L’économie canadienne au bord du gouffre

Attachez vos tuques, ça va brasser très fort

L’avenir du pays est en jeu - À nous de choisir lequel

Chronique de Richard Le Hir


Les événements vont vite, très vite même. Il y a quelques jours encore, le premier ministre Harper et son ministre des Finances Flaherty vantaient la bonne santé insolente de l’économie canadienne. Tard dans la soirée hier, une nouvelle pour le moins inattendue (sauf pour ceux qui savaient) tombait sur le fil de la Presse canadienne : Le Canada pourrait être le premier pays à retomber en récession.
Diable ! Le premier ? Ça va si mal que ça ?
Pour ma part, aucune surprise. Je venais justement d’écrire un texte qui soulignait

« à quel point la situation économique canadienne est fragile et combien le Canada a besoin pour sa survie politique d’une croissance régulière pour que le gouvernement fédéral puisse continuer à intervenir comme il le fait pour gommer certaines inégalités qui auraient vite fait de mettre le feu aux poudres s’il fallait qu’elles s’accentuent, notamment en amenant les Canadiens de partout au pays à s’interroger sur les raisons de maintenir en place à Ottawa une infrastructure de redistribution s’il n’y a plus rien à redistribuer ».

Et je citais un article du magazine électronique Business Insider « qui trace pour une rare fois un portrait réaliste de la situation économique canadienne et des menaces qui pèsent sur elle ». Au moment d’écrire ces lignes, j’ignorais complètement qu’une étude récente de la Banque Scotia était sur le point de sortir et qu’elle contiendrait des conclusions encore plus alarmantes. Jugez-en vous-mêmes : le retour des États-Unis en récession « pourrait amener le Canada au bord du gouffre, voire le précipiter dans le vide. »
***
Prenez quelques minutes pour mesurer le sens de ces mots. Cela fait bientôt quarante ans que je lis quotidiennement des rapports économiques. Jamais je n’ai vu un dirigeant d’une banque canadienne tenir des propos aussi alarmants et alarmistes. Dans la très grande majorité des cas, ils sont plutôt du genre « plain vanilla », comme on dit en anglais pour décrire quelque chose d’inodore, insipide et sans saveur, et il faut vraiment que le ciel soit sur le point de nous tomber sur la tête et le plancher se dérober sous nos pieds pour que la Banque Scotia se soit sentie non seulement justifiée mais poussée à utiliser un tel langage, car elle avait le choix de le garder sous le boisseau.
Et encore, l’analyse de la Banque Scotia utilise-t-elle le chiffre très conservateur de 40 % pour évoquer les chances que les États-Unis tombent en récession l’année prochaine. Les économistes les plus pessimistes prétendent que les États-Unis ne sont jamais sortis de la récession de 2008. La plupart des autres évoquent la possibilité d’une rechute en récession comme le rapportait le magazine Time et le site MoneyMorning en juin http://curiouscapitalist.blogs.time.com/2011/06/08/economy-is-a-double-dip-more-likely/, http://moneymorning.com/2011/06/08/sorry-mr-bernanke-there-will-be-a-double-dip-recession/, et le site CNBC, spécialisé en nouvelles économiques et boursières, évoquait le 25 août dernier une possibilité de 80 % http://www.cnbc.com/id/44278624/Chance_of_Recession_Is_as_High_as_80_Study.
Il n’est pas un seul jour qui passe sans que de nouvelles données ne viennent confirmer la tendance très négative de l’économie, que ce soit aux États-Unis ou presque partout ailleurs dans le monde. Le chiffre de 80 % apparaît donc tout à fait vraisemblable, et la faible performance de l’économie canadienne ces derniers mois en constitue une confirmation, vu le degré d’intégration de l’économie canadienne à l’économie américaine.
À 80 % de chances d’une nouvelle récession, c’est donc dire qu’il ne nous reste plus qu’une chance sur cinq d’éviter le pire - autant dire un miracle - car il faut comprendre qu’une nouvelle récession, arrivant aussi vite dans la foulée de la précédente et sans que nous ayons connu de véritable reprise (normalement, après une récession de la force de la précédente, nous devrions connaître une croissance de 5 à 7 % en ce moment), serait bien davantage qu’une simple récession, et sans doute même une dépression en bonne et due forme.
C’est sans doute cette perspective bien réelle qui a amené la Banque Scotia à brosser un tableau aussi noir de la situation. Les causes de la détérioration de celle-ci sont désormais bien connues, et j’invite ceux qui en auraient manqué des bouts à consulter la revue de presse de Vigile du dernier mois dans son dossier « Chronique d’un monde en pleine décomposition » http://www.vigile.net/-Chronique-d-un-monde-en-pleine- .
***
Mais une dépression aujourd’hui serait bien différente de celles du passé. La dernière remonte à 1929 et aux années 1930. À l’époque, le Canada était bien différent de ce qu’il est aujourd’hui, et, pour faire court, n’existaient surtout pas les énormes programmes sociaux d’aujourd’hui qui sont devenus depuis les années 1960 et 1970 l’épine dorsale de la fédération canadienne par le truchement des transferts sociaux et de la péréquation, en remplacement des… chemins de fer ( ! ) comme c’était en effet le cas encore en 1929.
En 2011, l’enjeu est donc la survie de la fédération canadienne, et la question de cette survie pose inévitablement celle de la place du Québec dans celle-ci, comme les événements des prochains mois et des quelques prochaines années vont se charger de nous le démontrer.
Pour les Québécois, le moment de se brancher est venu, sans même que les « séparatisses » y soient pour quoique ce soit, tant sont fortes les lois naturelles de la gravité et de l’inertie. Il leur reste toutefois à démontrer que si le Canada risque de perdre son épine dorsale, ils n’ont pas perdu la leur.


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5 commentaires

  • Stéphane Russell Répondre

    14 septembre 2011

    Moi ce que je redoute, c'est justement qu'on exploite la situation pour faire passer les frustrations du Canada anglais sur notre dos. Déjà on nous rend responsable de la pluie et de la neige (qu'est-ce qu'on est puissant quand même!), tantõt on mettra sur notre compte le fait que le Canada ne tienne pas le coup. Très pratique de nous utiliser à cette fin, pour cacher que certains en profitent pour s'en mettre plein les poches en profitant du malheur des autres. Mais pour nous, ça peut s'ajouter à notre malheur. J'espère que je me trompe.

  • Stéphane Sauvé Répondre

    14 septembre 2011

    Ca fait des lustres que nous le disons à qui veut bien l'entendre. Cette crise comme celle de 29 est programmée depuis belle lurette. L'objectif ? Concentrer le pouvoir davantage qu'il ne l'est. Rappelons-le, les crises économiques ont toujours servi ceux qui sont dans les hautes sphères du pouvoir.
    Et comment concentrer davantage le pouvoir ? En laissant tomber les devises via l'hyperinflation. On laissera les populations dans le désarroi pendant quelques mois, question qu'ils supplient la mise en place d'un nouvel ordre mondial.
    Et ce nouvel ordre mondial sera établi sur la devise électronique. On allèguera que la corruption a amené la chute du système et que conséquement il faudra avoir un meilleur contrôle des entrées et sorties du cash. La devise completement électronique (voir biométrique) verra alors le jour. On acclamera les dirigeants pour leur génie (ouin!). Un nouvel esclavage prendra le relais.
    Solution urgente, et déjà proposé à Cap sur l'indépendance: Mettre en place un nouveau système d'échange entre les individus et favoriser la création de devises locales.
    Pour le reste, et demandez à Madame Marois et son mari...c'est vers l'intégration nord-américaine que nous nous dirigeons...une indépendance bidon puisque nous serons à la remorque du système international.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2011

    On ne peut être que d'accord avec l'auteur sur l'imminence des turbulences économiques qui attendent beaucoup de pays, le Canada n'y échappera pas.
    Comme tout pays, le Canada est aux prises avec des forces centrifuges et centripètes. Certains phénomènes le portent à s'unir, d'autres le poussent à la division. Un examen plus détaillé et plus nuancé permettrait de mieux saisir cette dynamique et de voir un peu mieux de quel coté pèse la balance des forces. Faire l'économie de cette analyse et affirmer que la crise économique conduira le Canada à une crise multiforme qui le mènera à l'implosion (JRMS + RLH) est une hypothèse parmi d'autres. Pour moi, cette prédiction n'est pas plus convaincante que son contraire. Par conséquent, je ferais preuve d'un peu plus de prudence sur ce genre de prédiction que j'éviterais en tout cas de marteler comme la plus plausible, voire la seule possible.
    Pour faire bonne mesure des divers «considérant» dans ce que sera le sort du Canada aux prises avec une crise économique profonde, voici justement un aspect qu'on aurait tort de laisser de coté :
    Première question. Le Canada dispose-t-il de la liberté politique d'imploser ? Depuis quinze à vingt ans, il faut savoir que les seules indépendances, aussi bien que les seuls «changements de régime» (auxquels on peut apparenter les «implosions», sont ceux qui ont reçu l'imprimatur des USA. Par conséquent, l'implosion du Canada pourrait même ne pas être une option. Ce pays à la souveraineté désormais limitée n'a pas nécessairement le dernier mot pour ce qui est de ses éventuelles subdivisions territoriales et politiques. Une mise à jour de la carte géopolitique du monde s'impose.
    Et l'indépendance du Québec dans ce contexte... ?
    Je ne compterais pas trop sur l'implosion du Canada pour l'annoncer faisable, je ne sais pas quel serait le facteur la favorisant le plus même si, de façon générale, on peut dire que pour qu'elle se fasse le monde devra aussi changer.
    Regardez la France, pays indépendant de forme, mais dont la souveraineté se rétrécit comme peau de chagrin depuis des années.
    Par conséquent, même si de l'avis de plusieurs le temps nous manque, on empirerait la situation en se contentant d'expédients. Pour continuer dans les mêmes ornières, nous n'avons effectivement plus de temps. Pour moi, il faudra faire notre deuil de combats et d'enjeux immédiats, parfois prenants, contre lesquels il est devenu clair que nous ne pouvons rien. La sourde et patiente résistance, un peu comme celle de nos ancêtres, me semble être à l'ordre du jour; si un parti indépendantiste en formait l'ossature et qu'il se montrait capable de réunir les quelques milliers de patriotes volontaires que compte le Québec, il pourrait, dans ce cas, nous rester du temps car les efforts investis le seraient à bon escient. Un éventuel retournement des choses pourrait alors devenir possible.
    Je résume en quelques phrases ce que je devrais écrire en plusieurs pages, je m'excuse auprès des lecteurs pour mes développements très schématisés.

    GV

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2011

    Mais par une seule parole, le président français fait des miracles. Il dit à la bourse: "Lève-toi et marche!" et la bourse rebondit immédiatement.
    http://www.lesaffaires.com/bourse/revue-des-marches/bourse--rebond-en-aprs-midi-/534854

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2011


    Donc, c'est l'implosion du Canada qui s'en suivra et
    qu'aucun méchant "séparatisse" n'a inventée. Les
    conditions étaient là sur place en partant mais il
    était impossible de les faire voir par ceux et celles
    qui ne veulent pas voir. Plus aveugle, tu meurs.
    Et maintenant attendons la suite des événements, puisque
    personne ou presque ne veut croire.
    JRMS