Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) utilise un modèle de prévision des effectifs au collégial pour guider le développement futur du réseau collégial. Ce modèle, qui ne tient aucun compte de la dynamique linguistique, minimise le développement futur et la place grandissante qu’occupent et qu’occuperont les cégeps anglais au Québec.
Par exemple, en 2013, dans son mémoire soumis lors de l’étude du projet de loi 14, le projet de « Loi modifiant la Charte de la langue française, la Charte des droits et libertés de la personne et d’autres dispositions législatives » du Parti québécois, mémoire dans lequel la Fédération s’opposait à toute velléité du gouvernement de restreindre de quelque façon que ce soit l’accès aux cégeps anglais, la Fédération des cégeps écrivait ceci (p.11) : « Nous nous permettrons d’ajouter une dernière remarque relativement aux flux de clientèle dans les collèges. Quoique les dernières années aient été marquées, pour les collèges de certaines régions du Québec, dont Montréal, par des hausses importantes de la population étudiante, les perspectives démographiques pour les prochaines années laissent entrevoir une baisse d’environ 15 % au cours des six ou sept prochaines années, y compris dans les cégeps anglophones. De ce fait, il n’y aura très probablement plus de « refus pour manque de places » dans les collèges métropolitains, et surtout pas dans les collèges offrant l’enseignement en anglais, où les baisses prévues seront encore plus importantes que celles qui affecteront les collèges offrant l’enseignement en français. »
Cette prévision de la Fédération, basée sur « les tendances démographiques » s’est-elle réalisée ?
Que nenni. La proportion d’étudiants inscrits au collégial anglais, public et privé subventionné, est passée de 17,5% à 19,0% de 2013 à 2018, une hausse de 1,5 point en cinq ans seulement. Il n’y a eu, contrairement à ce qu’affirmait la Fédération, nulle baisse de fréquentation dans les cégeps anglais.
Pour fonder son affirmation, la Fédération utilisait les prévisions d’effectifs étudiants au collégial fournies par le MEES. Une particularité de ce modèle est qu’il ignore totalement la dynamique linguistique qui se déploie actuellement au Québec et à Montréal, dynamique qui rend les cégeps enseignant en anglais beaucoup plus attractifs que ceux enseignant en français.
En témoignent, par exemple, les 11 500 demandes d’admission reçues chaque année par Dawson College et le taux d’acception de seulement 30%. Le modèle de prévisions d’effectifs a été mis à jour en 2016 mais, même dans ce modèle « amélioré », la loi du silence règne ; il n’y est pas question de dynamique linguistique ou de l’attractivité supérieure des cégeps anglais.
La figure 1 illustre la proportion de l’effectif inscrit en anglais au niveau collégial pour l’ensemble du Québec, pour les programmes techniques et préuniversitaires, pour les étudiants inscrits au DEC à temps plein, pour les cégeps publics seulement sur la période 1995-2028. Deux courbes sont données : les « observations », c’est-à-dire les données d’effectifs du MEES et les « prévisions », c’est-à-dire le résultat du modèle de projections du MEES (disponible ici).
Figure 1
La figure 1 illustre que le MEES prévoit une diminution, dès 2019 (les données d’inscription réelles ne sont pas encore disponibles), de la proportion de l’effectif relatif dans les cégeps anglais au cours du temps ; ceci est en rupture complète avec la tendance lourde sur la période 1995-2018. Quelles sont les probabilités que la réalité sur la période 2019-2028 corresponde aux prévisions du MEES ?
Elles ont la même crédibilité que les prévisions antérieures qui annonçaient une chute des inscriptions dans les cégeps anglais à partir de 2013 : nulles.
Surtout que le MEES a dans ses cartons plusieurs projets d’agrandissement des cégeps anglais, qui manquent de places. Mentionnons le projet d’établir un nouveau campus pour le cégep John Abbott à Vaudreuil et un agrandissement majeur (de plus de 50 millions de dollars) de Dawson College, actuellement inscrit au Plan québécois des infrastructures (voir p. B.44 ici). Surtout que les programmes en anglais, comme au Cégep de la Gaspésie et des îles ou au cégep Marie-Victorin, se multiplient.
Le modèle de prévisions d’effectifs au collégial du MEES fait partie de l’armature du déni de ce qui se passe au collégial; c’est essentiellement un dispositif destiné à empêcher la prise de conscience de l’effondrement en cours des inscriptions relatives dans les cégeps français, chose qui est le résultat de la dynamique linguistique, variable qui est soigneusement ignorée par le modèle du MEES.
Le MEES doit cesser de se moquer de nous : son modèle de prévisions d’effectifs doit être mis aux poubelles et remplacé par un modèle qui tente de faire effectivement ce que son nom indique : prévoir, et non nous intoxiquer collectivement.