Voilà quatre siècles, le 7 janvier 1608 exactement, la France lançait la grande aventure de Québec. Champlain n’allait pas seulement fonder une ville, il allait rassembler une communauté qui donnerait naissance à un peuple. Célébrer la fondation de Québec, c’est d’abord rappeler les origines d’une nation dont la ténacité, l’endurance et la hardiesse allaient tromper le destin que faisaient peser sur elle des forces contraires, celles de l’immensité du continent et de sa radicale nouveauté pour les colons, celles de l’Histoire et des revers tragiques qu’elle lui fera subir. Nous sommes encore là et c’est en soi une prouesse dont nous pouvons être fiers.
Nous avons tenu contre toute espérance, nous avons grandi en réinventant le courage toutes les fois que l’espoir s’estompait. Nous avons forgé notre être dans l’adversité la plus radicale, celle qui prive un peuple de son horizon. Et pourtant, nous sommes encore là. Nous n’avons jamais cessé de forcer les événements, avec tout ce qu’il nous en a coûté de silence têtu, de sourde patience et de mutilation des rêves. Mais nous avons rêvé plus que notre saoul pour conjurer l’impuissance et dans les mots nous avons trouvé la force de secouer le joug. Le peuple qui est né à Québec est né pour être libre. Libre de parler sa langue, de vivre dans sa poésie, de faire le monde dans ses usages. Nous sommes encore là pour porter notre manière de voir à la hauteur de ce que nous concevons de meilleur pour nous-mêmes et pour l’humanité.
Le peuple du Saint-Laurent est né pour respirer le grand large. Et nous allons respirer le froid à pleins poumons, nous savons ce que l’hiver peut donner de plus exaltant. Parce que nous avons appris que « survivre, c’était déjà vaincre » (Georges Dor), nous allons célébrer ce quatrième centenaire de Québec dans une volonté renouvelée de triompher de nous-mêmes et de ce qui nous enchaîne. « Nous avons grandi sous la botte étrangère » (Jacques Ferron) et nous savons ce qu’il en coûte de confondre la servitude et l’horizon. Mais il nous manque encore les mots de la puissance, ceux-là se dérobent encore dans la rhétorique des alibis. Cela ne durera pas toujours. Le jour viendra où s’accorderont le labeur et l’espoir. Ce jour, nous l’arrachons déjà à la nuit, nous le gagnons par étincelle, une lueur à la fois, dans la fulgurance d’un poème de Perrault, dans la lumière d’une toile de Riopelle ou d’un air de violon venu du fond des âges ou des veillées de chantier. Le Québec continue de grandir même si la province régresse. Il faut se lire dans nos œuvres et non pas se traduire dans notre impuissance.
Nous allons donc célébrer Québec. En sachant bien ce que notre histoire nous enseigne, c’est-à-dire en sachant que rien de nos fêtes ne nous est donné dans la plénitude parce que nous ne sommes pas libres dans toutes nos entreprises. Nous allons fêter comme nous vivons, c’est-à-dire un peu, toujours par effraction. Nous allons faire la fête en braconnant la programmation qu’on nous a concoctée pour ne pas dire ce qu’il faut dire, pour ne pas se vanter de ce qui devrait faire notre fierté. Fêtons, même si Ottawa a tout mis en œuvre pour confisquer les célébrations. Jouons-nous de l’ordre et de la propagande, sabotons les versions officielles et l’histoire édulcorée. Le Québec est vivant, la nation reste précaire certes, mais elle est plus fragile de la couardise de ses élites que de ce qui pèse réellement sur elle. Nous sommes capables de grandes choses. Et nous les ferons plus grandes encore que tout ce que nous avons déjà accompli.
Nous y parviendrons d’abord en triomphant du doute qu’on cherche à entretenir sur ce que nous sommes et sur ce que nous sommes en mesure de réaliser. Fions-nous à ce qui nous a bien servi, faisons confiance à notre capacité de ruser avec la démesure et l’inégalité des forces. Ce qu’Ottawa a déployé là pour nous oblitérer n’a d’égal que notre capacité de l’abolir par l’ironie mordante de ceux-là qui savent à quoi tient l’autorité des notables qui fanfaronnent sous les subventions. Le spectacle d’ouverture des Fêtes n’a leurré personne. « Ratage historique » a titré Le Devoir, se trompant une fois de plus sur le sens profond de ce qui nous arrive. Ce spectacle navrant n’était pas un échec, bien au contraire. On a pu y voir là la représentation de ce que l’ordre canadian tolère qu’on soit, un vestige désincarné, ballotté entre le quétaine et le folklore, s’agitant dans le party parce qu’on lui a refusé la Fête et beuglant son contentement dans une finale en anglais achevant de dire le contraire de ce que tout cela aurait dû signifier. Cela n’était pas autre chose que la vérité intolérable que nous ne nommons pas dans un espace public dominé par une propagande omniprésente et d’une puissance considérable.
L’absolue médiocrité qui a empêché ce spectacle d’atteindre à la vérité artistique a tout simplement permis de révéler, en quelque sorte in absentia, ce qui faisait objet de censure : la culture québécoise, la vérité de la nation. « Tu penses qu’on s’en aperçoit pas » chante Ti-cul Lachance (Gilles Vigneault). Ce spectacle était criant de vérité. Et la réaction qu’il a suscitée, porteuse d’une vérité plus grande et plus forte encore : nous ne sommes pas cela, nous ne voulons pas cela. Nous aurions pu faire autrement, mais, somme toute, nous avons commencé l’année du bon pied, en refusant, les uns sur la place D’Youville, les autres dans les chaumières et les fêtes de famille, ce qu’on veut faire de nous. Il nous faudra profiter des nombreuses autres occasions qui nous serons données de nous voir représentés dans ce que le Canada et les inconditionnels qui le servent veulent nous réduire pour passer de la résistance à la riposte.
Nous sommes encore là parce que nous avons fait preuve d’une prodigieuse capacité à forcer le destin. Cette capacité, un très beau mot la désigne, un mot né paraît-il dans les concessions de Charlevoix, mais qui s’est révélé dans toutes les paroisses de colonisation : l’acharnation, ce courage d’acharnement dans l’incarnation de ses rêves avec lesquels s’est bâti le pays. C’est ainsi que nous allons célébrer parce que c’est ainsi que nous vivons. Nous allons fêter malgré l’usurpation de la Fête, nous allons nous rappeler malgré les fabricants d’amnésie, nous allons célébrer parce que nous savons depuis toujours opposer l’espérance à la fatalité. Nous savons que nous pouvons être plus encore que ce que nous avons fait, nous savons qu’avec le courage et la solidarité le Québec peut rassembler et venir à bout de ce qui le divise en lui-même et qui fait la force et le matériau de ce qui l’asservit. Québec n’est pas née pour devenir l’écomusée d’une province satisfaite. Un jour nous célèbrerons le pays que nous portons parce « Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver » (Gaston Miron)
Célébrer l'acharnation
Le peuple qui est né à Québec est né pour être libre
Chronique de Robert Laplante
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]
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