(NOTE: Ceci est un message que j'ai publié sur le Forum de la FPJQ, en avril 2000, à une époque où je ne le détestais pas encore.)
"Les blues de André Pratte, pas si rares?"
J'ai été désarçonné de lire le confrère André Pratte (La Presse) qui s'ouvrait le coeur dans une édition récente du journal Voir.
Ses remises en question et sa désillusion m'ont frappé, et je ne suis sûrement pas le seul, même s'il est tabou, dans nos sociétés compétitives, d’avouer ses malheurs, surtout quand on est bien établi comme auteur et excellent journaliste.
J'ai envoyé un courriel à André pour lui confier mes réactions à chaud, et il m'a répondu brièvement. Dans le texte de Voir, André disait qu'il est devenu (insistons: devenu) malheureux en tant que journaliste; qu'à 42 ans, il est arrivé au bout du rouleau et que sa carrière à La Presse semble pratiquement finie. Comment peut-on en arriver à ce constat, si vite?
Il disait aussi que tôt ou tard, les journalistes risquent d'en arriver, comme lui, au décevant constat qu'ils ne sont pas devenus et ne deviendront jamais, égocentriques que nous sommes, les agents de changements marquants dans la société; qu'ils ne laisseront pas leur marque de façon significative.
« On réalise tôt ou tard qu'en réalité nous sommes des acteurs », dit-il. Tiens, une réflexion pour les tenants du « journalisme civique », qui visent à devenir signifiants par cette action.
Car, j’en suis convaincu, la réelle et profonde ambition des humains et surtout des journalistes, c’est de se « faire un nom » et « laisser sa marque », se sentir important parce qu'on aura publié tel truc qui attirera l'attention et fera bouger les choses.
Ce besoin féroce de s'actualiser, je le sentais déjà en moi-même, mais de voir mes sentiments confirmés par lui m'a étonné et en même temps rassuré. Je me suis dit: Tiens, je ne suis pas le seul à me désoler de ce trait de personnalité humaine qui est courant, voire pré-requis, chez les journalistes. Pourquoi n'en parle-t-on pas? Pourquoi toujours les apparences de succès?
Quand j'ai fait un passage au quotidien La Presse en 1996 (jusqu’en 1999), j'étais très fier. Selon mes oeillères narcissiques de jeune homme à l’époque, La Presse représentait un sommet (je n’avais alors travaillé que dans des hebdomadaires). Je pourrais y laisser ma marque, être lu par un grand nombre... Et André était l'un de ceux que j'appréciais le plus dans la salle: sa simplicité, sa franchise, son humanité (NB : Tout cela se passait avant qu’il ne devienne le valet des Desmarais).
Et là, je le vois avouer se sentir malheureux, pris dans un cul-de-sac, et je me demande... Serais-je moi aussi tombé dans ce piège narcissique, ce trou sans fond dans lequel nos aspirations vaniteuses ne sont jamais comblées?
Aujourd'hui, je ne veux plus envier personne. Je ne veux plus m'abandonner à ces vaines ambitions; tenter d'être le meilleur... Le piège.
Quand j'étais à La Presse, je m’imaginais que mes confrères des médias moins « glamour » devaient m'envier. Et pourtant... Le journaliste de la presse régionale n'a rien à envier à ceux des médias de masse s'il aime ce qu'il fait. C'est le constat, sain, auquel je suis enfin arrivé, comme André l'a fait à sa façon. Peut-être devrions-nous être plus nombreux à le faire: réapprendre l'humilité, le plaisir du travail bien fait, même dans un contexte plus humble.
Un jour, j’ai confié à Pierre Foglia quelques-un de mes textes pour avoir son feedback. J'avais ajouté, très maladroitement j’en conviens, que je voudrais mieux « développer ce don que Dieu m'a prêté » (dans le sens générique de «une habileté que j'ai»). Ayoye! Vous voyez venir Fog? Le verdict est tombé sec: « Dieu ne vous a rien donné du tout (...) Mais si vous vous en tenez à faire de l'information, vous vous débrouillerez bien. »
L'ai pas pris, m'dame! Mais plus tard, j'ai accepté son opinion. C'est une autre leçon d'humilité que la vie m'a apportée, pour mon bien.
Tout ça pour dire qu'André, avec son commentaire honnête, a brisé mes dernières illusions sur le relatif glamour du métier, la course à la reconnaissance, la course au scoop qui nous mettra enfin sur la mappe, individuellement et me confirmer que « je suis quelqu'un d'extraordinaire », qui mérite beaucoup d'attention. Qui existe. Et ce bris d’illusions est toujours salutaire, selon moi.
Ce constat me rend encore plus difficile de constater aujourd’hui qu’il a trouvé sa solution existentielle en se prostituant dans la guerre anti-Québec menée par ses patrons, Desmarais et Gesca.
Éric Messier
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3 commentaires
Éric Messier Répondre
3 décembre 2010Ajout à mon opinion.
D'abord excusez la répétition du mot "constat" dans le dernier paragraphe. Puis-je le changer?
Bien sûr le dernier paragraphe de mon opinion est le plus important.
Le cas Pratte m'as intéressé à cause du fait que, selon ses propres dires à l'époque (1996), sa carrière n'allait nulle part, et qu'elle a connu un tremplin, quelques années plus tard (il s'est accroché), lorsqu'il est devenu éditorialiste à La Presse.
C'est pour ça que j'utilise le mot "prostituer", car son cheminement me donne l'impression qu'il a résolu son dilemme existentiel de l'époque en se mettant à fond au service de la propagande d'asservissement du Québec menée par ses patrons Canadians: La Presse, Gesca, Power Corporation, Desmarais, en échange d'une position plus envieuse, plus payante.
J'utilise le terme "prostitution", surtout, car je ne suis pas du tout certain que cette "fibre anti-nation-québécoise" était si forte en lui avant qu'il n'obtienne sa belle promotion au service du Conquérant.
Il faut bien admettre que le Québec a produit plusieurs vendus au Conquérant, nous rappelant que les valeurs de pouvoir, de notoriété et d'argent l'emportent encore souvent sur d'autres valeurs plus humaines, et le concept de nation.
Ce fait ne nous gardera pas de continuer la lutte, au contraire.
Éric Messier Répondre
1 décembre 2010À "L'engagé":
Par ton commentaire, tu me fournis le prétexte pour ajouter cet autre texte que j'ai écris plus récemment, dans la même veine:
"VOTEZ POUR LE PIRE JOURNALISTE", sur LA CLIQUE DU PLATEAU
" Il reste vrai que la plupart de nos journaux sont un gros gaspillage de papier et de FORÊTS au nom de la PUB et de l’EGO.
Je suis un simple journaliste, et je suis passé par La Presse dans les années 90, où j’ai côtoyé les Foglia, Petrowski, Ouimet, Pratte (quand il était encore PLUS minus qu’aujourd’hui).
À ce jeune âge, je me demandais si j'étais jaloux d'eux. Mais je suis certain de ne pas être jaloux des nombreuses scènes de léchage d’anus que j’ai vues dans la salle de rédaction de La Presse.
Plusieurs chroniqueurs ne voudraient pas admettre qu’ils ne sont souvent que des prétextes pour ce qui est vraiment important: LES PAGES DE PUB (à 15 000$ chacune?)
Michèle Ouimet par exemple. J’ai rêvé moi aussi de parcourir le monde pour écrire des topos. J’ai effectivement parcouru le monde et écrit quelques topos, mais rien de comparable à elle. Meilleur exemple encore: Patrick Brown de la télé CBC-RC. Il me renverse (et me rend jaloux?) dans sa capacité d’être présent partout, dans des situations difficiles, et de faire un bon travail en plus.
Ce genre de travail n’est pas donné à tous. Il faut vraiment être fait fort physiquement ET moralement, parfois même désenbilisé (et avoir un gros ego peut aussi être utile.) Or, je n’ai pas ces caractéristiques; je l’ai vérifié en voyageant en Afrique.
Une chose est sûre: le narcissisme est répandu chez les journalistes, les "m’as-tu-lu-j’étais-là-je-suis-important". Une plaie. Je le sais, j’ai déjà été comme ça. Au-dessus de mes affaires.
Cette façon faussement détachée de dire « Ouais, quand j’ai couvert la famine en Afrique en 2002… » (Ouimet) a un quelque chose de prétentieux. Comme si c’était ELLE qui avait couvert la chose, comme si ELLE avait eu l’Afrique entre ses mains et nous l’avait livrée emballée, comme si on lui devait à ELLE d’avoir appris « la vérité ». C’est répandu chez nombre de journalistes. Or, la vérité ne se possède pas, on ne peut que la chercher.
C’est pour ça que ce genre de journaliste va se pitcher partout sur la Terre où ça chie dans le ventilo. Attirer l’attention, avoir l’air courageux alors qu’on est présomptueux à la limite de l’inconscience. Avoir l’impression de faire une différence alors que la vraie gratification est de plaire à son ego.
D'ailleurs, je revois encore l’ambitieuse Céline Galipeau en Haïti en janvier dernier, dans la rue, tout excitée de croiser Jesse Jackson qui passait par là et d’enregistrer quelques-uns de ses précieux mots. Pendant un moment, elle a perdu de sa majesté. Elle avait l’air d’une écolière qui mouille sa culotte. Hors de l'asceptisation des studios, le vrai ressort.
Revenant à Michèle, cette façon faussement nonchalante de dire en entrevue « Ouais, les pastilles pour purifier l’eau, j’étais contente de les avoir en Afghanistan… » (et au Rwanda, et en Haïti..) « J’ai eu du trouble… » Heille, t’es en zone de guerre, chose! Ce faux détachement, ce faux-blasé est très agaçant.
Beaucoup de gaspillage de papier, donc, de billets d’avion et de toutes sortes d’autres argents, pour publier plus de publicités pleines pages.
Une chance qu’on a L’Aut’Journal, et même Mauvais Oeil (.com)…
PS: J'anticipe les répliques du genre « Pourquoi tu lis tel journal si tu détestes tellement? » C’est comme le classique: « Si tu n’aimes pas ça, change de poste » (et ferme ta gueule!)
L'engagé Répondre
1 décembre 2010Comment est-ce que le conformisme et l'assujettissement d'une société aux force du marché, comme la résignation et l'abandon de sa nation pour l'adoption de l'idéologie du conquérant peuvent-ils être une source d'inspiration, un idéal.
Je pense que Dubuc (celui de «L'aut'journal», pas le bouffon de Desmarais) n'a, lui, rien perdu de sa vigueur.
Power, c'est en fait un gros holding du gaz et de l'assurance. Pratte y publie pour faire la promotion de vue d'une entreprise complètement désincarnée. La Presse n'a pas d'âme, pas de substance, c'est l'exemple typique d'un journal qui a pour client les annonceurs plutôt que ses lecteurs, pathétique.
Comment son travail pourrait-il avoir un sens?
Dans la vie, il faut s'engager (lire Sartre et Camus pour comprendre ce que je veux dire), Pratte a complètement raté sa vocation, quelle pitié.