Cessons la caricature

17. Actualité archives 2007



Le conflit politique qui se déroule au Liban à l'heure actuelle entre l'opposition et le gouvernement se réduirait à un conflit entre prosyriens (l'opposition) et les anti-syriens (le gouvernement), d'après ce que nous entendons dans la plupart des médias. Les Syriens veulent contrôler de nouveau le Liban et pour cela ils instrumentalisent les Libanais, en particulier leur allié de toujours le Hezbollah. Sur les chaînes de télévision occidentales, face à des islamistes barbus vociférant en arabe, on nous présente des hommes politiques respectables, parfaitement francophones et anglophones, rasés de près qui se posent en rempart de la démocratie et de la modernité.
Le manichéisme est de rigueur. Certes il est difficile de comprendre le Liban et de l'expliquer en quelques minutes à des téléspectateurs, mais tout de même arrêtons les caricatures. Cessons de donner la parole à des politiciens libanais caméléons qui savent très bien quel discours tenir devant les caméras occidentales.
La coalition au pouvoir regroupe trois principaux partis: le Mouvement du Futur, de Saad Hariri, le Parti Socialiste Progressiste, du chef Druze Walid Joumblat (les Druzes sont environ 5% de la population libanaise), et les Forces Libanaises, de l'ancien milicien chrétien Samir Geagea. L'élément essentiel est le Mouvement du Futur, composé essentiellement de Sunnites (entre 25 et 30% de la population libanaise), car les deux autres partis ne représentent qu'une petite fraction de la population libanaise. Cette coalition se nomme "Le 14 mars" par référence à la manifestation géante qui eut lieu en 2005 pour réclamer le retrait des troupes syriennes du Liban. Mais avant d'être anti-syriens que faisaient donc ces leaders adulés par les chancelleries occidentales?
Walid Joumblatt fut l'allié indéfectible des Syriens durant toute la guerre civile libanaise et jusqu'à l'automne 2004, date à laquelle il se serait rendu compte de son erreur pour devenir le chantre de l'opposition pro-syrienne. Samir Geagea était en prison depuis 1994, officiellement pour avoir été le commanditaire d'un attentat contre une Église, officieusement parce qu'il s'opposait à la mainmise syrienne sur le Liban; on peut donc lui accorder un certain courage et une honnêteté politique si l'on fait abstraction des massacres commis par sa milice durant la guerre civile.
Quant à Saad Hariri, qui se pose en continuateur de l'oeuvre de son père, on oublie un peu vite que ce dernier fut premier ministre du Liban, et donc chef de l'exécutif, durant quasiment toute la période de l'occupation syrienne du Liban après la guerre civile. Il fut porté au pouvoir par la Syrie et gouverna le Liban avec son appui jusqu'à ce qu'il décide de se séparer de son protecteur.
Terminologie officielle
Les "pro-syriens", pour reprendre la terminologie officielle des chaînes d'information, se résument au Hezbollah et à ses alliés: le Mouvement Amal (chiite), le Courant Patriotique Libre, du général Michel Aoun (laïc mais essentiellement composé de chrétiens), des Nassériens, des Communistes et des opposants dans toutes les communautés aux partis et familles de notables qui se sont rangés derrière le "Mouvement du futur" de Saad Hariri. Le Hezbollah n'a participé au gouvernement libanais qu'à partir de 2005. Durant toute la période d'occupation syrienne, il était en retrait ou en opposition face au gouvernement dirigé par Rafic Hariri. Le Courant Patriotique Libre, du général Aoun, représente la majorité des chrétiens du Liban (30 à 35% de la population), notamment les plus violemment anti-syriens d'entre eux.
Au Liban les alliances électorales sont stratégiques et non idéologiques. Les intérêts personnels des familles dirigeantes, les ambitions présidentielles et l'appât du gain composent et recomposent les coalitions. Néanmoins depuis le retrait des troupes syriennes du Liban, le politique reprend timidement ses droits. Ce que nous voyons dans les manifestations de l'opposition "pro-syrienne", ce sont des gens de toutes les confessions, plutôt de milieux modestes, qui se rassemblent pour demander un État de droit.
43 milliards
Les manifestants exigent que le gouvernement rende des comptes sur les 43 milliards de dollars de dettes accumulées pendant 15 ans, sous la tutelle des Syriens certes, mais aussi celle de Rafic Hariri. Pourquoi leur quotidien ne s'est-il pas amélioré? Pourquoi eux, qui n'ont d'autre ressource que leur travail, ne parviennent-ils pas à vivre et élever leurs enfants sans l'angoisse du lendemain. Il n'existe pas au Liban de services publics dignes de ce nom, les coupures d'électricité sont incessantes, l'eau du robinet n'est pas potable, la protection sociale est quasi inexistante, l'éducation est hors de prix, etc.
Voilà le Liban moderne, laïc et démocratique que préconisent les "anti-syriens" au pouvoir à Beyrouth: une société des plus inégalitaires basée sur l'argent, l'utilisation du clientélisme à base confessionnelle ou notabilière pour asservir et diviser la population, la transformation du Liban en parc de loisir pour les riches touristes arabes du Golfe. Sur le plan international, l'alignement du gouvernement de Fouad Siniora sur la politique américaine, dans un Liban meurtri par l'agression israélienne de l'été, ne fait qu'accentuer leur rejet par la majorité de la population libanaise.
L'auteur est chercheur à l'Institut français du Proche-Orient à Beyrouth.


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