Crise après crise, l’Europe fonce vers l’abîme

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Le non-avenir de l'Union Européenne

L’Union européenne passera-t-elle l’année 2016 ? Jamais depuis le début de la construction communautaire, dans les années 50, elle n’a encaissé une telle succession de chocs. «Je perçois pour la première fois un danger sérieux de désagrégation de l’UE», a solennellement averti, cette semaine, l’Allemand Günther Oettinger, le commissaire européen chargé du numérique. Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, lui, s’est dit «sans illusion» sur l’année qui commence et, en plaisantant, s’est jugé encore «trop jeune» pour dire si 2015 avait été l’année la plus difficile de toute l’histoire de l’Union…
Depuis 2008, l’Europe tombe de Charybde en Scylla. Tout commence avec la faillite financière américaine de 2007 qui a accouché, en 2008, d’une crise économique, la plus grave depuis 1929, qui n’en finit pas de finir en Europe. Une crise qui a failli emporter la zone euro et dont la Grèce n’est toujours pas sortie. Les aventures de politique étrangère américaine, mais aussi britannique et française, ont déstabilisé le Machrek et le Maghreb, ce qui a amené un million de personnes à chercher refuge dans l’Union et conduit à une nouvelle flambée de terrorisme sur le sol européen. Et les tâtonnements de la diplomatie communautaire ont réveillé l’ours russe et entraîné un démantèlement partiel de l’Ukraine ainsi qu’une tension inédite entre l’Est et l’Ouest européen depuis l’effondrement du communisme en 1990.
Face à cette polycrise, que les Etats européens n’ont pas toujours vu venir, mais surtout pas voulu anticiper car cela les aurait obligés à des partages de souveraineté de précaution, l’Union a réagi. Parfois avec succès, comme l’a montré l’intégration accélérée de la zone euro. Mais ce qui a été possible à dix-neuf pays, et encore de façon imparfaite à cause du refus français de renégocier les traités européens, ne l’a pas été à vingt-huit : la crise des réfugiés, qui est loin d’être terminée, a révélé des fractures béantes entre l’Est et l’Ouest, montrant à quel point l’élargissement avait été bâclé.
Alors que, pour une partie des pays d’Europe de l’Ouest, l’Allemagne au premier chef, l’asile et le respect des minorités sont des valeurs héritées d’une histoire tourmentée et violente, pour les anciennes démocraties populaires, tel n’est pas le cas : elles se vivent toujours comme des victimes de l’histoire qui ont, à ce titre, des droits et aucune obligation. Si friandes de l’argent européen et des droits offerts par l’UE, la solidarité est, pour elles, à sens unique : elles ont ainsi refusé de venir en aide aux pays dépassés par l’afflux brutal de réfugiés (alors qu’elles sont aussi responsables de la situation, puisqu’elles sont allées en Irak en 2003) et surtout ont violemment rejeté ces musulmans, perçus comme irréductibles à la civilisation européenne… Des murs ont rapidement surgi à l’Est et les propositions de la Commission pour que l’Union agisse de conserve se sont heurtées à leur hostilité sans nuance.
Ce repli sur le pré carré national qui est à l’œuvre a été préparé par la crise économique qui a fait le lit des populistes europhobes. Après 1929, plusieurs pays ont pensé que le fascisme était la meilleure réponse aux défis du temps. Quatre-vingts ans plus tard, les peuples sont pareillement tentés par des solutions extrêmes que l’on appelle désormais «populisme» : la droite autoritaire est aux commandes en Pologne et en Hongrie, elle participe au gouvernement en Belgique, au Danemark et en Finlande, elle est en pleine expansion en Suède, en France, aux Pays-Bas, en Italie. Finalement, seuls l’Allemagne et les pays qui ont connu des dictatures récentes (Espagne, Portugal, Grèce) semblent immunisés. Le terrorisme islamiste ne fait que renforcer ces partis qui font du rejet de l’autre leur fonds de commerce.
Autant dire que le projet européen fondé sur la paix, la tolérance, la liberté, l’Etat de droit et l’ouverture au monde n’a pas le vent en poupe : l’heure est à la défense des intérêts nationaux les plus étroits, les plus immédiats, les plus illusoires. C’est aujourd’hui la culture lepéniste qui triomphe : «Je préfère ma famille à mes amis, mes amis à mes voisins, mes voisins à mes compatriotes, mes compatriotes aux Européens.» Combien de temps l’Union, un projet né sur les ruines de l’après-guerre, pourra-t-elle résister à la vague xénophobe et paranoïaque qui submerge à nouveau nos vieilles sociétés épuisées ? Les dirigeants européens, de droite comme de gauche, au lieu d’aller à contre-courant d’opinions publiques travaillées au corps de leurs peurs, n’ont rien trouvé de mieux que de courir après les partis extrémistes, comme on peut le voir en France. Plus rien ne semble devoir endiguer le retour du national qui a pourtant mené l’Europe à l’abîme.


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