-Saint-Laurent où justement Bombardier a ses quartiers.
Si les contestations juridiques ont eu un prix, elles ont au moins permis de relancer le processus dans une direction plus respectueuse des intérêts des contribuables. Jusqu'à il y a de cela quelques jours, tous s'attendaient à ce qu'un appel d'offres transparent mette en concurrence deux entreprises qualifiées, l'espagnole CAF et le consortium franco-québécois Bombardier-Alstom. C'était cependant sans compter sur un gouvernement Charest qui a décidément de la suite dans les idées lorsqu'il voit urgence en la demeure. En 2010, l'urgence est maintenant une élection complémentaire qui se tiendra dans le comté même où se situe l'usine de Bombardier. Et comme par hasard, on suspend à nouveau l'appel d'offres afin de négocier de gré à gré avec le consortium Bombardier-Alstom. Sauf que cette fois, on le fait de manière plus sophistiquée?: on légiférera pour être au-dessus des lois.
Que l'on se comprenne, le gouvernement Charest n'est pas le seul gouvernement au monde qui gouverne à la petite semaine et qui se trouve par le fait même à contredire régulièrement les principes qu'il dit défendre. Cela ne rend pourtant pas cette pratique plus acceptable. Pour un gouvernement qui dit manquer d'argent, qui hausse les impôts (la nouvelle contribution santé n'est pas autre chose) et qui dit devoir comprimer ses dépenses, il est choquant de constater qu'il entend renoncer aux millions de dollars d'économies que la tenue en bonne et due forme d'un appel d'offres transparent pourrait lui livrer. Disons-le franchement, cela fait très cher payé par électeur potentiel de Kamouraska-Témiscouata.
Il y a cependant pire dans le cas du gouvernement Charest. Jean Charest s'enorgueillit d'avoir joué un rôle déterminant dans le lancement des négociations de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Il ne manque aucune occasion non plus de relever la stature internationale du Québec. Ce n'est pas seulement de l'argent qui est gaspillé par le gouvernement Charest dans cette affaire, c'est la réputation internationale du Québec qui s'en trouve écorchée.
Le Québec, qui s'est joint aux autres provinces canadiennes et à de nombreux États américains pour faire échec au Buy American Act protectionniste, est un Québec ouvert sur le monde. Le Québec qui pousse les autres provinces canadiennes et le gouvernement fédéral à embrasser le libre-échange avec l'Europe est un Québec du XXIe siècle. Mais le Québec auquel nous convie le gouvernement Charest dans le dossier du métro de Montréal est un Québec frileux, géré à la petite semaine sans le moindre dessein stratégique.
Les entreprises du Québec, Bombardier en tête, sont maintenant présentes sur tous les continents de la planète. Elles ont besoin de la même transparence et neutralité que demande aujourd'hui CAF dans le dossier du métro de Montréal. Le gouvernement Charest doit décider: on joue dans la ligue des petits ou on joue dans la ligue des grands? À en juger par sa gestion du dossier du métro de Montréal, le gouvernement Charest semble pencher pour la première. C'est dommage pour l'ensemble des Québécois.
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Martin Coiteux
L'auteur est professeur au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal.


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