« Bonjour! Hi! » : toujours difficile de franchir la frontière canadienne en français

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Il va un jour falloir assumer que le Canada n'est pas un pays bilingue


Le Commissariat aux langues officielles dénonce le peu d’amélioration dans l’offre de services en français à la frontière. Malgré les critiques répétées, l’Agence des services frontaliers tarde à réagir, soutient le Commissariat. Entre-temps, les plaintes s’accumulent et les témoignages de voyageurs francophones qui n’ont pas obtenu de service dans leur langue se répètent.




En 2015, le commissaire aux langues officielles a publié un rapport contenant huit recommandations à l’intention de l’Agence des services frontaliers du Canada au sujet de ses obligations prévues par la Loi sur les langues officielles.


Quatre ans plus tard, le Commissariat aux langues officielles a effectué le suivi de la mise en œuvre de ses recommandations (Nouvelle fenêtre) afin d’évaluer les mesures prises par l’Agence. Résultat : l’Agence fait du surplace.


Selon le commissaire, l’Agence a réalisé des progrès dans certains domaines où des lacunes avaient été soulevées, mais la situation demeure tout de même préoccupante peut-on lire dans le rapport.


Le commissaire affirme que l’Agence a encore du travail à faire et on note des obstacles systémiques importants à obtenir un service en français à la frontière. Et le nœud du problème, ajoute l’institution fédérale, est la capacité bilingue insuffisante des agents de service frontalier.


Depuis 2015, aucune amélioration dans l’embauche d’agents bilingues n’a été répertoriée. Le nombre de surintendants bilingues en poste a même diminué de 80 en 2015 à 76 en octobre 2017.



Tant que l’Agence ne prendra pas ses responsabilités en s’engageant à surmonter les obstacles qui perdurent dans l’atteinte de ses objectifs en vertu de la loi, les citoyens ne pourront s’attendre à voir des résultats probants.


Andréanne Laporte, Direction générale des politiques et communications, Commissariat aux langues officielles


Et impossible d’évaluer le service bilingue : selon le Commissariat, il n’existe aucun mécanisme de surveillance des agents pour confirmer s’ils respectent la Loi sur les langues officielles et offrent un service de qualité. L’Agence ne surveille pas non plus l’achalandage des aéroports afin de pouvoir fournir un service bilingue dans ceux où la demande est importante, malgré le fait que l’Agence s’est engagée à le faire en 2015.


Seuls indices d’un manque de service en français : le nombre de plaintes soumises au Commissariat aux langues officielles.


Graphique présentant les plaintes déposées à l'encontre de l'Agence des services frontaliers, reçues par le Commissariat aux langues officielles en 2018.Agrandir l’image

65 plaintes ont été déposées à l'encontre de l'Agence des services frontaliers et reçues par le Commissariat aux langues officielles en 2018.


Photo : Radio-Canada / Cam Gauthier




De son côté, l’Agence des services frontaliers dit avoir pris connaissance du rapport et travailler constamment à accroître la capacité bilingue.


À cet effet, l’Agence précise qu’elle a sa propre école des langues officielles, en accordant une priorité aux régions dites bilingues et l’Agence dit prendre les plaintes très au sérieux.


Des améliorations qui tardent à se faire voir, selon des voyageurs


Panneau d'accueil au poste frontalier d'Emerson, au Manitoba

Le poste frontalier d'Emerson, au Manitoba


Photo : ASFC




Hugues Tremblay a vécu en Alberta, avant de s’installer en Ontario. Voyageant fréquemment dans le cadre de son travail, il dit avoir soumis cinq plaintes au Commissaire aux langues officielles concernant le service en français à l’aéroport de Calgary en un an.



C’est du temps, c’est de l’effort et c’est quelque chose qu’on ne devrait pas avoir à faire. C’est vraiment frustrant de devoir faire ça pour faire respecter nos droits, a-t-il affirmé en entrevue avec Radio-Canada.


Selon M. Tremblay, malgré ces plaintes, il n’a observé aucune amélioration dans le service en français à l’aéroport de Calgary.


Oui on fait enquête, on produit un beau rapport, mais deux ans plus tard il n’y a rien qui a changé. C’est un peu un coup d’épée dans l’eau se désole-t-il.


À tout coup, même si les agents s’adressent aux voyageurs en disant "bonjour, hi", lorsque le voyageur répond en français, l’agent poursuit en anglais, affirme M. Tremblay.


Il est même arrivé qu’une agente ne parlant pas français laisse le voyageur traverser la frontière sans poser aucune question, soutient-il.



C’est juste frustrant de voir un anglophone qui arrive à Montréal pas avoir à faire ça. C’est deux poids deux mesures.


Hugues Tremblay, voyageuse


Lorsque l'Ontarienne, Adeline Jérôme, est revenue de vacances en mars 2019, elle atterrit à l’aéroport d’Ottawa dans un avion à moitié francophone, juge-t-elle. Lorsqu’elle s’adresse en français à l’agent à la frontière, ce dernier lui répond en anglais. Elle poursuit la conversation en français et constate que l’agent la comprend, mais refuse de parler dans sa langue.



Ça m’énerve ! Encore plus quand je me rends compte que l’autre comprend le français et refuse de parler ma langue [...] c’est même pas un effort, ça devrait être normal. Quand je parle en français, on parle en français et si je parle anglais on me parle en anglais. Voilà!


Adeline Jérôme, voyageuse


Mais comme Mme Jérôme a finalement obtenu un service en français, après avoir insisté, elle ne porte pas plainte au Commissariat.


Mathieu Otis, lui aussi résident de l'Ontario, déclare des produits alimentaires sur sa carte douanière au retour du Portugal en 2018. À l’aéroport de Toronto, il exige un service en français : l’agent lui pointe alors la porte de la sortie sans l’interroger, soutient M. Otis.


Trois ans plus tôt, Mathieu Otis avait vécu une expérience similaire lors de sa traversée entre le Canada et les États-Unis à la hauteur de Cornwall. Le voyageur avait alors déclaré des articles excédentaires taxables et exigé, une nouvelle fois, un service en français.


Une fois les taxes payées, M. Otis s’apprêtait à quitter le poste de douane quand le douanier unilingue anglophone à qui il s’était adressé en premier lieu lui a indiqué, en anglais, qu’il allait fouiller son véhicule. M. Otis a interprété cette fouille comme un geste discriminatoire, résultant de sa demande de service en français. Il a alors contacté l’Agence, qui a répondu qu’il s’agissait de techniques d’enquête.



Par la suite, il décide de ne pas porter plainte au Commissariat. Je n'ai pas fait de plainte. J’ai obtenu mon service en français, c’est juste que j’ai l’impression d’avoir été traité de façon discriminatoire, comme si c’était de la discrimination linguistique juge-t-il.


Un poste frontalier canadien

Un poste frontalier canadien


Photo : La Presse canadienne / Darryl Dyck




Contactée au sujet de ces témoignages, l’Agence dit vouloir offrir des services de qualité égale dans les deux langues officielles. Toutes les personnes, peu importe la langue, sont assujetties aux mêmes règles assure l’Agence et les agents doivent agir de façon professionnelle en tout temps.



Les quarts de travail sont établis en tenant compte du bilinguisme, et les agents bilingues qui s’absentent sont remplacés par d’autres agents bilingues lorsque possible.


Judith Gadbois-St-Cyr, porte-parole de l’Agence des services frontaliers du Canada


De son côté, le Commissariat a déclaré qu’il pourrait s’agir de non-respect des droits linguistiques, sans vouloir commenter davantage sur les cas précis. Le Commissariat reconnaît également que malgré l’accumulation de plaintes fondées, il arrive que nos enquêtes ne produisent pas les résultats souhaités ou que l’institution ne donne pas suite à nos recommandations, précise le Commissariat dans une déclaration écrite transmise à Radio-Canada.



Si l’Agence [...] fournissait en tout temps des services égaux dans les deux langues officielles, il en résulterait une meilleure conformité à l’entrée au pays.


Andréanne Laporte, Direction générale des politiques et communications, Commissariat aux langues officielles


Le dernier recours des plaignants dans ce cas, ce sera les tribunaux, admet le Commissariat.




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