Alexandre Bissonnette: la défense dénonce le «populisme pénal»

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L'avocat de Bissonnette s'en prend au cumul des peines autorisé sous Harper

La loi du gouvernement Harper qui permet, depuis 2011, le cumul des peines en cas de meurtres multiples n'est rien de moins que du «populisme pénal», a dénoncé l'avocat d'Alexandre Bissonnette, mercredi.


Charles-Olivier Gosselin s'en est pris aux conservateurs de Stephen Harper, qui ont préféré les «slogans politiques», pour «marquer les esprits», à une loi «mûrement réfléchie».


«Lorsqu'on nous mentionne que des peines importantes doivent être imposées pour que le Canada ne se retrouve pas avec des problèmes de tueries de masse comme aux États-Unis, ce n'est manifestement pas appuyé sur aucune preuve quelconque, autrement que sur du populisme pénal», a-t-il plaidé devant le juge François Huot, de la Cour supérieure.


L'avocat a cité des statistiques démontrant que les crimes sont beaucoup moins nombreux au Canada qu'aux États-Unis, où le taux d'incarcération est pourtant plus élevé.


«Lorsqu'on nous dit qu'il ne faut pas se retrouver avec le problème des États-Unis, on va utiliser le même outil qu'ils utilisent. Manifestement, il ne fonctionne pas», s'est-il insurgé.


Bissonnette a tué six hommes et fait plusieurs blessés à la grande mosquée de Québec en janvier 2017. La Couronne réclame une peine de 150 ans d'incarcération, tandis que ses avocats croient plutôt qu'il devrait être admissible à une libération conditionnelle après 25 ans.


Normalement, un meurtre entraîne une peine de prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. En multipliant cette période par six — pour le nombre de meurtres — on arrive au total de 150 ans, dont Bissonnette est passible.


Menotté aux pieds seulement, ayant obtenu la permission du juge de prendre des notes, le tueur, tout de noir vêtu, était de retour en cour mercredi pour suivre le débat sur la constitutionnalité de l'article 745.51 du Code criminel permettant le cumul des peines.



Inconstitutionnel?


Cet article est inconstitutionnel, selon la défense, parce qu'il contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment son article 12 qui offre une protection aux citoyens contre les traitements cruels et inusités.


La disposition évacue toute possibilité de réhabilitation et de réinsertion sociale, deux pierres d'assise du système carcéral, a plaidé Me Gosselin.


Elle a pour effet de priver les condamnés d'un principe de justice fondamental, soit «l'espoir» d'une possible libération. «Sans l'espoir, quel est le sens d'une vie?» a-t-il demandé.


De plus, la discrétion du juge est indûment limitée par cet article du Code criminel, a-t-il renchéri, notamment parce qu'il empêche le juge d'ordonner une peine de plus de 25 ans, mais de moins de 50 ans.


«Le système avant 2011 fonctionnait, a insisté l'avocat. La liberté conditionnelle fonctionne.


«Les statistiques prouvent que même les meurtriers multiples sont réhabilitables parce que leur taux de récidive est bas.»



Les meurtriers ont des droits aussi


Tous les Canadiens ont des droits, y compris les meurtriers, qui portent en eux la capacité de changer, a poursuivi Me Gosselin.


Il a insisté pour dire qu'une libération conditionnelle dans le cas de Bissonnette ne serait pas une réduction de sa peine, mais bien un changement dans la façon dont il devra purger sa peine, car elle sera assortie de toutes sortes de conditions.


Le détenir en prison toute sa vie, «en jetant la clé», aurait des «effets désastreux» pour lui, a-t-il déclaré, en citant des études sur l'espérance de vie des détenus et sur le risque (plus élevé) qu'ils se suicident.


Un tel châtiment a un impact beaucoup plus grand chez un jeune «qui a la vie devant lui» que chez une personne âgée, selon l'avocat. Bissonnette a 28 ans.


Sur l'âge, le juge Huot s'est interrogé à savoir si Me Gosselin comprenait bien «l'ampleur» de ce qu'il demandait à la cour. «Les situations que cela pourrait générer, c'est peut-être là que le bât blesse», a-t-il déclaré.


La Couronne fera valoir ses arguments jeudi. La procureure générale du Québec a déjà indiqué qu'elle considère que le cumul des peines est «constitutionnellement valide».


Selon elle, il permet de punir davantage les meurtriers qui ont «un niveau de réprobation moral plus élevé» et ainsi de «renforcer la protection de la société».


Les parents de Bissonnette, qui l'ont salué discrètement mercredi et lui ont soufflé un baiser avant de sortir de la salle de cour, pourraient s'adresser aux médias à la fin des procédures jeudi.


Bissonnette devrait connaître sa peine cet automne.