Penser le Québec

Les cryptofascistes. Sur la peur du nationalisme

la pensée unique n’est peut-être pas où l’on croit... et la peur ne conduit pas à la liberté

Penser le Québec - Dominic Desroches

« L'homme libre est celui qui n’a pas peur

d’aller jusqu’au bout de ses pensées »

Léon BLUM
« C’est à la peur qu’il surmonte

qu’on mesure le courage »

Jacques FERRON
***
Le repliement identitaire est si puissant que les Québécois acceptent de
vivre leur existence dans la peur de déplaire. Ils sont prêts à tout pour
ne pas déranger et être aimés. Ils ont peur de faire peur. Hypersensibles à
ce que les autres peuvent penser d’eux, ils craignent de passer pour des
intégristes et des intolérants, voire des nationalistes. Pour le dire en
une formule simple : plusieurs Québécois, quand vient le temps de parler du
Québec, ont peur d’être vus comme des cryptofascistes qui s’ignorent.
Dans ce texte, je m’élèverai contre la tendance lourde qui nous oblige à
nous conformer au jugement arbitraire imposé par les autres. Je dénoncerai
les interdictions de penser, les appels à la conformité, les non-dits
culpabilisants et les jugements tronqués de certains voyageurs, car ceux-ci
nous empêchent de formuler une pensée authentique et de valoriser notre
manière d’exister dans le monde. Je montrerai à coup d’exemples que la
pensée unique n’est peut-être pas où l’on croit... et que la peur ne
conduit pas à la liberté.
La colère du groupe, la primitivité de l’ethnie et le remède dans le
nationalisme civique

Depuis les années 1990, nombreux sont les sociologues, historiens et
philosophes qui ont cherché une autre manière de concevoir le nationalisme.
Ils ont voulu supprimer toute référence au groupe, bien qu'il soit
majoritairement de souche française, afin de mettre sur pied une manière
inoffensive de défendre la nation. Ils ont mis dans la tête de leurs élèves
et de leurs épigones – qui sont dans les cégeps, les universités, les
médias et les commissions - que les Québécois devaient désormais montrer
patte blanche, se dire ouverts, et être amis de toutes les cultures du
monde. Autrement dit : ils devaient revoir leur modèle social, leur
histoire et leurs concepts politiques pour les adapter, à rebours, à la
mode de l’immigration mondialisante. Nos savants, et ils l’ignoraient,
carburaient au ressentiment et à la peur, ils étaient repliés et embarrassés
d’être simplement des Québécois. Au fond, ils voulaient parvenir à défendre
la nation au moyen des arguments de leurs adversaires pour avoir plus de
chances de passer enfin pour les gentils. Au lieu de comprendre la
dynamique psychopolitique des peuples, ils ont favorisé chez leurs élèves
les réflexes de défense et d’inhibition. Ces savants patentés, influencés
par des idéologies à la mode, ont imposé la théorie du nationalisme
civique. Ils ont faire entendre à la majorité l’idée pour le moins
discutable que le groupe est toujours intolérant, dangereux et que se cache
au fond de lui un monstre qu’il faut se garder de réveiller.
La peur d’être intégriste et l’abandon des droits collectifs
Ainsi, à tous les jours depuis environ vingt ans, ils se sont convaincus,
notamment en l’écrivant dans des manuels à l’usage de leurs enfants et des
nouveaux immigrants, que des Québécois qui entendaient manifester, porter
un drapeau et chanter des chansons, étaient des intégristes, des êtres
violents, c’est-à-dire des individus méchants comme il y en a quelques-uns
dans certains pays en guerre. Ils ont fait croire aux Québécois, eux qui
n’ont pas vraiment connu la guerre, que s’ils s’unissaient, élevaient la
voix et manifestaient, qu’ils seraient alors vus comme des intégristes et
des ayatollah. Croyant en la « bonne parole » des nouveaux curés en chaire
de nos universités, plusieurs élèves de cette nouvelle doctrine sans
reproche ont lentement abandonné leurs droits collectifs, leurs luttes
syndicales et se sont désolidarisés. Ils ont connu la peur de faire peur,
pour parler dans les mots choqués du révolutionnaire Pierre Vallières. Dès
lors et en sécurité, de nombreux Québécois achètent dans les grandes
surfaces et sont heureux de se dire souverainistes politiquement et
idéologiquement corrects. Ils attendent l'arrivée du pays auquel ils ne
croient plus. Sans le savoir, ils ont adopté le vocabulaire des nouveaux
curés qui, eux, ont dû apprendre à croire le discours des autres. La peur
de la grande tribu a obligé les Québécois à préférer le monde extérieur.
Devenus cosmopolites de service, libéraux sans conviction et partisans des
choix libres sans contraintes, ils ont remis les armes de leur combat de
jeunesse et ils cherchent désormais à disparaître dans la foule lors des
achats compulsifs de Noël.
Dénoncer, revendiquer ou souffler sur les braises de l’intolérance ?
Il convient ici d’être encore plus précis et de donner des exemples du
repliement identitaire et de la peur de faire peur produits par les
théories sociales inhibitives. La montée de l’ADQ a suscité dans la
population des craintes. Certains ont comparé sérieusement, nous parlons de
Québécois et de néoquébécois, Mario Dumont à Jean-Marie Le Pen. Parmi eux,
certains ont vu dans la rhétorique de Dumont un fils d’Hitler et une montée
québécoise de l’extrême droite. Comment argumenter avec sérieux et soutenir
sans rire que les idées de Dumont puissent être réellement comparées à la
solution finale et les camps de concentration et d’extermination ?
Évidemment, ce genre de repliement identitaire allait s’exprimer plus tard
dans ce qu’il est convenu d’appeler désormais la saga « Hérouxville ».
L’interprétation de la saga « Hérouxville » est assez simple au fond : en
pleine tempête médiatique au sujet des accommodements dits raisonnables
consentis aux minorités, des citoyens d’une petite ville ont manifesté,
maladroitement certes, la crainte de ne pas être entendus par les décideurs.
Or que s’est-il passé ? Ils ont été presque lapidés (c'est une image...)
sur la place publique pour avoir osé dire autre chose que ce que nos
universitaires bien en chaire et nos éditorialistes influents de Montréal
prônaient alors. Ils ont osé manifester un désaccord, en démocratie, sur
des situations inacceptables vécues à Montréal. Tout de suite, sans
réfléchir, de nombreux citoyens du Québec – surtout par la voix des médias
de Montréal – les ont accusés de souffler sur les braises de l’intolérance.
Au lieu de réfléchir sur la signification du message, ils ont critiqué et
caricaturé les messagers. Repliés, heureux de ne pas être du côté des
cryptofascistes, les animateurs de radio et les fossoyeurs de l’identité
francophone ont crié sur toutes les tribunes que ce comportement allait
nuire à l'image du Québec dans le monde entier, un peu comme si les actions
des conservateurs à Ottawa, elles, n’entachaient pas la réputation du
Canada. Le délire était à son comble, tout comme la paranoïa : plusieurs
Québécois ont sérieusement pensé - et j'insiste - que le fascisme était en
progression… au Québec ! Aujourd’hui, ils n'osent plus revenir sur ce
qu’ils ont dit ou écrit à l'époque.
L’exemple par excellence : la langue française à Montréal
Un dernier exemple devrait justifier notre thèse qui dit que plusieurs
Québécois, parce qu’ils ont peur de passer pour des cryptofascistes,
rejettent le nationalisme sous prétexte qu’il serait porteur d’intolérance.
Aujourd’hui, raisonnent-ils, il ne convient plus de s’associer à une cause
nationale et de se regrouper, car cela fait de nous des gens de droite et
la droite, en Europe, a déjà été extrême. Pensant ainsi, ils ont même peur
de défendre leur langue pourtant menacée.
En effet, dans les boutiques, les cafés et les restaurants de Montréal,
plusieurs vendeurs ou serveurs se font un devoir de parler anglais aux
touristes, mais aussi aux Montréalais de l’ouest et aux nouveaux arrivants.
L’idée est simple : il faut servir le client dans sa langue. Or si les
francophones se plient en quatre pour parler en anglais et bien servir le
client, ils ne réalisent pas que, partout ailleurs dans le monde, les
serveurs parlent d’abord leur langue nationale. Au Québec, si on ose penser
que le français est une langue internationale et que tout le monde ou
presque est en mesure de le comprendre, on se prend à penser encore qu’on
doit absolument parler en anglais. Au fond, plusieurs d'entre nous sommes
devenus incapables de parler notre langue au travail et de la défendre par
l'usage. Dans l’ouest de l’île, - et les Québécois feront tout pour
justifier cette exception historique - l’anglophone ne parle pas le
français et n’a pas honte de son unilinguisme. Au contraire ! Si
l’anglophone est fier de sa langue et de son refus de parler la langue de
la majorité, le francophone, lui, n’est pas fier et craint, inconsciemment,
l’accusation de fascisme. Il s’est persuadé que défendre le français était
le signe d'une intolérance, une idée radicale et que l’ouverture sur le
monde l’obligeait à parler en anglais. En réalité, il a abandonné sa langue
et sa culture ; il a peur de ce qu’il est devenu et de ce qu'on pourrait
dire de lui. Replié au possible, il n'ose même plus penser que les
radicaux, en vérité, sont ceux qui refusent de le respecter chez lui.
Où se trouve réellement le fascisme ?
Quand on voit les Québécois, qui ne connaissent plus désormais que la «
montréalisation de l’information » - se faire les chantres de l’anglais et
servir les clients dans la langue de Shakespeare, on se demande pourquoi
ils ont peur d’être à droite ? Quand on voit les Québécois – par le biais
des élites, des éditorialistes et des tribunaux – plier à l’ensemble des
demandes d’accommodements dits raisonnables et Mario Dumont connaître la
chute libre, on peut se demander où sont les intégristes, les intolérants
et les fascistes tant redoutés au Québec ? Quand on réalise que les
syndicats ne mobilisent plus les travailleurs, que les Québécois perdent
des acquis collectifs et que le Parti québécois ne parle plus de
souveraineté, on peut se demander pourquoi ils ont peur de passer pour des
extrémistes ? Quand on comprend enfin que plusieurs Québécois ne défendent
plus leur identité, qu’ils ont honte et qu’ils se disent citoyens du monde
avant de se dire Québécois, on ne peut manquer de s’interroger sur les
accusations de racisme et d’ethnocentrisme qu’ils anticipent et craignent.
Le malaise identitaire et le réflexe du repliement identitaire
Il convient de relever en conclusion que les idéologues, ceux qui ont
répandu le discours multiculturel et vanté les identités multiples, ont
frappé juste : ils ont réussi à inhiber un bon nombre de Québécois. Ceux-ci
ne sont plus en mesure de dire avec assurance d’où ils viennent. Ils ne
peuvent plus parler du Québec haut et fort et se sentent honteux d’avoir à
défendre leur langue à l’heure de la mondialisation. Le travail idéologique
d’une clique d’universitaires en quête de chaires fédérales a semble-t-il
contribué au syndrome du repliement identitaire. Ce repliement est le
retour pathologique de la crainte de déranger, de la peur de faire peur, de
la peur de faire du bruit : il correspond au réflexe de résignation du
petit devant le grand. Il s’illustre souvent en deux directions opposées :
d’un côté, un nombre considérable de Québécois se considèrent petits et
s’obligent à critiquer leur héritage ethnique et culturel ou, en sens
contraire, ils deviennent anglophiles, partisans du plus gros, et
s’attaquent à leur peuple au nom de la sacro-sainte ouverture au monde.
Dans les deux cas, ces individus sont incapables de voir la réalité et se
sentent forcés d’intégrer le discours moralisateur et inhibant de l’autre à
leur égard. Ils manquent de courage. Ils ont peur de dire ce qu’ils
pensent, ils ont honte et ils craignent les effets de leur colère. Ils se
sont eux-mêmes persuadés, en un mot, de ne plus rien dire, de peur d’être
associés aux cryptofascistes nationalistes.
Dominic DESROCHES

Département de philosophie

Collège Ahuntsic
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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