Contorsions sur la laïcité

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L'interdiction des signes religieux doit s'étendre à tous les fonctionnaires


L’excellente intervention du sociologue Guy Rocher en commission parlementaire sur le projet de loi 21 m’a réjoui, mais elle n’ébranlera malheureusement pas les irréductibles opposants au projet de loi. On peut espérer tout au plus qu’elle fera réfléchir les personnes ambivalentes sur la portée que le projet de loi doit avoir. 


Sondage après sondage, l’appui au projet de loi ne se dément pas et recueille la faveur des deux tiers de la population, c’est même les trois quarts chez les francophones. Face à un tel appui, les opposants traditionnels, qui sont sensiblement les mêmes qu’à l’épisode de la charte des valeurs péquistes, crient au racisme, à la xénophobie, à la restriction de leur liberté de conscience et à la tyrannie de la majorité. Ces opposants ne manquent pas d’imagination pour menacer de ne pas appliquer la loi ou de la contourner en promettant tous les recours juridiques possibles. 


Les consultations en commission parlementaire sont terminées et comme on pouvait le prévoir, elles n’ont pas contribué à rapprocher les positions irréconciliables. Toutefois, elles se sont révélées un exercice de gymnastique de haut vol pour les intervenants qui avaient modifié leur position précédente ou pour ceux qui tentaient par tous les moyens de se soustraire à une éventuelle application du projet de loi, s’il devait être adopté.  


Le directeur général de l’Association des commissions scolaires anglophones, Russel Coppeman, est venu prétendre que celles-ci n’auraient pas à se plier aux exigences de la loi en vertu d’une décision de la Cour suprême de 1990 leur consacrant le pouvoir exclusif de l’embauche. Le projet de loi ne circonscrit pas leur pouvoir d’embauche, il impose cependant une tenue vestimentaire aux enseignants et aux directions d’école.  


Son ex-collègue députée, Fatima Houda-Pepin, a très bien contextualisé le port du voile en pays musulman et occidental et a insisté sur les différences fondamentales entre islam et islamisme. Celle-ci demeure préoccupée face à la montée de l’intégrisme religieux et se montre très favorable à ce que l’État fixe les balises de la laïcité plutôt que de laisser les tribunaux naviguer à vue. De plus, elle affirme que le voile n’est pas un symbole religieux, laissant quelque peu médusés les observateurs sur la suite des choses. 


La présidente de la Commission scolaire de Montréal affirme quant à elle que l’interdiction du port de signes religieux serait inapplicable, malgré que pareille interdiction existe ailleurs dans le monde, à titre d’exemple la France et la Suisse. Son argument sert d’excuse préalable au laxisme que sa commission scolaire risque de manifester après l’adoption du projet de loi et constitue une certaine forme de désobéissance civile. 


La Fédération des femmes du Québec a présenté l’argument que le projet de loi était sexiste et infantilisait les femmes, manifestant du coup le peu de profondeur de ses analyses et un paradoxe évident avec sa mission qui consiste à favoriser l’émancipation des femmes.  


Après s’être montrée favorable à l’adoption de la charte des valeurs, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) se prononce maintenant contre le projet de loi sous prétexte que les enseignants y sont nommément mentionnés et qu’il ne s’applique pas à l’ensemble des employés de l’État. Plutôt que d’avaliser le projet de loi comme le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) en demandant que sa portée soit plus étendue, la centrale recule complètement en reniant la consultation de ses membres menée en 2013-2014.  


La Confédération des syndicats nationaux (CSN), qui s’était montrée favorable à la charte des valeurs, a aussi reculé sur sa position en incitant le gouvernement à ne pas légiférer sur le port de signes religieux. Son président a prétexté que c’est le changement de garde dans les instances de sa centrale qui explique le changement de position, laissant ainsi entendre qu’il n’y a pas eu de consultation générale des membres pour prendre position. Encore plus vexant, la centrale attise les accusations de xénophobie en prétendant que le projet de loi nourrira les préjugés à l’égard de quelques communautés.  


C’est sans bruit que la FAE a témoigné de son opposition au projet de loi comme elle l’avait fait sur la charte des valeurs, à l’encontre du point de vue majoritaire de ses membres, en s’en tenant à la position des délégués. Il était surprenant de voir son président appuyer son propos sur l’absence d’études scientifiques pour s’opposer à l’interdiction du port de signes religieux quand on sait la primauté que sa fédération accorde à l’autonomie professionnelle, même si cela va parfois à l’encontre de données probantes. La science semble servir à l’avenant! 


Il y a fort à parier que la proportion des membres de ces organisations syndicales favorable au projet de loi soit la même que celle retrouvée dans la population. En n’exerçant pas une certaine prudence sur un sujet aussi délicat et en ne s’assurant pas d’un large consensus dans leur rang, les syndicats prêtent flanc aux attaques de détracteurs sur leur véritable représentativité et cela pourrait devenir un sérieux handicap dans le cadre de négociations ou de représentations dans divers forums. 


Le revirement de Charles Taylor et les appréhensions de Gérard Bouchard auraient pu refroidir l’ardeur gouvernementale. Heureusement, Guy Rocher a fait part sobrement des risques d’un retour à la confessionnalisation de nos institutions si le gouvernement n’agissait pas maintenant pour l’avenir. À défaut d’études scientifiques sur les effets du port de signes religieux par les enseignants, il a plaidé le principe de précaution. Après tout, si les autorités scolaires ont pu plaider jusqu’en Cour suprême que les enseignants doivent être un modèle d’exemplarité pour justifier le congédiement de certains d’entre eux, c’est sûrement que leur comportement a une influence. 


Je ne sais pas si les témoignages entendus en commission parlementaire influenceront le gouvernement caquiste dans la suite du processus de l’adoption de la loi. J’ose toutefois espérer qu’il maintiendra le cap et corrigera quelques incohérences. Étendre l’interdiction à tout le personnel des écoles publiques et privées, serait mon souhait le plus cher dans l’immédiat.