Avec la concentration des médias, le dérapage est fréquent... surtout en temps d’élection!

Par Michel Gourd

Québec 2007 - Analyse


Au Canada, les empires médiatiques règnent en maîtres sur le marché. Aucune législation visant à limiter de façon spécifique la concentration de la propriété des médias n’a jamais été adoptée en ce pays. En septembre 2002, la concentration de la propriété des médias inquiétait déjà Robert Rabinovitch, le président de la Société Radio-Canada.
«Dans une démocratie, il doit y avoir des opinions différentes. J'ai vraiment peur parce que, dans le marché canadien et le marché québécois, nous avons de plus en plus de concentration. J'ai peur, vraiment, pour la démocratie», avait-il affirmé [i]. La concentration de la presse au Canada est telle que l’impartialité journalistique, vraisemblable en temps ordinaire, est plus que discutable lors d’élection. Le rôle d’animateurs du débat public des journalistes est compromis par la politique et les intérêts particuliers.
Une lutte inégale entre fédéralistes et indépendantistes
Comme dans les dernières élections, la lutte est encore entre les fédéralistes et les indépendantistes au scrutin qui se tiendra le 26 mars prochain. Dire que le combat médiatique entre les parties est inégal est un euphémisme.
Le côté fédéraliste bénéficie des appuis de Corus, principal diffuseur radio au Canada et deuxième au Québec, et du groupe Gesca dont le journal vedette est La Presse, le plus vendu des journaux francophones en Amérique. Les libéraux de Jean Charest, qui décidaient de la date du scrutin, se sont payés une semaine de publicité préélectorale libre de concurrents. Pierre Arcand, président de Corus Québec, a permis que de la publicité partisane soit mise en ondes avant les élections. Quelques jours plus tard, il annonçait sa candidature sous la bannière libérale !
En filigrane de cette campagne peut être vue les marques de Paul Desmarais, un des hommes les plus riches du Canada et un fédéraliste comme il ne s’en fait plus. Ses entreprises possèdent Gesca. Les liens de monsieur Desmarais avec le pouvoir québécois et canadien sont multiples et impliquent tant ses enfants que ses nombreux lieutenants. En 2004 Gesca contrôlait 51,5 % du tirage global des quotidiens francophones au Québec[ii].
Québecor et Le Devoir
L’empire Péladeau est un cas plus délicat. La part de Québecor est de 45,6 % du tirage global des quotidiens francophones au Québec en 2004. Bien que le père fut le premier homme d'affaires à défendre la viabilité du pays du Québec, son entreprise semble préférer le rôle d’arbitre. Un bon exemple en est que Le Journal de Montréal, navire amiral de Québecor, se refuse à avoir une page éditoriale. Cependant, l’embauche par TVA pour couvrir les élections de Jean Lapierre, député-ministre libéral fédéral sous Paul Martin, rend cette position plus qu’ambiguë. Monsieur Lapierre présente régulièrement le parti libéral comme ayant le vent dans les voiles, ce qui va à l’encontre des plus récents sondages.
Le Devoir est le seul journal indépendantiste ayant un tirage acceptable. Ses récents déboires financiers ont considérablement miné sa marge de manœuvre. Ceci augmenta de beaucoup son impartialité, réduisant d’autant son implication politique. Comme son lectorat d’intellectuels québécois se cherchant dans le Québec moderne, Le Devoir, avec 3 % du tirage global des quotidiens francophones se bat sur les genoux, une main attachée dans le dos.
Le résultat de ce combat médiatique entre le castor fédéraliste de 500 livres et le chétif hibou souverainiste est évident. La réalité et la perception de la présente campagne électorale sont très différentes. Objectivement, André Boisclair a connu un meilleur début de campagne que Jean Charest, qui ne peut se reposer sur son bilan. Les trois promesses majeures qui l’ont mené au pouvoir n’ont pas été tenues. Pourtant, selon un sondage Léger Marketing, les électeurs ont très nettement l'impression que le premier ministre a mené une meilleure campagne jusqu'à présent.
L'imprévu, Mario Dumont
La montée de l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont est le seul imprévu dans le plan marketing bien huilé des fédéralistes. Ayant fait belle figure quelques semaines avant les dernières élections, l’ADQ s’est dégonflé aux derniers instants. Sa campagne, basée sur les problèmes quotidiens parle d’autonomisme, une voie mitoyenne entre les deux autres, qui fut explorée par plusieurs chefs de partis provinciaux dans le passé. Dimanche dernier, Chantal Hébert, chroniqueuse au Toronto Star, est sortie de sa réserve traditionnelle pour s’attaquer vivement à monsieur Dumont. Peut-on prendre cela comme un signe des temps ?
Il y a de très fortes raisons de croire que la concentration des médias biaise actuellement le jeu démocratique au Québec. Les citoyens ne peuvent donner une opinion éclairée, n’ayant pas sous la main une information impartiale et entière. Le débat des chefs est le seul moment où les électeurs peuvent comparer la performance des chefs et voir leur réaction en direct. Le lendemain, les médias québécois interpréteront les propos en fonction de leurs intérêts et le plan marketing prendra le relais.
Michel Gourd
Journaliste pigiste* L’Ascension-de-Patapédia
*L'auteur oeuvre actuellement au Québec et au Nouveau-Brunswick
[i] Stéphanie Bérubé, «J'ai peur pour la démocratie», La Presse, Montréal, 7 septembre 2002
[ii] Selon le portrait de la propriété dans le secteur des quotidiens au Québec et au Canada du CENTRE D’ÉTUDES SUR LES MÉDIAS


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