Présence (muette) du Québec au Festival de théâtre d’Avignon

Dans la cité des papes, le Québec fait mentir Gilles Vigneault

Comme la cigale de la fable, il danse désormais !

Tribune libre

Le silence est-il vraiment d’or ? Il est permis d’en douter lorsqu’on découvre qu’une seule des sept troupes québécoises présentes au Festival de théâtre d’Avignon, qui s'est déroulé du 7 au 30 juillet, a jugé utile d’offrir au public une pièce basée sur le texte d’un auteur connu. Les six autres se sont contentées de proposer des spectacles de danse et d’acrobatie.


Nos auteurs dramatiques seraient-ils à ce point inintéressants ou démodés, voire en panne d’inspiration pour les plus jeunes d’entre eux ? La nouvelle génération de comédiennes et comédiens québécois serait-elle inapte à apprendre des répliques par cœur ? D’où leur vient cette soudaine frénésie qui les pousse à mettre l’accent sur le non-verbal, la performance physique et des artifices destinés à en mettre plein la vue, au lieu de privilégier la parole, les échanges oraux et des textes qui suscitent la réflexion ? Le poids des mots serait-il devenu trop lourd à porter pour leurs épaules pourtant solides ?


Mais s’ils s’affranchissent ainsi du fardeau du langage, ne serait-ce pas, en réalité, parce qu’ils ont choisi, consciemment ou non, de faire en sorte que leurs racines demeurent enfouies dans un passé lointain et tourmenté dont ils aimeraient mieux ne pas se souvenir ? ou parce que ceux et celles qui leur servent de guides et mentors, voire de producteurs et bailleurs de fonds, auraient jugé qu’il est préférable pour tout le monde de rester dans l’air du temps et, en conséquence, de reléguer aux oubliettes de l’histoire littéraire tant les auteurs classiques français et étrangers que les écrivains modernes et contenporains de chez nous ?


Paradoxalement – et heureusement ! –, ce sont surtout des compagnies françaises qui, bon an mal an, jettent leur dévolu sur les œuvres de nos dramaturges. Ainsi, la pièce La peau d’Élisa, de Carole Fréchette, a été jouée à Avignon en 2014 et en 2018, à chaque fois dans une création hexagonale différente. Ce fut aussi le cas à deux reprises de Jean et Béatrice, toujours de l’auteure québécoise, en 2015 et en 2021. De même, Mon vieux et moi, histoire imaginée par Pierre Gagnon, a été produite en 2015 par le comédien et metteur en scène franco-algérien Rachid Akbal. Dans une mise en scène de la Française Clémence Carayol, le drame familial Jouliks, de Marie-Christine Lê-Huu, a pour sa part tenu l’affiche dans le Off en 2019, soit peu avant la sortie au cinéma du long-métrage de la réalisatrice montréalaise Mariloup Wolfe.


Cette année enfin, un atelier de théâtre parisien et une autre compagnie française proposaient respectivement deux pièces de Wajdi Mouaouad : Incendies, œuvre bouleversante dont Denis Villeneuve a réalisé l’adaptation cinématographique en 2010, et Pacamambo, déjà à l’affiche en 2013. Le prolifique auteur libano-québécois n’en était visiblement pas à ses premières armes dans la cité des papes, où il fait figure d’habitué des lieux – du moins à travers ses œuvres. On y jouait notamment sa pièce Assoiffés en 2018. Par ailleurs, une version québécoise et une version brésilienne de Tom à la ferme, de Michel Marc Bouchard (pièce adaptée au cinéma par le réalisateur Xavier Dolan en 2013) se faisaient concurrence au cours de la présente édition. Parmi les quelques pièces d’auteurs dramatiques québécois mises en scène cet été par des troupes françaises, on compte encore De vos yeux, transposition par Marie-Claude Verdier du voyage d’Orphée.


Vigneault désavoué


Dans ce pays postnational, multiculturaliste et diversitaire qu’est devenu le Canada, seul le langage de la chair qui s’exhibe, souffre et s’échine semble jusqu’à nouvel ordre en mesure d’exprimer, au détriment de la langue parlée, ce qu’il y a d’universel en chaque être humain. À croire que les mots constituent dorénavant une entrave à la communication entre personnes d’origines et d’horizons divers... Parler étant de ce fait devenu tabou, reste la danse, qui représente pourtant symboliquement un désaveu formel de la chanson de Gilles Vigneault Les gens de mon pays : « Les gens de mon pays / Ce sont gens de paroles / Et gens de causerie... » Avec le temps, les paroles ont cédé la place aux symboles visuels et la causerie à la niaiserie gesticulatoire, dans la mesure où l’on est passé de l’essentiel au superficiel.


La sublime chanson de Vigneault se terminait sur ces mots : « Je vous entends demain / Parler de liberté ». Là encore, notre poète national s’est trompé lourdement : nos interprètes sur la scène internationale y font passer la seule forme de message qui ne risque pas de déplaire à leurs commanditaires institutionnels. Tout se passe dans la tête de nos danseurs et acrobates, car plus aucune parole, ou presque, ne sort de leur bouche. Leur corps est devenu l’unique véhicule de leurs pensées, à jamais prisonnières de leur boîte crânienne. Pour ce qui est de la liberté, et en particulier de la liberté d’expression, on repassera !


Normand Paiement

Traducteur à la retraite et habitué depuis 2010 du Festival d’Avignon



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