COVID-19 : quelque chose ne tourne pas rond au royaume de Suède, disent des experts

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Et pourtant il n'y a pas des centaines de milliers de morts en Suède...


Dans l’Europe confinée en ces temps de pandémie, la Suède fait figure d’exception. Même si des mesures préventives, moins restrictives que celles des voisins, ont été prises, le pays continue de vivre au rythme de sa… routine. Des scientifiques tirent cependant la sonnette d'alarme.




Alors que l’arrivée du printemps, contrariée par la pandémie, est passée presque inaperçue dans le monde, les Suédois ne boudent pas leurs plaisirs saisonniers.


Sur les terrasses qui rouvrent sous le soleil de mars, les gens s’attablent en famille ou entre amis pour prendre un verre ou une crème glacée. La plupart des cafés, restaurants et magasins sont ouverts, comme les frontières.


Dans la capitale, Stockholm, même si les foules des grands jours ne sont plus au rendez-vous, comme en témoigne la baisse de l’achalandage dans le transport public, les gens continuent à vaquer à leurs occupations.



Les boîtes de nuit accueillaient encore leurs clients jusqu’au 29 mars dernier, date de l’entrée en vigueur de l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes.


Contrairement aux universités, les garderies et les écoles qui accueillent des élèves de moins de 16 ans ne sont pas fermées, et les enfants sont encouragés à poursuivre leurs activités sportives.


En Suède, on estime que les tout-petits ne constituent pas le vecteur principal de la maladie. Dès lors, les laisser à la maison serait contre-productif, en ce sens que cela pourrait priver plusieurs secteurs d’activité, dont celui de la santé, de précieux professionnels.


Des gens profitent du temps ensoleillé à Djurgarden, à Stockholm, le 22 mars 2020, alors que le coronavirus continue de se propager.

En plus de garder les écoles primaires ouvertes, les autorités encouragent les enfants à poursuivre leurs activités sportives.


Photo : Reuters / TT News Agency




À Stockholm, près de la moitié des salariés font du télétravail. Dans les grandes entreprises de la capitale, cette proportion avoisine les 90 %, et ce, grâce à une culture d'entreprise qui a longtemps favorisé des pratiques de travail flexibles et à distance.



L’autoresponsabilisation


Au lieu de règles strictes, comme celles observées au Danemark et en Norvège, pays voisins, les autorités suédoises ont fait le choix de la recommandation de la responsabilisation citoyenne.


Les personnes âgées de plus de 70 ans sont invitées à éviter les contacts sociaux. Pour le reste de la population qui ne présente pas de symptôme grippal, il est conseillé de se confiner et d’éviter les déplacements non nécessaires. Comme partout ailleurs, la consigne de se laver fréquemment les mains est rappelée sur toutes les tribunes.


Nous, les adultes, devons être exactement cela : des adultes. Il ne faut pas répandre la panique ou les rumeurs. Personne n'est seul dans cette crise, mais chacun porte une lourde responsabilité, a déclaré le premier ministre Stefan Löfven dans un discours télévisé à la nation le week-end dernier.


L’autoresponsabilisation est devenue un leitmotiv martelé par les responsables de la santé publique. Un discours auquel semblent adhérer les Suédois, qui ont généralement une grande confiance envers leurs autorités.


L’Agence de santé publique suédoise, qu’on soupçonne de prôner une stratégie d’immunité de masse même si elle s'en défend, soutient que sa démarche progressive a pour seul objectif d’étaler l’épidémie dans le temps pour éviter un débordement du système de santé.


L'épidémiologiste en chef, Anders Tegnell, est convaincu de l’efficacité des politiques gouvernementales et ne semble pas enclin à resserrer les mesures préventives.


Nous essayons de ralentir suffisamment la propagation pour pouvoir traiter les patients qui arrivent, explique-t-il. Et d’ajouter : Il n'y a aucune preuve qu'en faire plus à ce stade-ci changera les choses.



Il est de loin préférable d'introduire des mesures strictes à des intervalles bien précis et de les appliquer le moins longtemps possible.


Anders Tegnell, épidémiologiste en chef


Des Suédois profitent du retour du printemps au parc Kungstradgarden, à Stockholm.

Des Suédois ne résistent pas à l'appel du printemps et des cerisiers en fleurs, comme ici au parc Kungstradgarden, à Stockholm.


Photo : Reuters / TT News Agency




« Ils nous mènent vers la catastrophe »


Ces propos, même s’ils semblent rassurer la population, font craindre le pire aux spécialistes de la santé.


Une pétition signée par plus de 2000 médecins et scientifiques, dont le président de la Fondation Nobel, le professeur Carl-Henrik Heldin, presse le gouvernement de renforcer les restrictions.


Nous ne testons pas assez, nous ne retraçons pas [les malades], nous n'isolons pas assez, nous avons laissé le virus se répandre, constate Cecilia Söderberg-Nauclér, chercheuse en immunologie à l'Institut Karolinska et signataire de la pétition.


Ils nous mènent vers la catastrophe, s'inquiète-t-elle, ajoutant que le gouvernement n’est pas réceptif aux arguments et données scientifiques qui lui sont présentés.


Ils [les décideurs] font aveuglément confiance à l'Agence de santé publique, mais les données dont ils disposent sont faibles, voire embarrassantes, estime la chercheure.


Cecilia Söderberg-Nauclér redoute un scénario italien en Suède en raison de l’augmentation du nombre de cas.


Le pays recensait mercredi 4435 contaminations, dont 180 décès. Avec un nombre presque similaire de cas (4641), la Norvège déplore beaucoup moins de pertes humaines, soit 39.



Stockholm aura bientôt un manque d'unités de soins intensifs, et [les autorités] ne comprennent pas que, d'ici là, il sera trop tard pour agir. Tout cela est très dangereux.


Cecilia Söderberg-Nauclér, chercheuse en immunologie


Emma Frans, épidémiologiste à l'Institut Karolinska, trouve elle aussi que les recommandations des autorités sont insuffisantes pour faire face à une situation critique.


Elle préconise des instructions plus claires sur la façon dont les gens doivent interagir dans les lieux publics.


Même si les autorités ont l'air de camper sur leur position, rien n’indique que le pays va se complaire dans cette posture attentiste. Le premier ministre Stefan Löfven avait quelque peu préparé l’opinion publique à d’éventuels changements.


Dans son discours à la nation, il a prévenu ses concitoyens que des décisions susceptibles d’avoir un impact sur la vie quotidienne pourraient être prises sous peu, sans donner plus de détails.


En attendant, les Suédois ne résistent pas à l’appel du printemps qui revient, avec du soleil et des cerisiers en fleurs.




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