Commission Bouchard-Taylor: les experts divisés

Accommodements et les régions

Ce n’est pas la crise, mais il y a clairement un malaise. À l’issue d’une semaine d’audiences, quelques membres du comité conseil de la Commission sur les accommodements raisonnables expriment des réserves quant à l’approche adoptée pour scruter l’opinion publique sur cette question délicate.


Ils craignent que, en ratissant très large, la commission Bouchard-Taylor ne finisse par laisser le débat dévier sur la question de l’immigration – au risque d’exacerber les tensions au lieu de les apaiser.
Dès le départ, Marie McAndrew, spécialiste des relations interethniques à l’Université de Montréal, estimait que la Commission adoptait une «perspective trop large», qu’elle juge «extrêmement dangereuse».
Les premières audiences n’ont rien fait pour diminuer ses craintes. La Commission a pris selon elle un pari très périlleux en choisissant de donner autant de place aux «inquiétudes de gens des régions, qui ne vivent pas la diversité, au lieu de parler surtout des problèmes des Montréalais qui font face à la diversité et ont besoin d’outils pour la gérer».
Résultat: «Le débat dérape sur la question de l’immigration. La peur de l’autre est un atavisme très ancré chez les humains, c’est un petit démon. Quand on l’attise, c’est difficile de ramener ça à quelque chose de civique», dit-elle en commentant quelques opinions entendues cette semaine.
Tribunes téléphoniques
«Ce qu’on a entendu à la Commission n’est pas nouveau, on entend ça tous les jours dans les tribunes téléphoniques», déplore un autre membre du comité d’experts, Bergman Fleury, conseiller en relations interculturelles au ministère de l’Éducation.
Il fait notamment référence aux propos d’un participant qui a affirmé avoir «enduré» les musulmans en Égypte et ne pas avoir envie de les «endurer» au Québec – des propos qui l’ont mis mal à l’aise.
«Il me semble qu’il faudrait que les commissaires aient le courage de dire que certains propos ne sont pas souhaitables. On n’est pas obligés d’accepter des propos racistes», a-t-il dit à La Presse.
Division
La commission Bouchard-Taylor a mis sur pied un comité de 15 experts pour la seconder dans ses travaux. La Presse en a joint 10. Deux ont refusé de commenter les audiences de cette semaine, invoquant un emploi du temps trop chargé ou le devoir de réserve.
Parmi les autres, quatre se sont montrés préoccupés par l’approche adoptée. Les quatre autres estimaient au contraire que la Commission avait eu raison de tout mettre sur la table – des inquiétudes soulevées par l’immigration jusqu’à la question de l’identité. Tous ont souligné qu’ils s’exprimaient à titre personnel, et non au nom de la Commission.
«La réflexion sur les accommodements doit être faite dans un contexte plus large. S’il y a un malaise (entre majorité et minorités), il faut aller le chercher, dire les choses clairement», affirme Aïda Kamar, qui dirige l’organisme Vision Diversité.
Elle se dit «ravie» du ton des audiences, qui, à quelques rares exceptions près selon elle, se sont déroulées dans un climat serein.
C’est aussi l’avis de Jacques Beauchemin, sociologue à l’UQAM, qui reconnaît toutefois que l’approche comporte des risques de dérapage en étalant «préjugés et inimitiés» sur la place publique. Le plus grand risque, selon lui, serait une mise au banc de la minorité musulmane. Mais, tout compte fait, il dit avoir été frappé par le «respect des différences» qui a marqué cette première semaine d’audiences.
Mélange des genres
Le philosophe Daniel Weinstock a suivi les audiences à Gatineau et s’est «raidi» à quelques reprises devant des propos dérangeants. Lui aussi croit qu’il aurait mieux valu restreindre le mandat de la Commission. Dans un article qu’il signe dans le dernier numéro de L’actualité, il fait d’ailleurs une mise en garde contre une confusion entre le débat sur les accommodements et les questions du multiculturalisme ou de l’immigration.
Ce mélange des genres s’est pourtant bel et bien produit pendant la semaine d’audiences – mais M. Weinstock pense tout compte fait que les deux présidents n’avaient pas vraiment le choix. «S’ils avaient voulu restreindre le débat, ils se seraient fait accuser de vouloir le censurer.»
Autre membre du comité, Rachida Azdouz, vice-doyenne de la faculté d’éducation permanente de l’Université de Montréal, croit elle aussi qu’il aurait été «plus prudent» d’axer le débat sur la place de la religion dans la sphère publique – puisque c’est là que se produisent les tensions.
Mais, selon elle, «des débordements auraient eu lieu de toute façon».
Aller jusqu’au bout
Même si le comité est divisé sur l’approche adoptée par la Commission, ses membres s’entendent tous sur une chose: maintenant que celle-ci est lancée, il faut aller jusqu’au bout. «Ce n’est quand même pas un désastre, il faut espérer pour le mieux», dit Marie McAndrew. D’autres mentionnent que le succès de l’exercice dépend de la manière dont les commissaires réussiront à faire la synthèse des consultations.


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