Comment les médias accroissent la panique des marchés

Crise mondiale — crise financière


Jean Quatremer - La crise de la dette souveraine montre à quel point la déontologie journalistique est une notion éminemment relative. Le Financial Times, le quotidien britannique des affaires, vient, d’en fournir une magnifique illustration. Dans son édition électronique d’hier, il a publié un article alarmiste intitulé : « Berlin rejette toute augmentation du Fonds européen de sauvetage ». Gasp ! Une nouvelle fois, l’Allemagne joue la politique du pire, se dit-on.

L’affaire débute mercredi soir, à Paris. Le très orthodoxe Axel Weber, le président de la Bundesbank, déclare, lors d’une conférence, que, si les instruments européens créés dans la panique de la crise grecque et capables de mobiliser 750 milliards d’euros, ne suffisaient pas, « les pays européens feront le nécessaire et augmenteront leur engagement ». Une déclaration magnifiquement pro-européenne qui montre que Berlin est prêt à prendre ses responsabilités, ce qui ne peut que contribuer à calmer la panique des marchés. Mais, patatra : selon le FT, le gouvernement allemand n’est pas sur la même longueur d’onde que le patron de la Buba, ce qui est grave et ne peut qu’accroitre la défiance des marchés.
Une lecture attentive de l’article, signée par deux pointures du journal, nous apprend cependant qu’il n’en est rien. En fait, interrogé sur des rumeurs de presse qui affirment, sans source, que la Commission (elle est rapide, mais il ne faut pas exagérer quand même) a déjà approché le gouvernement allemand pour doubler les fonds européens, le porte-parole d’Angela Merkel, Steffen Seilbert, a simplement démenti : « c’est réellement un non-problème pour l’instant pour le gouvernement allemand. Nous n’avons jamais été approchés d’aucune façon à ce propos. Toutes les discussions ont lieu dans le cadre de la facilité existante ». Donc, si on comprend bien, le fait que le gouvernement allemand démente une rumeur de presse vaut « rejet » de la proposition de Weber. On est donc en pleine désinformation.
Ce n’est pas la première fois que le FT est pris dans le sac du mensonge (lire ici). Mais il n’est pas le seul à manipuler l’information ou à colporter des rumeurs. On l’a vu dans le cas irlandais où les agences de presse financière anglo-saxonne, dont les principaux clients, rappelons-le, sont les banques et autres établissements financiers, ont joué la dramatisation de la situation irlandaise, annonçant d’abord que Dublin n’avait pas d’autre choix que d’appeler à l’aide les Européens (ce qui reste techniquement faux), puis, ensuite, que des négociations avaient lieu entre avec les autorités européennes à une époque où il n’en était rien, ce qui n’a fait qu’accroître la panique des marchés et à pousser l’Union à intervenir, ce que souhaitaient les marchés. C’est ce qu’on appelle une prophétie autoréalisatrice.
Et cela recommence avec le Portugal et l’Espagne : quelques minutes à peine après l’annonce, dimanche, que Dublin a demandé l’activation du Fonds européen de stabilisation financière (FESF), les premières dépêches ont commencé à tomber sur le risque de contagion de la crise irlandaise. Et depuis, les dépêches pleuvent comme à Gravelotte, affolant les marchés… Le plus grave est que les autres médias, qui ont pourtant le temps de l’investigation pour eux, suivent, par peur d’être en arrière de la main (on ne compte plus les articles titrés : « à qui le tour ? »). Cela me donne à penser que, manifestement, les sources des non saxons ne sont pas les mêmes que celles des Anglo-saxons et, surtout, il semblerait qu’on soit plus au courant de ce qui se passe dans la zone euro à Londres qu’à Bruxelles, mes collègues en poste dans la capitale de l’Union et travaillant pour des médias britanniques râlants contre leur rédaction centrale qui n’hésite pas à durcir leurs papiers pour les rendre plus alarmistes. Il suffit de lire les dépêches Reuters en français et en anglais pour voir la différence de ton.
Le dernier canard que j’ai lu se trouve dans les Échos de ce matin, mon journal favori pourtant. Une journaliste de mes amies affirme dans son papier que le montant actuel des fonds de secours européens « est généralement jugé insuffisant pour couvrir un besoin de liquidités de l’Espagne et du Portugal ». Je suis tombé de ma chaise : outre qu’il n’y a aucune source (« généralement » n’est pas une source), j’ai sous les yeux une note du 22 novembre de Barclays capital qui dit exactement l’inverse : « Les besoins de financement de l’Irlande (85 milliards d’euros, NDA), du Portugal (34 milliards) et de l’Espagne (255 milliards) seraient donc inférieurs à la capacité de financement de l’action européenne ». Alors, quelle est la source des Échos ? Quel calcul a servi de base à cette affirmation ?


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