Aider à la marche d'un Québec conscientisé

17. Actualité archives 2007


L'actualité, en ce début d'année, continue de nous remettre en question par rapport à l'avenir du Québec. Ce débat public semble fondamental. Que désirons-nous collectivement? Quel héritage souhaitons-nous léguer à nos enfants et à nos petits-enfants? Si la société québécoise est en marche, quelle direction cherche-t-elle? Quel chemin empruntera-t-elle? Les plus conservateurs répondront qu'à l'heure actuelle, un immobilisme sans vue nous caractérise. D'autres, plus réalistes, mentionneront, avec raison, les initiatives créatrices de certains des nôtres qui se démarquent courageusement tant sur la scène nationale qu'internationale.
Mais que dire de la société québécoise en elle-même? Un certain constat s'en dégage: elle semble prête à un renouveau économique, social et écologique, mais demeure toujours en attente: attente des réponses venant de l'État de moins en moins providence, attente de propositions et de projets économiques d'envergure du secteur privé, ou encore attente par rapport aux revendications de certains groupes sociaux. Malheureusement, ces positions nous placent fondamentalement en attente de nous-mêmes en nous convainquant mollement que les solutions viendront d'ailleurs.
S'éparpiller
Ainsi, quand on pense aux défis pratiques et concrets qui nous guettent, l'absence d'une vision de société plus intégrale nous empêche de comprendre les problèmes toujours plus complexes et globaux que nous devons affronter. Nos connaissances et nos actions continuent de s'éparpiller dans de nombreuses disciplines particulières qui s'ignorent encore les unes les autres. Pour l'instant, nos projets demeurent encore trop individualisés et les besoins, analysés à court terme. Nous voyons mal les solutions à apporter, c'est-à-dire les solutions pérennes et démocratiques qui viennent des acteurs du milieu eux-mêmes.
Cette impasse doit nous inciter à continuer de réfléchir à un projet de société innovateur et rassembleur. Le contexte nous invite à prendre conscience des enjeux qui nous déterminent et qui nous maintiennent dans une forme d'attente artificielle et rassurante, en exerçant un regard critique et global sur ces mêmes enjeux et les orientations dominantes qui s'en dégagent.
Nous subissons les influences de paradigmes divers, souvent dogmatiques et réducteurs, sans reconnaître que nous pouvons collectivement en ériger d'autres plus conformes à nos aspirations profondes. Encore sous l'influence marquée du modèle dominant néolibéral, qui nous propose (ou nous impose!) une conception particulière de l'être humain ainsi que des valeurs correspondantes, il est peut-être temps de prendre conscience du fait qu'une autre façon de penser et de faire collectivement est légitime et nécessaire dans notre cadre culturel historique. Renouveler nos modèles organisationnels et nos paradigmes, c'est se donner la possibilité justifiée d'agir autrement.
Cinq valeurs
Proposons un cadre de référence qui permettrait l'élaboration d'un paradigme différent du paradigme dominant actuel à partir des cinq valeurs fondamentales connues: liberté et égalité, démocratie, équité et solidarité. Les concepts de liberté-égalité et démocratie nous amènent au coeur de la pensée des Modernes, pour qui l'idéal de la démocratie ne peut se comprendre qu'à partir d'une saisie renouvelée des notions de liberté et d'égalité (Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social). L'idéal démocratique s'inscrit dans un mouvement réflexif constant et équilibré entre les valeurs de liberté et d'égalité, confronté aux enjeux pratiques et politiques contemporains.
Cette idée de liberté suppose la possibilité et la capacité de chaque personne de penser sa vie, de faire ses choix et de répondre de ses engagements envers une collectivité, d'où l'importance fondamentale de l'éducation au jugement et au discernement. Ce pouvoir personnel exige, en même temps, la reconnaissance de l'égalité de toutes et de tous, et la connaissance suffisante pour prendre part aux débats et aux décisions. Cette démarche démocratique, en tant que pivot entre la liberté et l'égalité, fait de chaque personne un membre à part entière d'une collectivité, comme devrait l'être tout citoyen dans la gestion des affaires de la Cité.
Les valeurs de liberté-égalité et de démocratie, reconnues depuis l'époque des grandes révolutions, semblent cependant incomplètes pour constituer aujourd'hui un projet de société humaniste. Deux autres valeurs doivent s'ajouter pour solidifier et personnaliser un tel projet: la solidarité et l'équité.
C'est sur l'ancrage permis par la solidarité et l'équité que se précise l'idéal démocratique, et c'est à partir de ces deux valeurs que se met en marche une société de personnes profondément engagées dans leur milieu. Ainsi, ces valeurs fondamentales ouvrent, par définition, à l'altérité; elles supposent la marche vers l'autre et avec l'autre. Elles sollicitent nécessairement une «co-opération», une action conjointe qui doit reconnaître la valeur d'humanité et de dignité en chacune et chacun d'entre nous.
Projet coopératif
En propre, les valeurs d'un tel paradigme, toujours arrimées à une pratique économique particulière, constituent le projet coopératif, projet qui ne cristallise pas son objet exclusivement sur l'investissement privé tel que dicté par le paradigme dominant, mais sur la prise en charge démocratique d'un milieu.
Ainsi, les tenants du projet coopératif s'insurgent contre l'idée d'un individualisme néfaste qui ne cherche que la maximisation de ses profits. Ils se positionnent contre l'idée que l'humain est un loup pour son voisin et, ajouterons-nous, pour lui-même. La philosophie coopérative définit plutôt la personne comme une fin en soi (jamais comme un moyen économique), comme un être autonome capable de discernement et de collaboration dans un environnement social, économique et écologique équilibré.
Pour les sceptiques, rappelons que les coopératives, à l'échelle mondiale, créent 20 % plus d'emplois que toutes les multinationales réunies. Elles ont souvent révolutionné la façon de faire des affaires par la responsabilisation des acteurs locaux eux-mêmes. Beaucoup de coopératives répondent honorablement à de tels impératifs. Ces résultats sont tangibles et parfois exemplaires. L'histoire du Québec moderne en fait foi.
Aujourd'hui, d'autres secteurs s'activent modestement. Pensons aux coopératives de Saint-Camille en Estrie, à Boisaco de Sacré-Coeur, aux projets coopératifs dans les domaines de la santé et des éoliennes et, qui sait, à la nouvelle coopérative de solidarité du Mont-Orford. La coopérative est une association de personnes qui cherchent à répondre à des besoins particuliers dans les milieux. Elle exige une alliance démocratique entre un projet individuel et un projet collectif sur les bases de la solidarité et de l'équité.
L'État-providence, le néolibéralisme et les diverses contestations et revendications semblent souvent correspondre inadéquatement aux aspirations personnelles actuelles et aux projets sociaux émergents. Voilà peut-être pourquoi les discours politiques intéressent peu et les données économiques paralysent: ils nous proposent une vue éthique réductionniste de nous-mêmes dans un horizon historique trop restreint.
Le renouvellement de nos idées sur une humanité et une société démocratiquement transformées peut nous amener à concevoir de nouvelles avenues sociales, économiques et écologiques à long terme. Voilà peut-être l'innovation souhaitée. Le mouvement coopératif québécois présente encore de grandes possibilités: celle, entre autres, de devenir, à nouveau, une solution alternative et un projet de société capable de répondre aux attentes d'aujourd'hui.
Ernesto Molina, Institut de recherche et d'éducation pour les coopératives et les mutuelles de l'Université de Sherbrooke (IRECUS)
Michel Lafleur, Institut de recherche et d'éducation pour les coopératives et les mutuelles de l'Université de Sherbrooke (IRECUS)
André Martin, Institut de recherche et d'éducation pour les coopératives et les mutuelles de l'Université de Sherbrooke (IRECUS)

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Institut de recherche et d'éducation pour les coopératives et les mutuelles de l'Université de Sherbrooke (IRECUS)





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