Cégeps français: la peur d’avoir peur

Cégep en français

Plusieurs internautes, et plusieurs souverainistes, ont réagi favorablement à ma proposition de franciser le système collégial au Québec (voir Cégeps en français: un peu d’ambition, que diable !) Je les en remercie.

D’autres ont soulevé des objections que ce billet va prendre de front. Ils sont essentiellement d’une même famille, la peur, et de trois ordres, la peur de perdre son âme, la peur de se faire manger et la peur de se laisser manger. Ce qui me frappe dans ces commentaires est la totale transparence avec laquelle ces peurs sont affichées. Nous sommes au cœur du malaise québécois.
D’abord, s’exprime la crainte de perdre son âme. Il y a confusion, comme toujours, sur un terme: bilinguisme. Je propose que tous les Cégeps donnent à tous leurs étudiants les trois quarts des cours en français, un quart en anglais. Une révolution pour les Cégeps anglophones, mais une simple réforme pour les Cégeps francophones de Montréal. Au Cégep du Vieux-Montréal, par exemple, les mêmes étudiants qu’aujourd’hui, pour l’essentiel, suivraient les mêmes cours qu’aujourd’hui mais auraient une session intensive en anglais, comme certains étudiants du secondaire en ont déjà, dans certaines commissions scolaires. Aucun Cégep francophone ne deviendrait “bilingue”, sauf à désigner tels les polyvalentes qui donnent ces sessions intensives.
Pourtant, l’idée même d’introduire cette session traumatise certains souverainistes qui y voient, par pur réflexe de Pavlov, le spectre de la bilinguisation de leurs institutions. La proposition agit, pour quelques-uns, comme s’il pleuvait de l’ail en Transylvanie.
Ensuite s’exprime la peur de se faire avaler, donc de voir arriver dans les Cégeps français davantage d’allophones (il y en a déjà beaucoup) et d’anglophones (ils sont un certain nombre). Ces critiques savent que les francophones seraient massivement majoritaires dans leurs Cégeps où les cours seraient donnés essentiellement en français. N’empêche. Le blogueur Louis Préfontaine présente ici l’argument que j’ai aussi entendu de vive voix à quelques reprises depuis lundi:

En clair : ce n’est pas en mettant ensemble un renard minoritaire avec des poules majoritaires que le renard se mettra à picosser le grain ! Les Québécois se sont habitués à se sentir inférieurs face à l’anglais, habitués à reculer devant l’anglais, habitués à considérer l’apprentissage de cette langue étrangère comme la huitième merveille du monde.

Vous avez bien lu. Préfontaine, et j’ajoute qu’il n’est pas seul, croit que s’il y a quatre francophones pour un anglophone dans un Cégep francophone, le “renard” va l’emporter sur les poules. Le sentiment — non, le comportement d’infériorité des francophones est présumé, tenu pour acquis. Comme le personnage de Léolo qui fait, en vain, de la musculation pour ne plus subir les claques des bums anglos, les jeunes adultes québécois majoritaires s’écraseraient. Si telle est la lecture que l’on fait de la vitalité francophone de la nouvelle génération rien, mal alors rien, n’est dès lors envisageable.
Vient finalement la peur, corollaire, de se faire avaler. Il tient au danger que représenterait un enseignement conséquent de l’anglais, en soi.
Un internaute, parmi d’autres, écrit:
Demander au francophones (de partout au Québec!) de suivre leurs cours à 25% en anglais c’est GARANTIR notre cajeunisation! Les francophones de Montréal parlent déjà l’anglais dès que cela leur est possible, Montréal est DÉJÀ une ville bilingue et vous proposez d’accélérer le processus d’anglicisation?

Il y a encore, dans cet argument, la certitude que si les jeunes Québécois acquièrent, comme ils le désirent massivement (y compris 70% dans la région de Québec) une bonne connaissance de l’anglais, ils s’assimileront rapidement. C’est comme s’ils n’avaient pas de colonne vertébrale identitaire. Et qu’il fallait donc les empêcher de devenir aussi bons en anglais que, disons, au hasard, René Lévesque, Jacques Parizeau, Pierre Bourgault, Bernard Landry et l’immense majorité des dirigeants souverainistes, jeunes et vieux.
Il arrive que le critique se tire un argument dans le pied, comme le fait sur le site souverainiste Vigile, Frédéric Lacroix :
Quel problème M. Lisée essaie-t-il de résoudre en forçant tous les étudiants à suivre 25% de leurs cours en anglais ? La connaissance « limitée » de l’anglais des jeunes Québécois francophones ? Le bilinguisme anglais-français des jeunes Québécois francophones atteint déjà des sommets inégalés dans l’OCDE.

Effectivement, la volonté des Québécois de connaître l’autre langue du continent est telle que, malgré les ratés du système d’éducation à cet égard, ils arrivent cahin-caha à l’apprendre. C’est donc que toute tentative de les en empêcher est non seulement politiquement fautive, mais vouée à l’échec.
C’ette peur viscérale de l’anglais, heureusement peu répandue chez les jeunes souverainiste, explique “l’angle mort” d’une frange des souverainistes dans leur combat pour étendre simplement la loi 101 aux Cégeps. Le fait est que cette mesure serait punitive pour les francophones, en leur interdisant l’option du Cégep anglophone pour compenser la faiblesse de l’enseignement de la langue seconde au secondaire. Cela aurait pour effet de mécontenter une part de l’électorat francophone autrement sympathique au PQ, même celle, majoritaire, qui ne compte pas utiliser ce droit.
Depuis plus d’un an, le PQ a réussi le tour de force de se placer du bon côté du débat sur la laïcité, sur les accommodements, sur le français au travail et dans les écoles passerelles, sur la citoyenneté. Chaque fois, le PQ y retrouve la majorité des francophones. Mais s’il devait succomber à la peur et punir les francophones désireux d’apprendre l’anglais, il s’auto-pelure-de-bananiserait, pour reprendre l’expression fétiche de Jacques Parizeau.
Un dernier mot sur le fait que, obnubilés par ces peurs, certains critiques — pas tous — refusent de voir le gain linguistique majeur que constituerait la francisation des institutions collégiales de notre minorité. Comme quoi la peur rend parfois aveugle.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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