Après la crise, le bilan. Purdy Crawford, cet homme d'affaires et avocat torontois qui a piloté la plus grosse restructuration financière de l'histoire canadienne -- celle du papier commercial --, n'a jamais eu la langue dans sa poche. Humble et affable, comme c'est souvent le cas chez les gens des Maritimes, il n'est pas du genre à passer par quatre chemins pour dire ce qu'il pense.
Pour ceux qui l'auraient oublié, toutefois, M. Crawford n'est pas que le médiateur du casse-tête de 32 milliards. C'est aussi celui qui, en décembre 2003, a écrit pour le gouvernement ontarien un rapport en faveur d'un gendarme canadien pour baliser les valeurs mobilières. Cinq ans plus tard, il y greffe en quelque sorte une annexe: la création d'une agence nationale, un sujet de discorde majeur entre Ottawa et Québec, n'aurait pas permis de prévenir quoi que ce soit.
«Je suis en faveur d'une agence unique, pour plusieurs bonnes raisons», a-t-il dit hier lors d'un entretien. «Mais la réalité, c'est que si nous avions mis sur pied une agence unique, il y aurait eu les mêmes exemptions [pour les sociétés qui émettent le papier commercial]. La crise a pris tout le monde par surprise, et une agence unique n'aurait rien changé.»
Dans un éditorial qui a fait jaser, le Globe and Mail a écrit la semaine dernière que le remplacement des agences provinciales par une agence nationale -- comme le voudrait Ottawa et Bay Street -- aurait permis d'éviter la catastrophe. «La Caisse de dépôt et placement, tenue en haute estime dans la culture politique et économique du Québec, n'aurait peut-être pas subi d'aussi grosses pertes dans le papier commercial», a ajouté le Globe. La Caisse de dépôt, qui doit bientôt publier ses résultats pour l'année 2008, avait dans ses livres pour 13 milliards de papier commercial. Plusieurs s'attendent au pire.
Dans le barrage de règles qu'elles appliquent, a poursuivi le Globe, les autorités provinciales et territoriales ont laissé un trou qui permet d'émettre du papier commercial sans déposer de prospectus auprès des autorités. Conséquence: des petits investisseurs en ont acheté sans savoir de quoi il s'agissait au juste. Une agence pancanadienne serait plus efficace et le risque d'une catastrophe aurait été réduit, selon le quotidien.
«Je ne suis pas d'accord», a dit M. Crawford. «L'agence unique aurait adopté les mêmes règles. La probabilité qu'ils auraient décidé d'examiner le créneau exempté est très mince. Je sais qu'à Ottawa, on n'aime pas ça quand je le dis, mais c'est la réalité.»
Le PCAA, un refuge
Le papier commercial adossé à des créances, communément appelé PCAA, était un placement à court terme qui générait des rendements grâce à des dettes de cartes de crédit, des voitures de location, des prêts hypothécaires, etc. Dans les fonds du marché monétaire, refuge de choix pour quiconque voulait stationner son argent de manière sécuritaire, on en trouvait souvent.
Au Canada, il y en avait pour 120 milliards. Mais la tranche qui a causé problème est celle qui avait été émise par des «entités non bancaires», soit des petites fiducies opaques basées à Toronto.
En août 2007, toutefois, certains grands établissements se sont mis à craindre que le PCAA soit trop étroitement lié au marché hypothécaire américain. Le bassin d'acheteurs s'est asséché. Le créneau au complet s'est trouvé paralysé, et les grands détenteurs, comme la Caisse et la Banque Nationale, ont décidé de décréter un moratoire.
En fait, seulement 7 % du PCAA était lié aux subprimes américains. Mais le mal était fait.
Plutôt que de laisser le créneau s'effondrer, on a donc entrepris de convertir le PCAA en obligations à long terme, qui viendront à échéance dans huit ou neuf ans. Le processus a été encadré par Ernst & Young, et l'homme qui a fait le lien entre tout ce beau monde, c'est Purdy Crawford. Vingt-cinq ans plus tôt, il avait piloté la restructuration de Dome Petroleum, une affaire de 4 milliards. Mais, comme défi, le PCAA était beaucoup, beaucoup plus gros.
Plus de prudence
En bref, tout le monde aurait dû être plus prudent. «Ce n'est pas le genre de produit que les investisseurs individuels devraient acheter», a-t-il dit hier. «Même avec un maximum de transparence. Ils ne le comprendraient jamais.»
Au plus fort de la crise, ils étaient environ 2000 investisseurs à avoir placé leur argent dans le papier commercial mais à ne pas pouvoir reprendre leurs billes. Une centaine de grands, comme des entreprises et des sociétés financières, mais aussi 1900 petits investisseurs qui en avaient acheté auprès de leur firme de courtage. Ces jours-ci, on leur remet de nouveaux titres, qui remplacent les anciens. Ils peuvent les vendre s'ils le souhaitent.
M. Crawford et le comité qu'il présidait ont d'ailleurs été fortement critiqués par les petits investisseurs, qui disaient ne rien comprendre au plan de restructuration. «J'ai été recruté en septembre 2007, et même en travaillant continuellement sur le dossier, j'ai seulement commencé à le saisir après deux mois», a poursuivi hier M. Crawford, dont la voix calme est celle d'un homme qui, à 77 ans, n'a pas besoin de bomber le torse pour prouver quoi que ce soit.
La tension
Lors d'un passage à Montréal devant un groupe d'entre eux, la tension était palpable. Mais l'avocat n'avait à l'époque qu'une chose à dire: je vous comprends, et ce qu'on essaie de faire, en gros, c'est de sauver les meubles, sinon vos pertes vont être énormes. (M. Crawford hésite à dire combien.) Les travaux, qui ont fait appel à une armée d'avocats et de spécialistes financiers, ont entraîné des honoraires de 200 millions.
À l'avenir, il faudra davantage de transparence, a plaidé M. Crawford. «Pour que les gens et leurs conseillers puissent comprendre ce qu'ils achètent. Les gens ne pourraient pas le comprendre, mais leurs conseillers, oui, de même que les firmes qui vendaient le PCAA.»
Plusieurs ont critiqué le travail de l'agence de notation DBRS, qui était la seule à s'être prononcée sur la solidité du PCAA non bancaire. «Il faut de la réglementation autour des agences de notation, mais surtout, il faut mettre encore plus d'accent sur le risque et la perception de ce risque dans nos établissements financiers, qu'il s'agisse de banques canadiennes, de régimes de retraite ou d'assureurs. Nous avons fait preuve de beaucoup de laxisme.»
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