Charte des valeurs - À distinguer

« Le projet de Drainville n'est pas odieux »

Avant que la question de la Charte des valeurs québécoises ne soit complètement réduite à une affaire d’intolérance et de xénophobie, comme on a ramené l’an passé le printemps étudiant aux seules manifestations violentes, osons encore parler du fond de la question : la nouvelle force du religieux dans l’espace public.

Quel curieux retour des choses que ces débats virulents autour de la Charte des valeurs québécoises. Autrefois, il n’y a pas si longtemps, le Québec avait pourtant su s’extirper de la pesanteur catholique en distinguant les croyances de leurs représentations.

Il suffit de revoir, comme on peut le faire ces jours-ci, Les belles-soeurs de Michel Tremblay. Le rapport à un catholicisme qui enferme, et oppresse les femmes, traverse toute la pièce, mais l’heure du chapelet, ce moment où Germaine Lauzon et ses invitées arrêtent tout pour prier, en cristallise l’expression. À la création, en 1968, c’était une provocation. Vingt ans plus tard, c’était devenu une amusante réminiscence folklorique du passé. En 2013, la religion qui rythme la vie de ces femmes, et que transgresse le personnage de Pierrette, tout en chevelure, jambes et décolleté, retrouve tout son sens pour les spectateurs. Nous savons à nouveau ce que signifie l’expression ostensible du fait religieux.

Nous ne sommes pas les seuls. Un ministre britannique vient tout juste de se questionner publiquement sur la pertinence du port du voile à l’école, ce qui a relancé les distinctions entre le voile, le niqab, la liberté de religion, les abus des religions, et ramené la France comme repoussoir. Air connu.

Ce qui distingue nos débats d’ici, et de ceux d’hier, c’est la difficulté grandissante que nous avons de les dépersonnaliser, de les détacher des individus singuliers. Au temps du féminisme le plus militant, on était pourtant capables de dire aux hommes de ne pas prendre ça « personnel », mais politique. Les batailles n’étaient pas contre Robert, Mario ou Gaétan, mais pour une affirmation collective des droits des femmes. Tant pis si, au passage, ça déplaisait à Robert et compagnie, l’objectif à atteindre dépassait leur seule personne. Cette approche-là s’est perdue.

L’aspect le plus controversé du projet du gouvernement Marois porte sur le port de signes religieux dans la fonction publique. Il n’est pas question d’empêcher de croire, ni de réserver des postes à certaines confessions, mais simplement que les agents de l’État affichent une neutralité religieuse, complément logique d’une sécularisation entreprise depuis longtemps, et plus tardivement qu’ailleurs. C’est, collectivement, une demande parfaitement légitime dans une société qui devient de plus en plus multiconfessionnelle.

Mais la rationalité de cet objectif se bute à la réaction des individus. C’est ainsi que le refus de Fatima d’enlever son voile devient le symbole même de la liberté de religion. Sa croyance sincère, pour reprendre l’expression juridique, disqualifie tout autre argument. Il y a ici une vraie hiérarchisation des droits de la personne, qui n’est pourtant pas prévue dans nos Chartes : à cette aune, il est clair que l’obédience religieuse l’emportera toujours. Le fait que le port du voile dans la religion musulmane n’a rien d’obligatoire n’est même pas considéré. Fatima a dit non, l’État ne pourrait donc lui prescrire des normes vestimentaires comme critères d’embauche, selon cette logique. Les foules, elles, n’en ont que pour le bonheur de Fatima et sont imperméables aux symboles. Après tout, qu’est-ce qu’un État (des murs), un voile (du tissu), un crucifix (un objet patrimonial), une statue du Sacré-Coeur (un cadre éthique, comme l’écrivait la Cour d’appel du Québec dans son jugement sur la prière au Saguenay !). Du bonbon pour les militants de la foi.

Mais que fait-on du droit au travail des Fatimas de notre fonction publique ? répondent les opposants à la Charte des valeurs. On peut envisager, pourquoi pas, des clauses de droit acquis : embauchées alors que le voile était permis, qu’elles le gardent. Mais les postulantes de l’avenir sauront à quelles conditions d’embauche se soumettre. Il faudra toutefois que les règles soient claires et universelles. Le projet de Bernard Drainville a à cet égard besoin de correctifs. Mais il n’est pas odieux.


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