Aristote à l'Assemblée nationale

Le Québec sombre dans la dénonciation, l’acrimonie, l’enflure verbale

Tribune libre 2009

Les
politiciens, chaque jour, donnent à l’Assemblée nationale, un bien triste
spectacle. Tous partis confondus, ils se rabaissent, se dénigrent,
s’affrontent comme de vulgaires gamins de ruelles, comme de jeunes poltrons
s’affrontant dans une cour d’école. Le Salon de la race est devenu le lieu
de la dégénérescence, le terrain des coups bas, le théâtre des
demi-vérités, des insinuations, des faux-fuyants, et quoi encore? Des
turpitudes, des saloperies, des propos méprisants, des allusions
disgracieuses. Les élus ne se voient plus comme des personnes mises au
service du bien commun. Métamorphosés en loups aux regards puissants,
assoiffés de pouvoir, prêts à toutes les actions pour atteindre leur fin,
les politiciens se discréditent eux-mêmes en oubliant, volontairement ou
involontairement, le ce pourquoi le peuple les a élus. Ils parlent
d’éthique mais ne savent pas ce que c’est ou, s’ils le savent, font comme
s’ils n’en connaissaient pas la définition et les applications.
Éthique personnelle
Les hommes, selon le philosophe grec Aristote et auteur de l’Éthique à
Nicomaque, pensent qu’il y a une règle universelle qui préside à l’action
humaine. Ils jugent, tout naturellement que certaines gestes humains sont
dignes d’éloge et que d’autres méritent d’être blâmés. Certaines personnes
étonnent par leur conduite. Exceptionnels, ces êtres sont l’objet d’une
estime particulière. Ils sont rarissimes. On les retrouve cependant à
toutes les époques de l’histoire de l’humanité. En temps de crise, les
pouvoirs politiques les consultent, retiennent leur propos, parfois les
invitent à parler devant le peuple pour donner des orientations générales,
lancer un appel à l’unité, demander une forme dépassement. On les appelle
communément des sages ou des philosophes.
Personne, même le plus grand des mécréants parmi les mécréants, ne
conteste la vie morale. Elle est un fait humain et uniquement humain. Elle
existe avant la réflexion morale. Elle est indépendante de la réflexion
individuelle. Dans la pensée morale actuelle, la morale ou l’éthique est
présentée comme un produit de la vie sociale. Certains auteurs vont jusqu’à
suggérer qu’il n’existe pas d’éthique en dehors de la vie sociale. Ils
pensent que l’homme, isolé, n’aurait aucune idée de ce qu’est la morale et
que la notion même de règle morale viendrait uniquement de la vie en
société. C'est l'idéologie du sociologisme.
Cette conception s’oppose à toute la tradition qui a toujours lié la
question morale à la conscience, c’est-à-dire, en référence à ce qu’il y a
de plus intime et de personnel dans l’être humain. Celui-ci, même isolé,
arrive à comprendre qu’en mangeant trop par exemple, il devient malade. Il
considère que c’est un mal d’agir de la sorte. La vertu de tempérance se
présente à la volonté libre comme une fin ou un bien pour lui et l’invite à
régler sa vie autrement. Normalement, la société civile n’a pas à régler la
tempérance de personne. «Nez rouge» est un palliatif à l’intempérance de
certaines personnes, incapables, par elles-mêmes, de décider le moment où
elles devraient cesser de consommer. A l’évidence, un grand nombre de
citoyens vertueux (tempérants et courageux) faciliterait la vie en société.
La matière de la société civile se trouvant dans le citoyen, celle-ci sera
meilleure, si elle composée de citoyens vertueux. C’est l’enseignement du
vieux philosophe grec Aristote. C’est l’enseignement de la grande tradition
philosophique occidentale.
Éthique sociale
Sénèque affirmait que lorsqu’il allait parmi les hommes, il en revenait
moins humain. Malgré les faiblesses et les difficultés inhérentes à la vie
sociale, il est impossible de concevoir l’être humain, hors du lien
sociétal. L’homme est un animal social. Il a besoin de la société pour
atteindre son plein épanouissement. Aristote va jusqu’à dire que ce qui
pousse les humains à se regrouper et à vivre ensemble, c’est le souci de
l’autre, qui peut mener jusqu’à l’amitié. Dans ces temps-ci, l’amitié ne
semble pas être la vertu la plus pratiquée sur le parquet du Salon de la
race. L’annonce calculée des allégations plus ou moins prouvées
empoisonnent l’atmosphère. Pas étonnant que les «ferme ta gueule» et les
«tu es un épais» virevoltent sous l’œil des caméras de la télé.
Pour Aristote, l’amitié n’est pas fondée sur le plaisir comme c’est le cas
des jeunes gens; elle n’est pas fondée non plus sur l’intérêt, comme c’est
le cas avec les gens adultes ou les vieillards. L’amitié est fondée sur la
vertu. L’ami trouve un tel bonheur dans le bien de son ami qu’il est prêt à
sacrifier le sien pour que son ami soit heureux. Bref, c’est
l’intelligence, dans le raffinement de l’exercice de l’amitié, qui fait
réaliser de grands projets collectifs et parfois, des conquêtes
individuelles. Peu de sociétés, mêmes les plus petites, ne survivent, sans
le lien de l’amitié.
La vie en société me fait penser à un orchestre symphonique. Il ne suffit
pas, pour améliorer la musique, d’acheter des instruments neufs à tous les
membres de l’ensemble musical. Il faut d’abord former les musiciens. Les
meilleurs investissements dans les institutions ne porteront pas de fruits
si celles-ci sont dirigées par des incompétents, des paresseux, des
profiteurs. Il est important de former de bons musiciens si le chef
d’orchestre veut livrer un excellent concert. Créer de l’harmonie. Il est
important de former de bons citoyens, par l'enseignement et l'exemple, si
le chef de la cité veut mener à bien la société qui lui est confiée.
Le meilleur chef d’État, avec les meilleurs instruments, ne peut faire
progresser et harmoniser les siens, si ceux-ci n’ont pas pris le temps de
se former. A l’ère de l’électronique, du mythe de la place aux jeunes parce
qu’ils sont jeunes, il est impossible voir et d’entendre le concert de
l’unité et de la fraternité au Québec, sans passer par une solide
formation. Les chiffres signalent, tout au contraire, que l’ignorance fait
des progrès. Comment faire évoluer une société qui bafoue à ce point les
biens de l’intelligence et s’attable autour du buffet de la démagogie?
Pour Platon et Aristote, l’objectif fondamental de la pensée est
l’organisation de la cité. Pour ce dernier, le civisme est au fond la même
chose que l’amitié. Il en est même la forme la plus haute. Il est
l’aboutissant de toute la morale. Aristote a lancé des formules qui font
toujours école : la partie est pour le tout; le tout est plus noble que la
partie; le citoyen est à la cité ce que le bras est au corps. Pour que le
corps se porte bien, il faut que les membres soient en santé.
Au l’aube du Nouvel an, le citoyen québécois est en droit de se demander
si certains membres de notre société, mêmes chez les dirigeants, ne sont
pas trop gangrénés et incapables, forcément, d’assurer la cohésion du corps
social. A l’évidence, il faudrait sans doute élire un philosophe à
l’Assemblée nationale pour rappeler certains principes, former certains
membres de la députation qui semblent avoir moins, en formation civique,
que certains de mes jeunes anciens élèves qui pratiquaient certaines vertus
délaissées par nos élites. Mais les élus, pas encore rassasiés de leurs
tartufferies et de leurs ambitions, seraient-ils capables de se taire, de
respecter leur règlement, et d’écouter le bon sens qui ne se cultive que
par la réflexion, les lois de l’intelligence qui viennent de l’intérieur de
tout humain qui se respecte? Permettez-moi d’en douter !
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


Laissez un commentaire



4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 décembre 2009

    Le Christ à L'Assemblée nationale... Pour une sainte colère.
    En effet M. Turcotte, quand on est rendu à devoir écrire pour nos gouvernants un condensé des règles de base de morale et d'èthique, c'est révoltant.
    Mais reste à savoir premièrement qui va les écrire et, deuxièmement à qui les faire parvenir...
    F. Beauchemin à Lévis.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    12 décembre 2009

    Chose certaine: L'Assemblée nationale n'est pas un cercle de bridge. Ce n'est pas le lieu de la politesse. La Res Publica, la chose publique se débat face à face, sans ménagement. La démocracie, c'est la confrontation des idées. J'ai visité l'Assemblée de la République française en septembre dernier et la cacophonie y règne presque en permanence. On insulte systématiquement la personne qui a la parole. Comme disait l'une parmi nous: Pas édifiant! Mais on n'en venait pas aux mains comme on peut voir dans des parlements plus HOT! On y verrait mal une députée rusée demander des excuses "au nom de toutes les femmes"... ou un jeune bagarreur affirmer qu'il avait vu un gros McMillan au bord des larmes à cause des insinuations de la députée ADQ.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 décembre 2009

    Aristote dehors svp :
    « C'est à peine dix jours après le vote divisé de l'Assemblée nationale que notre remontée commença à se faire sentir dans les sondages. Comme on dit au hockey, la rondelle roulait pour nous autres...»
    CHARRON, Claude (1946-), Désobéir, 1983, p. 37

  • Archives de Vigile Répondre

    12 décembre 2009

    Politique: Platon et Aristote
    Votre argumentaire est une proposition platonicienne de la politique. À Cet égard il ne faut pas appeler Aristote à la rescousse de Platon. Il y a un monde de différence entre les deux:
    Platon, dans La République, applique la méthode rationnel au champ politique. Or la politique n'est pas un phénomène rationnel mais bien relationnel, ce que démontre Aristote dans ses notes politiques.
    L'État dans la République de Platon: Roi philosophe, armé et paysans-artisans, n'a pas trouver preneur à son époque. La seul application que l'on trouve de ce shéma (triangle ) c'est dans la théorie du matérialisme dialectique (Communiste): Le Parti,Avant garde éclairé, l'armée, les prolétaires), Cette théorie part du postulat que le réel est rationnel (question de méthode on devrait avoir le bonheur en formule) . L'histoire nous démontre que l'adéquation entre la théorie (rationnel) a buté sur la réalité (relationnel): "Les faits sont têtu." (Lenin)
    Aristote disait de Platon: "C'est mon ami mais il parle creux" (rapporté par Alain)
    Et il avait raison, la politique est un phénomène relationnel ( Intérêt, rapport de force. effectivité). La réalité est radical et le défi est d'en prendre la mesure du réel, si non on bute dessus.
    Aristote est le père d'une doctrine d'État qui garde encore toute sa pertinence.
    L'État est d'abord organique
    Hors de l'État l'homme est soit un Dieu soit une brute
    L'Homme est donc nécessairement un animal politique.
    L'État est ontologique (relationnel) donc et non théorique (rationnel)
    Et pour revenir à ce débat de l'Assemblé Nationale:
    Aristote pose la question essentiel: Qui contrôle l'État et au profit de qui ? (je formule ainsi sa proposition qui se retrouve dans ses notes de politique)
    Ce qu'a révélé la dernières cession du parlement :
    C'est que Charest a ouvert la portes à de puissants réseaux d'intérêts qui squattent notre États, au détriments du bien publiques. Ce phénomène se révèle d'une tel ampleur qu'il y a péril en la demeure. (Alors que l'on voulait ma mort, était il temps de me taire: François Villon)
    Et devant la gravité de la situation, il urge de débattre du FOND; et non de dévier ce débat sur le TON, manière de l'éteindre dans l'insignifiance. Ce n'est certainement pas sur le TON que se pose le véritable problème du manque de vertus dans la circonstance.
    JCPomerleau