Encore une fois, à Ottawa, c'est un employé de cabinet qui paye pour la bourde d'un ministre. Il est difficile de croire qu'une administration qui pousse le contrôle jusqu'à exiger de tous ses fonctionnaires qu'ils remplacent l'expression «gouvernement du Canada» par «gouvernement Harper» laisse quoi que ce soit au bon vouloir de son personnel.
Si la sollicitation de fonds du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration Jason Kenney auprès de députés conservateurs pour financer le volet de la campagne électorale touchant les communautés culturelles s'est faite sur du papier à en-tête du gouvernement, c'est que le ministre était au courant. Le modus operandi de ce gouvernement, qui confond allègrement intérêts de l'État et ceux du parti, est trop bien établi pour qu'on puisse même en douter.
Quant à la responsabilité ministérielle, elle est pour lui un principe à géométrie variable. Le ministre devient responsable, donc seule personne à pouvoir prendre la parole, quand il s'agit de bloquer la participation d'un employé politique à un comité parlementaire. Mais il ne l'est jamais quand il est avéré que son personnel contourne les règles. Comme c'est le cas cette fois-ci, une démission, volontaire ou forcée, viendra clore l'histoire, sans autre effet pour le ministre concerné.
Pour les conservateurs, il est sans doute plus embêtant que sa stratégie publicitaire envers certaines communautés culturelles, envoyée par inadvertance à une députée du NPD, ait été rendue publique.
Il y a déjà un bon moment que les conservateurs courtisent ces communautés. En 2007, les stratèges du parti leur avaient consacré un document stratégique, axé sur les valeurs sociales et morales conservatrices. Au printemps dernier, dans le cadre de notre dossier «Comment la droite s'organise», Le Devoir avait expliqué comment M. Kenney avait sillonné le pays pendant deux ans avec son équipe, l'«Ethnic Outreach Team», pour promouvoir ces valeurs. Mais le plaidoyer moral a ses limites, notaient les spécialistes. «La majorité des immigrants est avant tout ici pour travailler», signalait-on.
En 2011, les conservateurs ont raffiné leur approche. Ils ciblent des communautés précises: chinoise, sud-asiatique, ukrainienne et juive (n'y a-t-il ni Noirs ni Latinos dans l'univers électoral conservateur?), identifient des référents propres à celles-ci (lancer la campagne le jour de la Coupe mondiale de cricket, chère à la communauté indienne, le démontre bien) et mettent en avant la valeur qu'elles ont en commun avec les conservateurs: la foi dans le travail («hard work», précise le document).
C'est là du clientélisme pointu. Le malaise, c'est qu'il semble l'écho de situations observées au gouvernement depuis plus d'un an, que ce soit la crise vécue à Droits et Démocratie ou les coupes dans le financement de groupes d'aide internationale. Dans la confusion des genres qui règne présentement à Ottawa, ce document révèle bien davantage qu'une stratégie électorale: le rejet des uns au profit des autres.
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