GUERRE CULTURELLE

« Ce n’est pas nous, les Premières Nations, qui allons déboulonner les statues »

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L'extrême gauche désavouée par les Indiens


Si aucun regroupement des Premières Nations ne semble vouloir appuyer les militants qui ont renversé la statue de John A. Macdonald, le week-end dernier, à Montréal, le Ralliement national des Métis (RNM) est celui qui les condamne le plus fermement.




C’était mal, laisse tomber en entrevue David Chartrand, vice-président du RNM. Je ne les soutiens en aucune façon. Je pense que c’était absolument la mauvaise approche.


Pourtant, si quelqu’un peut dire qu’il a souffert à cause de John A. Macdonald, c’est bien nous, estime M. Chartrand, qui est aussi président de la Fédération métisse du Manitoba.


John A. Macdonald est considéré comme l'un des principaux pères fondateurs de la Confédération canadienne. Alors qu'il était premier ministre, il avait refusé de permettre un appel de la condamnation du chef métis Louis Riel à la pendaison, en 1885, prononcée au terme d'un procès d'à peine cinq jours.


Il a également joué un rôle important dans la mise sur pied du système des pensionnats pour enfants autochtones. Et on lui reproche d'avoir adopté des politiques aux effets désastreux pour les Premières Nations, de même que pour les Québécois et les Acadiens.



Nous avons souffert sous le règne de Macdonald, mais ça ne veut pas dire qu’on peut se permettre de détruire n’importe quel monument érigé en son honneur.


David Chartrand, vice-président du Ralliement national des Métis


Plan rapproché de M. Chartrand.

David Chartrand, vice-président du Ralliement national des Métis et président de la Fédération métisse du Manitoba.


Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick




John A. Macdonald signifie bien des choses pour de nombreux Canadiens qui ont une perspective différente de la nôtre, explique-t-il.



Il ajoute que, pour lui, Macdonald est d’abord celui qui n’a pas réussi à faire disparaître son peuple. Quand je vois une statue de lui, ça me rappelle à quel point je suis fier des accomplissements de la nation métisse.


Les autres leaders avec qui nous avons discuté ont évité de blâmer aussi directement les auteurs du coup d’éclat de samedi. Mais pas question non plus de les défendre, loin de là.


Ce n’est pas notre approche, ce n’est pas comme ça qu’on fonctionne, signale Konrad Sioui, grand chef de la nation huronne-wendat.



S’il fallait qu’on commence à déboulonner les statues et enlever les noms de rues, de lieux, de parcs, d’infrastructures, de bâtiments, on n’en finirait plus.


Konrad Sioui, grand chef de la nation huronne-wendat


Les priorités de M. Sioui sont ailleurs que sur des piédestaux de pierre ou de béton, dit-il : J’ai des enfants à nourrir, des enfants à soigner, des personnes âgées à soigner, des infrastructures à construire. Je n’ai pas beaucoup de temps, et j’ai tellement, tellement à faire.


Constant Awashish, grand chef de la nation atikamekw, note que l’incident de samedi a au moins permis de rappeler que John A. Macdonald a été un oppresseur notoire.



À l’heure où les gouvernements s’interrogent sur le déboulonnement du racisme systémique et abordent les chemins de la réconciliation, rappeler aux citoyens canadiens la violence qui a été imposée aux Autochtones est, aujourd’hui encore, un préalable malheureusement utile.


Constant Awashish, grand chef de la nation atikamekw


Le grand chef et président de la nation atikamekw, Constant Awashish.

Le grand chef et président de la nation atikamekw, Constant Awashish.


Photo : Radio-Canada / Jean-Francois Villeneuve




Selon Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, le peuple – autant québécois que non québécois – crie qu’on ne devrait pas honorer ce genre de personnage.



M. Sioui non plus ne ressent guère d’amour pour le premier des premiers ministres canadiens. John A. Macdonald était de son temps. C’était sûrement un être raciste, un être qui se pensait supérieur à tout le monde et qui ne voyait certainement pas les [membres des] Premières Nations comme ses égaux.


Mais il y a bien d’autres figures historiques que les Autochtones ne voient pas d’un œil tellement meilleur, à commencer par Samuel de Champlain ou Jacques Cartier. Et personne ne souhaite qu’on s’en prenne à un pont.


Jacques Cartier, penses-tu que c’est un nom qui nous fait plaisir? Il a kidnappé notre grand chef Donnacona avec 10 autres personnes, et ils ont détruit la ville de Stadaconé, qui était là avant Québec, rappelle M. Sioui.


Konrad Sioui, grand chef de la nation huronne-wendat.

Konrad Sioui, grand chef de la nation huronne-wendat.


Photo : La Presse canadienne / JACQUES BOISSINOT




Une cause détournée?


Konrad Sioui appuie certainement le droit de manifester tant qu’il est question d’une protestation pacifique qui ne brise rien, qui ne pète pas les fenêtres des pauvres commerçants qui essaient de gagner leur vie.


On ne peut pas empêcher les gens qui ont décidé d’agir de même, convient-il cependant. Mais il ne faut pas qu’ils s’expriment sous le couvert des Premières Nations. […] On ne les connaît pas. Je suis convaincu qu’ils n’ont pas de rapports avec les Premières Nations.


D'après David Chartrand, certains donnent effectivement l’impression de s’être approprié une cause qui n’est pas la leur.



Je pense qu’il y a peut-être des gens qui en profitent [pour détourner la situation] à leurs propres fins. Ces militants ne nous ont certainement pas demandé notre avis avant de passer à l’action.


David Chartrand, vice-président du Ralliement national des Métis


Constant Awashish ajoute que le vandalisme n’est pas la meilleure manière de défendre la cause autochtone, surtout lorsque les militants font des amalgames un peu trop rapides entre les différents enjeux. Cela crée des confusions et des interférences dans le débat public qui ne sont pas toujours efficaces.


Il y a peut-être d’autres réalités qui viennent s’associer à la nôtre et, dans le fond, c’est l’expression de gens qui en ont gros sur le cœur et qui veulent montrer qu’ils sont contre le statu quo, admet M. Sioui. Mais ce n’est pas nous, les Premières Nations, qui allons partir déboulonner les statues. On travaille de façon différente. On travaille à créer des alliances.


Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec.

Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec.


Photo : Femmes autochtones du Québec




Viviane Michel dit comprendre que de la frustration a été accumulée depuis longtemps, bien qu’elle ne puisse pas appuyer les gestes de vandalisme.



La voix des gens est importante. Si cette voix n’est pas écoutée, ça amène des frustrations et ça amène des actions de ce genre.


Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec


Mme Michel recommande fortement à la mairesse de Montréal Valérie Plante de ne pas réinstaller la statue là où elle était. Si elle la ramène, j’ai l’impression que ça n’en finira pas.


Le grand chef du Conseil mohawk de Kanesatake, Serge Otsi Simon, est du même avis. Et il a sa petite idée sur ce qu'on devrait en faire.



Il faut la faire fondre, la maudite statue!


Serge Otsi Simon, grand chef du Conseil mohawk de Kanesatake


Plan rapproché de M. Simon.

Serge Otsi Simon, grand chef du conseil de Kanesatake.


Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers




Il suggère d'en confier le bronze à des artistes qui pourraient créer des objets d’art comme des bijoux.


Ce serait quelque chose de positif à faire au lieu de juste la défaire et de la sacrer par terre, dit M. Simon. On pourrait faire des colliers ou des bracelets qui pourraient être remis à des survivants des pensionnats autochtones ou créer une nouvelle statue qui serait un symbole de réconciliation.


À l’opposé, M. Chartrand se range derrière le premier ministre québécois François Legault : il faut restaurer la statue et la replacer sur son socle, à la place du Canada, croit-il.




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