Apprendre à être une majorité

L'approche proposée par les deux commissaires, Gérard Bouchard et Charles Taylor, est sage, et elle est, sans jeu de mots, raisonnable.

Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»


Le premier ministre Jean Charest, pour désamorcer la crise des accommodements raisonnables, avait choisi de confier à deux sages de réfléchir sur les relations entre la majorité et ses minorités. Le résultat ne devait pas nous surprendre.

L'approche proposée par les deux commissaires, Gérard Bouchard et Charles Taylor, est sage, et elle est, sans jeu de mots, raisonnable. Les coprésidents ont dégonflé le ballon, démontrent que les incidents qui ont déclenché tout ce processus n'étaient pas une crise, mais un dérapage. Ils définissent des balises, sur la laïcité, sur la définition de l'interculturalisme, ils proposent des principes pour la résolution de conflits, ils misent sur l'équilibre, le bon sens, le compromis et la réciprocité.
Évidemment, comme la plupart de ceux qui auront commenté ce rapport, je n'ai pas eu physiquement le temps de le lire avec l'attention qu'il mérite. Mais même si ne ne suis pas d'accord avec tout ce qu'il contient, j'ai apprécié l'approche des commissaires, son cadre conceptuel, et aussi, son intelligence, une denrée trop rare dans le débat public.
Ce sur quoi j'aimerais insister aujourd'hui, c'est un aspect de cette démarche qui m'apparaît fondamental, qui colore la plupart de ses recommandations, et c'est le fait qu'au Québec, les Québécois francophones constituent une majorité et qu'ils doivent apprendre à se comporter comme une majorité.
La nature même des événements que nous avons vécus s'expliquent en bonne partie par le fait que la société d'accueil que nous sommes est aussi une minorité dans ce pays et sur ce continent, avec ses insécurités, ce qui ne facilite pas ses rapports avec ses propres minorités. Mais les francophones, qui contrôlent l'État et ses institutions, doivent assumer leur rôle, accepter qu'ils ont des devoirs et comprendre que les minorités sont plus fragiles et plus vulnérables.
Bien sûr, en principe, le rapport repose sur un principe de réciprocité. On demande aux immigrants de s'intégrer, de parler français, d'accepter nos valeurs. Mais dans les faits, le gros des recommandations s'adressent à la majorité, qui doit faire l'apprentissage de la diversité, accepter les pratiques d'harmonisation, aider les immigrants à s'intégrer, adhérer à l'interculturalisme, lutter contre la discrimination.
Ce passage à une société adulte et moderne n'est cependant possible que si les francophones surmontent leurs peurs. À ce chapitre, le rapport est éloquent sur les erreurs à éviter. «La plus néfaste consiste à céder au pari de la peur, à la tentation du retrait et du rejet, à s'installer dans la condition de victime.» C'est ce que les commissaires appellent «le modèle de la peau de chagrin». C'est pourquoi ils consacrent de nombreuses pages à montrer en quoi cette insécurité, sur les valeurs, sur la langue, sur la perte des traditions, n'est pas fondée.
Hélas, il reste beaucoup de chemin à faire. On l'a vu, hier, à l'Assemblée nationale, aux réactions très négatives des deux partis de l'opposition. Rien d'étonnant de la part de Mario Dumont, qui a fait de la peur des immigrants son pain quotidien et dont la vision est aux antipodes de celle des commissaires. Mais la réaction de Pauline Marois, qui se range en fait dans le camp de l'ADQ, est plus troublante et plus décevante.
La chef du PQ affirme que le rapport «passe à côté de l'essentiel», elle déplore le fait qu'il «ne va que dans un sens». Ce qu'elle lui reproche, c'est justement de trop demander aux francophones, de ne pas prendre compte de ce qu'elle appelle «le malaise identitaire». Dans ses réactions, Mme Marois s'inscrit en fait dans la logique de minoritaires, en insistant sur les inquiétudes des francophones, et en mettant de côté des éléments essentiels du rapport, l'interculturalisme, l'intégration, le vivre ensemble, la lutte contre la discrimination.
Il faut dire que le rapport critique très sévèrement certaines prises de position du Parti québécois, comme le concept du «nous», une idée malsaine du conseiller Jean-François Lisée hélas reprise par Mme Marois, ou encore son alarmisme linguistique.
Pauline Marois aurait pu profiter de la publication de ce rapport, qui permet d'élever le débat, pour corriger doucement le tir. Mais non, elle a choisi de continuer à jouer sur les peurs identitaires et l'alarmisme linguistique et de ramener son parti carrément à droite sur un enjeu essentiel dans les sociétés occidentales.
Ce glissement pose cependant problème. L'idée de cette commission était, on le voit maintenant, une bonne idée. Ce rapport est un outil précieux. Mais pourra-t-on lui rendre justice quand le gouvernement est minoritaire et que les deux partis de l'opposition refusent de faire le parti de l'ouverture?


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