Il a toujours juré qu'il n'était pas au courant. Mais voilà que la police dit détenir des preuves établissant que Gérald Tremblay était bien au fait du système de corruption qui gangrenait sa ville. Un système criminel auquel il aurait participé sciemment pour conserver le pouvoir, selon les enquêteurs.
Ces allégations, qui n'ont pas été mises à l'épreuve en cour, proviennent d'une déclaration sous serment d'un sergent de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) obtenue par La Presse. Le document servait à obtenir un mandat de perquisition pour fouiller la résidence de l'ancien maire de Montréal, à la recherche de preuves de corruption, complot, abus de confiance, fraude et usage de faux documents. La perquisition a été exécutée le 29 juillet.
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Gérald Tremblay, qui a démissionné le 5 novembre 2012, n'a pas répondu à notre demande d'entrevue. Pour le moment, il ne fait face à aucune accusation. Une telle perquisition ne mène pas toujours à un procès criminel.
Enquête en cinq temps
Dans le document, le sergent Jean-Frédérick Gagnon résume l'ensemble de la preuve amassée dans l'enquête baptisée Projet Fronde. C'est dans le cadre de cette enquête que l'UPAC a multiplié les perquisitions depuis le début de l'été, notamment chez d'anciens élus ou dans les bureaux de firmes mêlées au scandale des compteurs d'eau, qui devait être l'un des plus importants chantiers de l'histoire de Montréal et qui a été annulé en raison d'irrégularités.
Mais les nouveaux documents obtenus par La Presse démontrent que l'enquête Fronde dépasse largement l'affaire des compteurs d'eau. Elle comprend cinq volets distincts:
1.
Le financement illégal d'Union Montréal, le parti de l'ancien maire Gérald Tremblay, par des entreprises et l'utilisation de fausses factures à cette fin.
2.
La collusion entre ces entreprises et les bonzes d'Union Montréal pour partager les contrats de la Ville et truquer les appels d'offres.
3.
L'utilisation du «système collusionnaire en place» pour financer les Championnats du monde de natation de la FINA en 2005.
4.
Le trucage de l'appel d'offres pour le contrat des compteurs d'eau.
5.
Un cinquième volet dont la teneur demeure secrète pour l'instant.
Dans le cadre de l'enquête, les policiers ont rencontré de nombreux témoins clés, souvent des gens impliqués directement dans les événements.
Certains d'entre eux reprenaient des témoignages entendus à la commission Charbonneau, notamment sur le partage des contrats publics montréalais au sein d'un petit club restreint de firmes, qui devaient en contrepartie alimenter en secret la caisse du parti de Gérald Tremblay.
Système connu
«J'ai les motifs raisonnables et probables de croire que Gérald Tremblay connaissait l'existence de ce système», affirme le sergent Gagnon.
Certains témoins ont raconté comment ils ont dû verser des centaines de milliers de dollars en argent comptant à Bernard Trépanier, collecteur de fonds d'Union Montréal, surnommé «Monsieur 3 %», car on lui versait l'équivalent de 3 % de la valeur des contrats.
«Bernard Trépanier organisait des "déjeuners-causeries" et des soirées de bal pour que les firmes de génie et les bureaux d'avocats aient accès à Gérald Tremblay et parlent des projets à venir à Montréal», a expliqué une des personnes rencontrées par l'UPAC.
Les «déjeuners-causeries» réunissaient de 10 à 40 participants dans des hôtels ou des clubs privés, a expliqué cette personne. «Généralement, Gérald Tremblay, Bernard Trépanier et Frank Zampino [le président du comité exécutif de Montréal] étaient les membres du parti qui participaient à ces rencontres», dans le but de financer leur organisation politique et de diffuser de l'information sur les projets à venir, a expliqué un témoin aux enquêteurs. Les entrepreneurs pouvaient ensuite manifester leur désir d'avoir accès à tel ou tel contrat public.
Sauver les jeux aquatiques
D'autres témoins, dont l'ancien bras droit de Gérald Tremblay Frank Zampino, ont raconté comment, en 2005, Gérald Tremblay avait demandé que les entreprises qui se voyaient accorder des contrats publics à Montréal achètent des billets pour les Championnats du monde de la FINA, un projet cher à son coeur.
L'événement était en difficulté, et «le maire Gérald Tremblay en avait fait un enjeu de campagne électorale», a expliqué M. Zampino.
Lors d'une réunion, il aurait demandé à des collaborateurs de «vendre des billets à tous ceux qu'ils connaissaient et qui faisaient des affaires avec la ville», raconte un autre témoin.
«Gérald Tremblay a demandé: "Qui connaît SNC? Qui connaît CIMA+?" », raconte cette personne dont l'identité est protégée. Selon ce témoin, le maire voulait même que le directeur général de la Ville aille vendre des billets à Tony Accurso. Celui-ci avait refusé et Bernard Trépanier, encore lui, s'était acquitté de la mission.
Un entrepreneur a dit à la police qu'il avait acheté 20 000 $ en billets, soit beaucoup plus qu'il ne l'aurait voulu, mais «il fallait qu'Union Montréal paraisse bien pour avoir de meilleures chances de remporter les élections et ainsi faire en sorte que le système collusionnaire se poursuive», lit-on dans le document de l'UPAC.
«Le maire est passé pour la personne qui a sauvé les jeux», a résumé M. Zampino aux policiers.
Contredit par les faits
Officiellement, Gérald Tremblay a mis fin au mandat de Bernard Trépanier en 2006 ou 2007. Lorsque les agents de l'UPAC l'ont interrogé, en 2011, il a expliqué qu'il s'était débarrassé de lui parce qu'il trouvait anormal qu'un collecteur de fonds soit aussi proche du président du comité exécutif, Frank Zampino.
La police note toutefois dans son document que cette déclaration de l'ancien maire «entre en contradiction avec les faits» mis au jour pendant l'enquête, notamment la tenue des déjeuners avec MM. Tremblay, Trépanier et les entrepreneurs, ou encore la tenue d'un événement où le maire avait fait l'apologie de M. Trépanier devant 200 convives.
«Quand Gérald Tremblay serre la main de Bernard Trépanier devant tout le monde en lui demandant les résultats du cocktail où ils se voient, c'est clair qu'il savait que Bernard Trépanier continuait à organiser des activités de financement», a raconté un témoin aux enquêteurs.
D'autres personnes ont confirmé à la police que Bernard Trépanier avait continué à amasser des fonds pour Union Montréal même après son prétendu renvoi.
L'UPAC a d'ailleurs mené une perquisition chez M. Trépanier le 8 juillet dernier et découvert des preuves de dépôts bancaires liés à des firmes de génie-conseil jusqu'en 2010.
En avril 2012, les policiers sont revenus interroger Gérald Tremblay. Ils lui ont demandé s'il avait connaissance de contacts entre Paolo Catania et Bernard Trépanier en 2006, 2007 et 2008 (Catania et Trépanier sont accusés de fraude en lien avec la vente par la Ville du Faubourg Contrecoeur en 2007). Gérald Tremblay a dit être incapable d'aider les policiers à ce sujet. Mais la police note dans son résumé que l'ancien maire aurait participé à un déjeuner avec les deux hommes à cette époque, dans un club privé.
À la recherche d'autres preuves
Le sergent de l'UPAC conclut son document en expliquant qu'à la lumière de la preuve, notamment les liens de l'ancien maire avec des acteurs clés et sa demande de solliciter les entrepreneurs pour vendre des billets des Championnats du monde de natation, il croit pouvoir trouver la preuve de nombreux crimes chez Gérald Tremblay.
À ce stade de l'enquête, la nature de ce qu'il a découvert en perquisitionnant ne peut toutefois être dévoilée.
Gérald Tremblay a toujours maintenu que des gens de son entourage avaient trahi sa confiance alors que lui-même essayait d'assainir les moeurs à l'hôtel de ville. «Je souhaite ardemment qu'un jour on reconnaisse que je me suis battu, très souvent seul, contre ce système, cette collusion et cette corruption», a-t-il déclaré dans son discours de démission.
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