Charge en règle contre le pdg de Radio-Canada

D3e2b8d25a098f31f361b96fa33ec77d

Qu'en pense Pierre Craig de la FPJQ ?

(Québec) Rarement un président-directeur général de CBC/Radio-Canada a-t-il entretenu des liens aussi étroits avec le gouvernement au pouvoir. C'est du moins ce que révèle Alain Saulnier au sujet d'Hubert T. Lacroix dans un livre-choc intitulé ICI était Radio-Canada, qui paraîtra mardi aux éditions du Boréal, au moment où le diffuseur public traverse une crise sans précédent.
Grand patron de l'information de 2006 à 2012, M. Saulnier y fait plusieurs révélations étonnantes. Celui qui a passé près de 30 ans à Radio-Canada lance un cri d'alarme, convaincu que les méthodes de l'actuel pdg, guidées par l'augmentation de revenus commerciaux, mèneront le diffuseur tout droit à sa disparition. «C'est un comptable. Il vient du milieu financier. Pour définir l'avenir de Radio-Canada, ça prend des visionnaires. Malheureusement, ce n'est pas son cas», dit-il à son sujet, en entrevue au Soleil.
Alain Saulnier montre du doigt le mode de nomination des membres du conseil d'administration du diffuseur, tous partisans du Parti conservateur. Il parle abondamment de son président depuis 2012, Rémi Racine, qui se vantait d'écouter l'émission de Paul Arcand au 98,5 FM le matin plutôt que la radio de Radio-Canada. Toujours selon l'auteur, Hubert Lacroix aurait appuyé la candidature de Rémi Racine à la présidence du C. A., et celui-ci aurait usé de son influence auprès du cabinet des ministres pour que Lacroix obtienne un deuxième mandat de cinq ans comme pdg, du jamais-vu en matière de longévité.
Il décrit les interventions surprenantes de l'ancien ministre du Patrimoine James Moore auprès de la haute direction. Quand Gilles Duceppe a été annoncé comme nouveau chroniqueur de l'émission de Catherine Perrin à la radio, Hubert Lacroix a reçu un courriel du ministre Moore, qui disait simplement ceci : «Duceppe?...» Encore là, un ministre intervenait personnellement pour influencer le pdg. «C'est contraire à la loi, souligne Alain Saulnier. Le ministre n'a pas le droit d'intervenir dans la programmation. C'est interdit.»
Pour illustrer l'idéologie conservatrice partagée par Lacroix, Alain Saulnier relate un forum réunissant environ 200 cadres en 2008 à Toronto, durant lequel le pdg a témoigné au micro toute son admiration pour un invité surprise, le général Rick Hillier, celui-là même qui avait convaincu le gouvernement canadien d'envoyer nos troupes armées en Afghanistan en 2003. «C'est un manque de jugement flagrant. Nous étions en plein débat sur la pertinence de conserver les troupes canadiennes en Afghanistan. Comme service public, nous n'avions pas à prendre position là-dessus.»
Parmi les nombreuses révélations de ce livre, Alain Saulnier estime le salaire d'Hubert T. Lacroix à 400 000 $ par année, en plus d'une prime annuelle de 10 %, ce qui fait de lui le mieux payé dans sa catégorie. Ajoutez à cela un chauffeur privé qui vit à Ottawa et bénéficie d'une allocation pour ses multiples déplacements, en plus des rémunérations que recevait M. Lacroix pour ses engagements dans des compagnies privées.
Le gouvernement Harper n'est pas le seul visé par les interrogations de l'auteur, qui revient largement sur les rapports orageux des gouvernements de Pierre Elliott Trudeau, de Brian Mulroney et de Jean Chrétien avec Radio-Canada. À la différence que la plupart des pdg de l'époque «se tenaient debout» pour défendre l'indépendance de Radio-Canada. L'auteur cite notamment Pierre Juneau et Robert Rabinovitch. Plusieurs chapitres du livre observent comment cette supposée «saine distance» établie entre Radio-Canada et le pouvoir politique a été malmenée à travers l'histoire.
«JE NE SUIS PAS UN TRAÎTRE»
Alain Saulnier, dont le renvoi a indigné bien des employés en février 2012, se défend d'avoir voulu régler ses comptes avec ce livre au titre provocant, tout comme sa couverture. «Je ne suis pas un traître. Un traître se servirait de ça pour planter Radio-Canada. Je ne suis pas passé dans l'autre camp, je suis toujours dans le camp des ardents défenseurs de Radio-Canada et je vais continuer à le faire.»
Aujourd'hui professeur invité au Département de communications à l'Université de Montréal, il dit avoir écrit ce livre en réaction à l'indifférence de la population au drame qui se joue chez le diffuseur public. «C'est ça, la tragédie, et c'est ce qui pourrait être à l'origine de la disparition de Radio-Canada.» Il est persuadé que l'indépendance journalistique n'a jamais compté autant qu'à l'ère numérique que nous vivons. «Le public a besoin de repères solides, de sources auxquelles il peut se fier totalement. Je ne suis pas contre le privé, mais ces entreprises sont plus à la merci des revenus commerciaux.»
Souhaite-t-il la démission de M. Lacroix? «La décision lui appartient. J'espère juste que les réactions à ce livre le feront réfléchir.» Visiblement, il existe toujours une liberté de pensée à Radio-Canada, puisque Alain Saulnier sera l'invité de Tout le monde en parle dimanche soir, avant de faire la tournée des émissions d'ICI Radio-Canada Première.
***
Extraits extraits du livre Ici était Radio-Canada
«Alain Gravel avait été tout fier de lui dire : "Patron, nous avons une maudite bonne émission à Enquête ce soir!" Hubert Lacroix de répliquer le plus sérieusement du monde : "Quand est-ce que vous allez avoir des enquêtes positives?"»
«Pourquoi cette expression : "Radio-Canada, un instrument de démocratie et de culture"? Que veux-tu dire? C'est une entreprise, une business...»
Hubert Lacroix, au cours d'une conversation avec Sylvain Lafrance, ancien vice-président des Services français de Radio-Canada
«Le gouvernement Harper, un peu à l'image de celui de Pierre Trudeau avant lui, se comporte comme s'il était l'unique propriétaire de Radio-Canada. À la différence que [...] les conservateurs [...] négligent volontairement leur propriété et la laissent se détériorer jusqu'au point où il ne restera plus qu'à la démolir.
»
«Dans toutes les réunions auxquelles j'ai assisté en compagnie d'Hubert T. Lacroix, celui-ci se vantait d'avoir de très bonnes relations avec le ministre du Patrimoine James Moore.»
«Radio-Canada peut mourir. Ils sont de plus en plus nombreux à assister à son démantèlement, parfois dans la complicité, parfois dans l'indifférence.»


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé