Réponse à Dominic Desroches

Collaboration spectrale

Peut-être les temps sont-ils mûrs pour reconnaître que le cas québécois prend une tournure de plus en plus sinistre

Penser le Québec - Dominic Desroches

Très suggestive cette métaphore spectrale de Dominic Desroches, très proche de mes propres intuitions. Il me semble en effet que l’imaginaire fantastique est celui qui convient le mieux pour interpréter l’univers dans lequel nous entraînent le politique et les médias dont la sottise, l’irresponsabilité, si ce n’est la malice, nous font plonger en pleine irrationalité.
Quelques interventions dispersées donnent à penser que la souffrance psychique, engendrée par les implications sépulcrales du vivre ensemble québécois, commence à devenir assez palpable pour que certains la perçoivent. Peut-être les temps sont-ils mûrs pour reconnaître que le cas québécois prend une tournure de plus en plus sinistre.
On assiste effectivement à un phénomène de déréalisation, de déconnection qu’il est possible d’associer avec une peur de vivre, une incapacité ou une interdiction de vivre, une peur d’exister qui se traduit par une obsession de la mort. Obsession qui n’est pas nouvelle mais qui se renforcit d’autant plus que nous croyons la conjurer en tournant tous nos espoirs vers les mages de la science et de la santé éternelle. Quand on sait à quel point notre conception de la médecine est un haut lieu d’instrumentalisation inhumaine, on comprend que l’angoisse n’a absolument pas été vaincue par le progrès et qu’elle prend ici une ampleur que notre campagne de vaccination permet d’observer en toute objectivité.
Certains commencent à se demander si notre sentiment de fragilité, d’isolement, de vulnérabilité si propice à toutes les épouvantes ne serait pas en rapport avec notre structure identitaire défaillante. Se pourrait-il qu’une personnalité sans identité soit comparable à un corps sans âme; ça fonctionne, ça se lève, mu par une volonté extérieure, poussé par un vent de panique et ça s’effondre parce que ça ne sait pas lutter.
Comme pour tous les maléfices, celui-ci ne sera rompu que lorsqu’il y aura des esprits rationnels et des cœurs compatissants pour, non-seulement désigner le mal, mais le soigner.
La première étape, c’est d’admettre que nous souffrons, la deuxième, c’est de chercher à se soigner. Il ne s’agit pas ici du corps physique, il s’agit d’autre chose dont il faudrait tenir compte. Autre chose que l’on n’ose pas développer, que l’on n’ose pas explorer et dont l’indicible contribue à l’atmosphère d’inquiétude, à cette hantise évoquée par M. Desroches.
Le mal d’être québécois ne sera pas guéri par nos bons docteurs, ni par nos politiques, ni par des pilules ni par la parousie de l’accession à l’indépendance.
Comment redonner foi en elle-même à cette pauvre créature anonyme qui ne peut se définir que comme une vague émanation démocratique parlant français, comment lui donner une autre raison de vivre que son pauvre corps périssable et son compte en banque. Comment la resolidariser avec son semblable? Comment la réintroduire dans une communauté en laquelle elle se reconnaisse?
Telles seraient les question qu’il faudrait se poser. Et toutes les réponses tournent autour de la définition identitaire.
Oui nous sommes un peuple souffrant. Un égrégore d’âmes en peines condamnées à errer sans fin dans le brouillard informe de l’esprit qui n’a pas prise sur les choses. Et pour expier quelle faute? Nul ne le sait…
Je vous salue donc M. Desroches et je vous envoie cet extrait des Pirates fantômes de William H. Hodgson où il est question de cette brume cotonneuse qui isole et qui enveloppe dans le silence, de navire et de naufrage causé par des pirates fantômes venus non pas de l’horizon mais de sous le vaisseau, confondus avec son propre reflet :
«Les mâts prirent une inclinaison vers l’avant, j’ai vu l’arrière émerger de la brume. En un instant, nous avons recommencé à entendre les bruits provenant de ce vaisseau. Et je dois vous dire que les hommes ne semblaient pas crier mais hurler de douleur. L’arrière montait toujours plus haut. C’était un extraordinaire spectacle ; et puis le bateau se mit à plonger le nez en avant, droit dans cette brume».
P.S. : Je constate qu’on ne peut vous répondre directement. Serait-ce que vous êtes à l’instar de tous nos compatriotes intellectuels, une ombre insaisissable chargée de transmettre un message aux mortels mais à laquelle les mortels ne peuvent s’adresser? Comme c’est drôle… Esprit es-tu là?


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    26 novembre 2009

    À madame Doucet. à Ougho et au chasseur de fantôme : merci.
    Nous n'avons pas tous votre facilité à nous exprimer mais rien n'empêche que nous appréciions vos interventions sur Vigile. Bon séjour en Europe, Monsieur Desroches et si vous voulez bien accepter ce testament, bonne continuation à madame Doucet

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    24 novembre 2009

    Un Quetzal ! Ne bougeons plus ! Jumelles, silence, yeux au plus grand ! Marchant dans la forêt pluvieuse du Costa Rica, depuis tôt le matin, certains n’espéraient plus l’apercevoir malgré cette soif de voir, une fois dans la vie, le Quetzal. Mais après un vol furtif, invisible sous la ramée verte, il vient de se poser près de ses miniavocats préférés, les longs rubans verts de sa queue encore volant de son arrêt soudain. Il nous fait luire sa poitrine rubis, sa cape émeraude, sa huppe dressée qui fait ressortir l’œil noir et le bec de coq jaune… Il picore calmement. Visons-le, studieusement car il n’avertira pas avant de nous quitter. Ce pourrait être le seul Quetzal qu’il nous soit donné d’observer de notre vie.
    Il y a plusieurs mois, j’ai découvert un Quetzal sur Vigile. Il a fait son nid. Il a nourri sa famille, discrètement. J’ai essayé d’attirer l’attention sur lui, avec précautions. J’ai voulu qu’on remarque son caractère resplendissant, ses mœurs secrètes. J’ai voulu en garder les meilleures photos et faire découvrir ses comportements typiques.
    Mais aujourd’hui, je suis angoissé, triste. Le Quetzal ne trouve plus de nourriture, ou il craint des prédateurs, des braconniers, peut-être. Le Quetzal n’entreprend peut-être qu’une migration saisonnière, peut-être une modification de son aire géographique, à cause de changements du climat. Si c’est le cas, ne soyons pas trop accablés, nous le perdons, mais il va se perpétuer ailleurs. Le professeur Dominic Desroches nous quitte, il l’annonce aujourd’hui. Il nous laisse des photos, ses 80 articles sur Vigile.
    Nous attendons ce dernier article. Merci, Ouhgo

  • Archives de Vigile Répondre

    24 novembre 2009

    Je vous remercie Mme Doucet pour ce beau texte, à mon sens d'une perspicacité exceptionnelle! J'y trouve là une intuition et une profondeur... à chercher du côté féminin de l'être, peut-être?
    Nicole Hébert

  • Archives de Vigile Répondre

    24 novembre 2009

    Chère Madame,
    l'auteur est à la fois surpris et heureux de trouver une nouvelle lectrice, une vraie, une personne qui, visiblement, sait écrire et relever des points décisifs. Quand elle écrit que le mode littéraire qui nous convient est le fantastique, elle tombe juste. Elle voit également que les Québécois sont déconnectés de la réalité et qu'ils ont commencé - il l'avait lui-même évoqué, croit-il, dans La politique spectrale - à marcher sans direction, à vivre dans une Nef et à hanter une aile du grand manoir. La lectrice est déjà meilleure que l'auteur. Si elle lui permet une notule, il osera dire qu'il s'agit là d'une manifestation du repliement identitaire qui veut s'oublier et mourir. L'auteur a écrit et publié quelques textes courts à ce sujet sur Vigile...
    Cette personne ajoute - cela échappe à l'ensemble des auteurs et c'est dommage - que les Québécois ne pourront pas guérir (avec ou sans l'aide des médecins et des politiciens), car le mal est incurable, ce mal est plus profond que son étude possible, elle me semble avoir parfaitement raison. Un jour libres et souverains, plusieurs Québécois auront peur de la nouvelle réalité et chercheront à redevenir des sujets. La peur est inscrite au fond d'eux et ils ont appris à vivre en elle, à l'aimer et à la justifier électoralement. Ils ne pourront pas guérir parce qu'ils ne reconnaissent pas leur état et que leur maladie, comme disait le médecin Jacques Ferron, échappe à tous les dictionnaires et défie toutes les définitions. Et quand cette lectrice rapporte enfin les vers puissants de Hodgson, elle vient toucher sa sensibilité et montrer à tous qu'elle a déjà dépassé l'auteur de La politique spectrale. Elle est assurément l'une des meilleure candidatures destinées à le remplacer.
    Concernant l'auteur de ces lignes, il n'est pas un spectre, mais un professeur en congé. Bien qu'en tournée européenne, il prend le temps de répondre à ses huit lecteurs et il continue d'estimer le site Vigile. S'il a mieux faire qu'interpréter La Presse au quotidien et de chercher des erreurs dans les raisonnements des maîtres du Parti québécois, il demeure engagé à combattre les fantômes qui hantent les siens. Il vous demande instamment si vous acceptez de prendre sa place. Acceptez-vous de poursuivre son travail ? En un seul texte, vous avez été plus loin que lui en 80 ! Il est prêt à vous laisser son espace car il ne gagne rien à expliquer, à coup de concepts et d'images, ce que la plupart refuse de sentir et d'envisager. Et s'il répond à ses lecteurs à l'extérieur de sa collaboration, il ne veut pas faire d'ombre aux siens et accepte de disparaître dans les brumes qu'il a contribué à exposer. Vous vous êtes adressé à un chasseur de fantômes cohérent.
    Quant à sa collaboration spectrale - quel don de la formule ! -, elle tire à sa fin. L'auteur n'est pas un fantôme, mais un chasseur. Devrait-il écrire un avant-dernier texte ? Il pose une question en anticipant son avenir. Car, pour aller directement à la vérité, le chasseur de fantômes est à rédiger sa chronique nécrologique qui apparaîtra bientôt sur Vigile, c'est-à-dire à signer sa mort littéraire. L'auteur s'est amusé - il pourrait jouer au journaliste, tenter de battre le record du nombre de textes parus sur Vigile, mais il pense plutôt à ses enfants - et il sait que tout bon jeu est encadré par des règles claires à respecter. Il n'a pas le droit d'abuser d'un site puissant, trop généreux, et il reconnaît la chance merveilleuse dont il a bénéficié.
    Arrivé seul et sans ambition, armé d'un style foudroyant et peut-être menaçant pour les apôtres, il repartira seul et sans amis dès que l'orage éclatera. Combattre des spectres qui apparaissent partout, parfois sur Vigile, vous savez, est une tâche exigeante, capable d'achever plus d'un homme. L'auteur, d'ailleurs, sait gré à Ouhgo et quelques autres correspondants de l'avoir vu et les en remercie spirituellement.
    Permettez lui, chère Madame, une dernière collaboration, un dernier texte d'esprit pour les siens. Laissez lui la chance de faire paraître un dernier texte court destiné à protéger ceux qui aiment le Québec. Ensuite, il ne dérangera plus les convaincus, les théologiens contemporains de la cause, et, après avoir reconnu sa propre nécrologie, il retournera d'où il vient.
    L'auteur

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    23 novembre 2009

    Madame Doucet,
    Comme dirait le pape du dimanche soir, je vous cite:
    "On assiste effectivement à un phénomène de déréalisation, de déconnection qu’il est possible d’associer avec une peur de vivre, une incapacité ou une interdiction de vivre, une peur d’exister qui se traduit par une obsession de la mort."
    Crainte de la mort, oui. C'est le fait de l'occident, de l'Amérique du Nord, du Québec. Pour n'avoir pas connu la révolution qui fait naître les peuples mais tue les individus, nous avons peur des attroupements de masses, des manifestations, des confrontations. Mais si nous ne nous y décidons pas, les peuples meurent et les individus vivotent... vous y accolez la médecine déshumanisée, la course au vaccin... vous allez dans l'ésotérisme... y rejoindrez-vous la philosophie?
    (j'ai appris le mot parousie mais n'ai pas trouvé le mot égrégore)
    M. Desroches s'est exprimé sur ses préférences pour les échanges consistants au lieu d'impressions rapides. On trouve son adresse dans sa biographie sous Auteurs.

  • Rodrigue Larose Répondre

    23 novembre 2009

    Très belle réflexion sur notre psyché québécoise! D'aussi haut calibre que celle de monsieur Desroches qui vous l'a inspirée. Je crois avoir saisi l'ensemble, même s'il me faut avouer avoir hésité sur votre «égrégore d'âmes», inconnu de mon Robert.
    «Admettre que nous souffrons...» Je ne suis pas sûr que les fédéralistes soient sensibles à leur être identitaire, en soient même conscients. C'est souvent le déni. Pour préserver leur «compte en banque», finissent-ils par signifier. Les «resolidariser» avec leur identité «anonyme» ou aliénée et avec nous n'est pas facile. Souffrant du syndrome de Stockholm, ils n'admettent pas souffrir. Rodrigue Larose