Le ministère des Finances ou Jacques Parizeau?

Comment avoir l’heure juste sur l’état des finances du Québec

Chronique de Pierre Gouin

La semaine dernière l’ancien premier ministre Jacques Parizeau a contesté le message officiel sur l’état des finances publiques en affirmant, d’une part, que la dette du Québec n’est pas à un niveau inquiétant et, d’autre part, que le Québec n’est pas en déficit budgétaire mais qu’il est plutôt en surplus d’un milliard de dollars cette année.
Plusieurs ont considéré ces affirmations comme de simples opinions politiques de l’ancien premier ministre. L’éditorialiste du Devoir Jean-Robert Sansfaçon a réagi en confirmant le surplus d’un milliard de dollar avancé par M. Parizeau mais il a poursuivi en exprimant une opinion sur la nécessité d’être prudent en matière de finances publiques. M. Parizeau avait lui-même dévié sur le terrain de l’opinion en proposant de reprendre le débat sur la gratuité scolaire.
Pour moi les réactions sont passées à côté de l’essentiel. M. Parizeau corrige les données officielles du gouvernement. Est-ce normal que nos gouvernements puissent jouer avec les chiffres au point où nous ne connaissions pas l’état des finances à un milliard près? En continuité avec son prédécesseur, le gouvernement actuel a annoncé des coupures dans les garderies, à l’aide sociale, en éducation et en santé soi-disant pour atteindre à la date prévue le déficit zéro. Ce message est faux. La valeur officielle du déficit résulte d’une astuce comptable et les coupes ont été nécessaires pour assurer le remboursement d’environ un milliard de dollars de dette existante.
Ces versements annuels au Fond du remboursement de la dette réalisés aux dépens des services publics sont-ils nécessaires? Les données complètes sur la dette présentées par M.Parizeau remettent sûrement en cause cette nécessité mais la population a été mal informée et ce vrai débat n’a pas eu lieu. Nos gouvernements sont en mesure de nous manipuler en ne nous donnant pas l’heure juste quant à l’état des finances publiques.
Il n’est pas possible de se fier uniquement à la compétence des professionnels du ministère des Finances puisqu’il ne s’agit pas là d’une question de compétence. La fonction publique n’est pas indépendante du pouvoir politique et les hauts-fonctionnaires des Finances ne peuvent pas, en principe, agir à l’encontre des choix politiques de leurs patrons. En pratique, les dossiers sont parfois tellement complexes que ce sont les fonctionnaires qui peuvent imposer leurs orientations au ministre, ce qui exclut pratiquement tout débat public.
Il faudrait donc absolument se doter d’un organisme chargé de donner sur une base régulière un avis indépendant sur l’état des finances publiques courantes et sur les projections pour les dix ou vingt prochaines années.


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7 commentaires

  • Pierre Gouin Répondre

    27 mai 2013

    Je regrette d'avoir mal réagi à votre commentaire M. Rancourt. J'ai toujours eu tendance à critiquer mes patrons, je me suis fait trop taper dessus et quand j'ai l'impression qu'on me dit que j'exagère je devient trop impulsif. Ma proposition générale est de renforcer l'indépendance des organismes de surveillance et d'en élargir les mandats. Je n'ai pas essayé de définer des mécanismes qui le permettrait. Il faudrait q'un parti politique reprenne l'idée pour qu'un débat se fasse mais je n'ai jamais perçu un quelqonque intérêt. Merci pour vos commentaires.
    Meilleures salutations

  • Yves Rancourt Répondre

    27 mai 2013

    Monsieur,
    Vous me semblez avoir toutes les réponses aux questions que vous soulevez. Alors pourquoi les poser? Et puis, si vous avez une proposition concrète à mettre sur la table, mettez là sur la table et on en débattra au besoin.
    Si par ailleurs vous aviez bien lu mon texte vous auriez pu comprendre que je n'ai jamais formulé de propositions quant à monsieur Gill et l'IEDM.
    Salutations.

  • Pierre Gouin Répondre

    27 mai 2013

    Monsieur Rancourt,
    Je suis familier avec les concepts et les normes comptables, et sur Vigile, j’ai souvent insisté sur la nécessité de stabiliser le ratio de dette et d’équilibrer le budget. Dans cet article, je dis qu’en l’état actuel de la dette et des finances il n’est pas nécessaire de couper dans les services publics pour rembourser de la dette. Votre commentaire ne répond pas à mon propos. Je dis surtout qu’il faudrait mettre fin aux discours manipulateurs basés sur des données tordues. Là-dessus vous êtes loin de me rassurer. Est-ce que nous ne sommes pas forcés aujourd’hui de nous questionner sur le fonctionnement de nos institutions, particulièrement celles qui ont un mandat de contrôle de l’utilisation des deniers publics?
    Je peux vous affirmer que le Vérificateur général doit toujours négocier avec le gouvernement pour savoir ce qu’il peut se permettre de critiquer et jusqu’à quel point il peut le faire. Le compromis consiste souvent à reporter la critique à un moment plus convenable pour le gouvernement, soit à plusieurs années plus tard. Est-ce que vous avez déjà vu le Vérificateur en appeler au parlement pour se défendre face au gouvernement? Le gonflement artificiel du déficit dénoncé par M. Parizeau existe depuis 2006; est-ce que vous avez déjà entendu le Vérificateur général commenter cette comptabilité pour le moins ambigüe? Les professionnels qui acceptent ce poste en connaissent les contraintes et ils les acceptent.
    La proposition de compter sur des citoyens éclairés comme le professeur Gill et M. Parizeau pour surveiller les finances publiques ne me semble pas très sérieuse. M. Gill a publié des études très critiques sur les données officielles concernant la dette du Québec et, à ma connaissance, ces études n’ont pas trouvé grand écho dans les médias ni ébranlé la confiance des éditorialistes en la valeur des données officielles. M. Parizeau a toujours beaucoup de succès avec les médias et il sait très bien démasquer les astuces des fonctionnaires des Finances puisqu’il a été le maître des plus anciens et qu’il a lui-même instauré cette culture de comptabilité impressionniste qui y est pratiquée.
    Il semble n’y avoir pas beaucoup de relève parmi les spécialistes pour examiner en détail les documents publiés par le ministère des Finances, d’autant plus que les données brutes ne sont pas accessibles et que les analystes externes doivent travailler avec les tableaux arrangés par les fonctionnaires.
    Quant à la référence à l’Institut économique de Montréal (IEDM) comme gardien des comptes publics, il vaut mieux en rire. Cet institut à vocation idéologique ne recherche les problèmes que d’un seul côté et ses études ne font pas preuve du minimum de rigueur scientifique exigé normalement d’un étudiant à la maîtrise.

  • Yves Rancourt Répondre

    26 mai 2013

    Monsieur Gouin,
    Je suis d'accord avec vous qu'il est difficile, pour ceux qui ne sont pas familiers avec les conventions comptables et les concepts de dette brute, de dette nette et autres, d'avoir "l'heure juste sur l'état des finances publiques". Mais ce n'est pas l'information qui manque à cet égard. Le ministère des Finances et de l'économie, qui a des obligations de rigueur à ce sujet, publie tous les ans des états de situation détaillés qui donnent un très bon aperçu de la situation. Puis, le Vérificateur général du Québec, organisme indépendant nommé par l'Assemblée nationale(et non le gouvernement!) intervient régulièrement, comme il l'a fait en 2011-2012, pour donner son avis au gouvernement et lui formuler des recommandations sur ce qui doit être corrigé. Le Vérificateur général est ainsi intervenu en 2012 pour dire au gouvernement Charest qu'il avait sous-estimé la croissance de la dette de 11 milliards de $, ce que le gouvernement a reconnu rapidement. Et, enfin, il y a tous ceux qui, comme monsieur Parizeau, l'économiste Louis Gill, l'IEDM et autres, interviennent en apportant des éclairages utiles au débat.
    Je ne voudrais pas relancer le débat sur l'état de la dette publique québécoise mais un fait demeure: peu importe la façon de la regarder, la dette du Québec est relativement élevée et mérite maintenant une attention soutenue, surtout dans le contexte où le Québec voudrait être un État indépendant. John Adams, l'un de ceux qui a écrit la constitution américaine, disait en 1826: " Il y a deux manières de conquérir et d'asservir une nation. L'une est par l'épée, l'autre est par la dette". On voit présentement en Europe que plusieurs pays sont en voie de perdre leur souveraineté nationale à cause de leur endettement. Ceux qui rêvent de faire du Québec un État indépendant ne devraient prendre aucun risque avec notre dette publique.
    Mes salutations

  • Pierre Gouin Répondre

    25 mai 2013

    @ M. Cloutier
    Je ne sais pas exactement quelle forme les nouvelles institutions devraient prendre mais en principe je suis d'accord avec vous. En gros,notre système parlementaire ne permet pas un contrôle adéquat de la gestion des affaires publiques. Les partis d'opposition vont toujours critiquer sévèrement le parti au pouvoir mais en prenant bien soin de ne pas remettre en question les règles du jeu qui donnent des pouvoirs exagérés au gouvernement élu. Par exemple, le Vérificateur général accepté par le parlement connaît très bien les limites de son mandat. J'adressais indirectement une demande au gouvernement péquiste mais sans vraiment espérer qu'il y donne suite.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 mai 2013

    Je me méfie comme la peste des experts prétendument indépendants qui sont nommés par les élus, souvent sur une base partisane. Je verrais très bien, par contre, un organisme de la nature d'un jury citoyen, aidé d'experts, qui pourrait remplir ce rôle.
    La différence - et elle est de taille - c'est que les citoyens seraient tirés au sort - comme dans les jurés en matière criminelle - avec des critères de sélection précis - et que les experts seraient au service des citoyens et non pas des élus qui les ont nommés.
    De façon générale ce rôle devrait être confié à une Chambre citoyenne tirée au sort pour des mandats courts et non renouvelables, qui, avec l'aide d'experts, agirait comme organisme de contrôle et de surveillance des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
    Ce serait justement là la meilleure façon de mettre le citoyen au coeur des institutions décisionnelles de l'État.
    Pierre Cloutier

  • Pierre Gouin Répondre

    25 mai 2013

    La première ministre aurait intérêt à créer dès maintenant un organisme de surveillance des équilibres budgétaires et de la dette et à renforcer le mandat du Vérificateur général. L'éthique et la transparence constituent un des seuls terrains où elle peut marquer des points facilement. C'est d'autant plus important que les critiques de M. Parizeau ont été orientées uniquement vers le gouvernement actuel alors que le gonflement artificiel du déficit a été introduit il y a plusieurs années par le gouvernement libéral. Le libéral Fournier continue à marquer dans son propre filet sans se faire huer. Les analystes regardent ailleurs.
    Avec la complicité des médias, la confusion prévalait encore ce vendredi quant au véritable message de M. Parizeau. La question n'est pas de savoir s'il fallait atteindre le déficit zero cette année mais plutôt quelle est la vraie valeur du déficit. Il faut comprendre que le déficit zero aurait pu être atteint cette année, sans coupure,simplement en suspendant les versements au Fonds des générations, lesquels sont destinés au remboursement de la dette.