La nouvelle est presque passée inaperçue. Elle aurait même pu ne jamais être déterrée. C'était à la toute fin d'une causerie organisée il y a une dizaine de jours par le ministère de l'Éducation sur le nouveau programme d'éthique et culture religieuse (ECR). Vint la question qui tue: «Comment présenterez-vous les athées dans le programme?» La réponse suivit, aussi inattendue qu'invraisemblable: «Connoté négativement», le mot athée serait exclu du programme.
Ironie suprême, la ministre Michelle Courchesne avait convié les médias à un exercice de communication destiné à clarifier les concepts encore nébuleux du programme. L'histoire allait démontrer ceci: malgré des intentions très sincères, le ministère est encore trahi par sa première nature qui le porte vers la confusion.
Comme s'il venait d'émettre la plus banale des évidences, le responsable du programme ECR au ministère, Denis Watters, a expliqué pourquoi «athée» ne pouvait côtoyer chrétien, sikh ou bouddhiste dans le programme. Après consultation d'un «groupe de 18 experts universitaires», on a conclu qu'«athée» pourrait indisposer quelques âmes timorées. Refusant de nommer un chat un chat, le ministère n'esquiverait pas l'athéisme mais le désignerait autrement: «Expressions culturelles et celles issues de représentations du monde et de l'être humain qui définissent le sens et la valeur de l'expérience humaine en dehors des croyances et des adhésions religieuses.» Ouf! Un lexique avec cela?
Cette anecdote traduit deux malaises. Ainsi que l'a admirablement révélé la commission Bouchard-Taylor, elle relaie d'abord un rapport équivoque des Québécois avec le fait religieux, un certain trouble lorsque vient le temps de nommer un attachement à l'héritage chrétien juxtaposé au refus de croire en l'existence d'une divinité. Le Petit Robert ne prend aucun détour pour dire que c'est le propre de l'«athée». Mais pour la formation des générations futures, le ministère de l'Éducation choisit d'associer ce mot à un tabou.
Dans son Traité d'athéologie (Grasset, 2005), le philosophe Michel Onfray rappelle que «l'époque semble athée, mais seulement aux yeux des chrétiens ou des croyants. En fait, elle est nihiliste. Les tenants d'hier et d'avant-hier ont tout intérêt à faire passer le pire et la négativité contemporaine pour un pur produit de l'athéisme.» Le refus de nommer l'athéisme -- alors que l'on déconfessionnalise le réseau scolaire! -- serait-il la parfaite traduction d'une transition mal assumée?
La suppression du mot athée du programme ECR renvoie à un autre malaise qui n'a rien, celui-là, de sociologique. Il s'agit de cette propension maladive à noyer dans un incompréhensible jargon des concepts pourtant limpides. En matière de charabia, le ministère de l'Éducation a malheureusement fourni plus que sa dose, comme en rendent compte les débats -- épiques! -- entourant la réforme de l'éducation.
Certaines traditions sont plus résistantes que d'autres: en témoignent l'opposition au nouveau programme, mais aussi, hélas, l'entêtement du ministère à opter pour l'hermétisme plutôt que la clarté.
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machouinard@ledevoir.com
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