Au-delà du voile

Bien au-delà de la question du "voile", commençons par mieux diagnostiquer le problème. Et par le faire les yeux grand ouverts.

Port de signes religieux

Cette semaine, la présidente de la Fédération des femmes du Québec y est allée d'une défense sentie du libre choix quant au port de signes religieux dans les services publics.
Et de quels signes Michèle Asselin parlait-elle sur toutes les tribunes? De tous. Mais surtout, du hijab - le voile ou foulard islamique -, le plus visible et le plus controversé d'entre tous. Son argument était simple: interdire ce port serait "discriminatoire", ne respecterait pas la "liberté de religion", "exclurait" ces femmes des lieux de travail et provoquerait un "repli identitaire". Bref, on empêcherait l'intégration sous prétexte de la faciliter!
L'argument semble logique. Mais dans les faits, il est simpliste. Tout comme l'argument contraire, d'ailleurs. Je m'explique. Ce n'est pas parce qu'on interdit le port de signes religieux qu'on provoquera l'"exclusion" de ceux et celles qui les portent. Et ce n'est pas parce qu'on le permet qu'on facilitera d'autant leur "intégration". La réalité est loin d'être aussi simple.
Prenez la France avec sa fameuse loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires dans les écoles et certains services publics. Elle n'a pas empêché les musulmanes d'étudier ou de travailler. Mais elle n'a pu convaincre celles qui portent un hijab, un niqab ou parfois même une burka de ne pas l'enfiler à nouveau dès qu'elles quittent l'école ou le boulot! Si elle ne réussit pas à le faire, c'est parce que certaines de ces femmes sont contraintes à se voiler par des pouvoirs religieux opérant hors du champ démocratique. Des pouvoirs qui n'ont rien à cirer des principes d'égalité! Voilà LE problème. En France comme ailleurs. Mais on ne veut pas en parler. Par contre, cette loi a confirmé la laïcité de la République et facilité une certaine mixité sociale dans un contexte autrement plus compliqué que le nôtre! Ce n'est pas rien. Mais elle ne règle pas l'épineuse question de l'intégration. Ni celle de l'oppression des femmes.
Bref, réduire le débat sur le port de signes religieux à une question d'intégration ou d'exclusion vise l'accessoire au détriment de l'essentiel. Car l'essentiel est ailleurs. Et il est politique.
Le vrai débat est celui de l'intrusion du religieux dans l'espace public. Toutes religions confondues. Un "religieux" qui se sert habilement des chartes de droits pour faire avancer ses intérêts. Un "religieux" qui se drape dans les droits individuels, celui de la liberté de croyance, mais pour mieux renforcer son pouvoir collectif.
Ils appellent ça la "tolérance"
Historiquement, le "religieux" organisé cherche à étendre son influence et sa vision du monde. Par conséquent, il déteste être confiné au domaine privé et familial. Alors, il combat avec les moyens que lui donne la société dans laquelle il fonctionne. Remarquez d'ailleurs comment les dirigeants des grandes religions sont solidaires dans leur défense commune du "respect" de l'expression religieuse dans l'espace public! Ils appellent ça la "tolérance". Le "religieux", sous forme de lobby, aime bien aussi investir et financer les partis politiques plus réceptifs. Pensons au PCC de Stephen Harper. Ou au Parti républicain chez nos voisins...
Mais vous me direz que je m'éloigne de la question du voile. Au contraire! Parler du rôle de la religion dans l'espace public amène aussi nécessairement à se questionner sur le contrôle que tentent d'exercer la plupart des grandes religions sur les femmes, leur corps et leur sexualité. Soit en leur imposant un code vestimentaire restrictif pendant que les hommes font à leur guise. Soit en leur imposant la "modestie" et la "vertu". Soit en les transformant en machines à bébés sans droit à l'avortement ou la contraception. Soit en leur interdisant de choisir leur mari. Soit en les excisant. Ou soit, comme pour les hommes, en punissant l'homosexualité.
Et c'est ainsi que certains imams, rabbins, évêques, voire un pape, se comportent de manière antidémocratique en imposant des diktats contraires aux principes que les sociétés modernes ont tenté de se donner. Dont celui de l'égalité homme-femme. En voilà tout un problème. Un vrai. Un gros. Compliqué et universel. Dans la foulée de la montée des intégrismes, le voile est vu par plusieurs comme un puissant symbole de ce contrôle des femmes et du retour très politique du religieux. Que voulez-vous? La liberté des femmes a toujours effrayé les religieux. Mais ce contrôle des femmes s'exerce aussi derrière les portes closes. Sans signe visible. Avec ou sans voile. Et le contrôle s'exerce, quoique différemment, sur les hommes.
Voilà. Nous arrivons enfin à la vraie question: comment COMBATTRE ce phénomène de l'intrusion du religieux dans l'espace public et ses tentatives de limiter les droits sous prétexte de "croyances"? Comment combattre de manière démocratique ce qui est antidémocratique? Comment le faire sans nier la liberté de religion? Comment réduire l'influence des lobbys religieux sur les partis? Comment prétendre combattre l'intégrisme à l'étranger sans le faire clairement en Occident? Comment protéger les filles et les femmes lorsque s'exerce sur elles le pouvoir d'une religion? Etc., etc., etc.
Bien au-delà de la question du "voile", commençons par mieux diagnostiquer le problème. Et par le faire les yeux grand ouverts.
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Parlons «signes» religieux (I)
Et parlons de l'art de tout confondre...
Le tout en continuité de ma chronique de cette semaine: «Au-delà du voile».
Donc, cet après-midi, le sujet du port de signes religieux dans les services publics a rebondi à la période de questions.
La chef intérimaire de l'ADQ, Sylvie Roy, a demandé à la ministre responsable de la condition féminine, Christine St-Pierre, quelle était la position du gouvernement libéral sur ce sujet.
Et là, s'en est suivi un échange surréaliste où la confusion la plus totale régnait!
http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/200905/13/01-856245-christine-st-pierre-na-pas-dopinion-sur-le-port-du-voile.php
Comme seule «ligne», Mme St-Pierre répétait que l'«égalité homme-femme» était une valeur fondamentale au Québec, qu'elle était fière d'avoir amendé en conséquence la charte québécoise des droits et libertés,, etc...
La chef du PQ, Pauline Marois, posa la même question à son tour, mais à la bonne personne, soit la vice première ministre (en l'absence de Jean Charest) et concluait que les réponses de la ministre St-Pierre confirmaient que le gouvernement n'avait aucune position, aucune opinion sur le sujet.
C'était étourdissant de confusion!
Primo: le gouvernement a une position sur le port de signes religieux dans les services publics. Elle s'appelle le statu quo. Donc, ce port est permis. On peut être pour cette position. Ou on peut être contre.
Mais il est clair que depuis la Commission Bouchard-Taylor, le gouvernement Charest a choisi de ne poser AUCUN geste dans ce domaine apte à établir la laïcité et la neutralité de l'État québécois en interdisant le port de signes religieux dits ostentatoires par ses représentants et employés.
Secundo: la réponse de la ministre portait sur un AUTRE sujet, soit la question de l'égalité homme-femme, qui concerne en partie, mais transcende également celle du port de signes religieux. À moins que l'on ne considère le voile islamique comme le seul et unique signe religieux dont on parle ici! Ou que l'on considère qu'aucune oppression des femmes n'existe ici hors de la question des signes religieux!
En d'autres termes, répondre «égalité homme-femme» à une question portant sur le port de signes religieux dans les services publics, c'est ne PAS répondre à la question.
Surtout, poser la question à Mme St-Pierre est la poser à la mauvaise personne, puisque Mme St-Pierre est responsable de la condition féminine et des communications. La question du port du voile, du kirpan, du crucifix ou de la kippa dans la fonction publique n'est pas vraiment de son ressort.
La bonne personne à qui il faudra poser cette question est le premier ministre.
Pourquoi? Parce qu'il dirige ce gouvernement. Et que s'il démontrait une volonté claire d'établir la laïcité et la neutralité de l'État en interdisant le port de signes religieux dans les services publics, vous pouvez être certains que ce serait déjà fait! Et s'il croit que cela ne ferait pas la moindre différence, qu'il le dise aussi et explique pourquoi.
Surtout, pour éviter encore plus de confusion - et comme je le démontre dans ma chronique «au-delà du voile» -, ne commettons pas l'erreur faite par la Fédération des femmes du Québec en y mêlant aussi la question de l'«intégration» et de l'«exclusion»!
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La question du port des signes religieux dans la fonction publique relève de celle de la laïcité et de la neutralité de l'État.
Celle des diktats vestimentaires imposés à certaines femmes pour des raisons «religieuses» relève de l'éducation; de messages clairs adressés aux leaders religieux qui refusent de respecter l'égalité homme-femme; d'un encouragement à une mixité sociale toujours croissante; et d'une prise de conscience plus prononcée quant au problème politique posé par des religions aux préceptes anti-égalitaires.
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Parlons «signes» religieux (II)
Encore une fois, et encore aujourd'hui, le «débat» est confus et part dans toutes les directions.
Ce matin, en entrevue, la ministre Christine St-Pierre (dont, je le répète, ce n'est même pas le dossier!), a finalement dit ce que je disais dans ce billet-ci. À savoir que le gouvernement Charest A une position sur le port des signes religieux dans les services publics. Soit le STATU QUO, ou l'opposition à leur interdiction! Me semble que c'est clair.
Maintenant, sur le «débat» lui-même.
Interdire ce port ne serait pas faire montre d'«intolérance», contrairement à ce que disait la ministre ce matin. Tout comme le permettre ne serait pas un signe de «tolérance». Puisque la question ici est ailleurs.
À savoir si l'État, à travers ses représentants et employés, doit ou non traduire sa neutralité et sa laïcité, entre autres moyens, à travers une directive portant sur les signes religieux dits ostentatoires. Point à la ligne. Et c'est un débat qui, en démocratie, peut se faire de manière tout à fait pertinente.
Mais, comme le notent certains des membres ici, avec raison, la laïcité n'est pas un trait de l'État québécois ou canadien... Ce qui ne veut pas dire, par contre, qu'il ne serait pas enfin temps d'y voir!
Bon. Ça, c'est une chose.
L'«intégration» ou l'«exclusion» des minorités en est une autre. Elle est beaucoup plus large que la simple question des signes religieux.
Et au risque de me répéter, et à mon très humble avis, le VRAI débat, celui que personne n'ose faire concerne l'intrusion du religieux ET dans l'espace public ET dans les services publics. Il concerne certains diktats antidémocratiques et antiégalitaires des grandes religions organisées que l'on «tolère» sous prétexte qu'ils sont des «croyances». Des religions, encore une fois, qui n'ont rien à cirer de nos belles Chartes des droits et de leur belle provision sur l'égalité homme-femme! Au contraire. Certaines de ces religions se SERVENT des chartes pour faire avancer leurs intérêts sous prétexte de défendre la liberté de conscience.
On parle du «voile» islamique, mais qui parle du contrôle qu'il représente des moeurs et du corps des femmes? Ou, qui parle de linterdiction des femmes d'accéder à la prêtrise et à la hierarchie catholique? On ne tolérerait pourtant pas qu'une organisation ou compagnie interdise son accès, disons, aux personnes noires ou asiatiques. Et avec raison! Mais le Vatican, et d'autres religions, excluent les femmes.
Qui parle des dikats de plusieurs religions contre la contraception, contre le droit à l'avortement et contre l'homosexualité? Etc....
La ministre peut bien se réfugier derrière ses beaux principes, il reste cette réalité, cette vérité troublante qui, elle, ne fait toujours pas partie du débat public. La raison? Ce serait une question de «croyance» personnelle? Mais alors, les «droits» et l'«égalité» ne veulent plus rien dire si de simples «croyances» édictées par des leaders religieux suffisent à les balayer de la main....
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Bien sûr, en démocratie, on ne peut ni ne doit interdire les religions. Là, n'est pas la question. Mais il manque de messages clairs de la part du politique sur ce qui est compatible ou non avec les principes de démocratie et d'égalité des sexes. Un article dans une charte des droits est nettement insuffisant. La simple question du «voile», c'est l'arbre qui cache la forêt..


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