Ottawa - Soumis aux tirs nourris des trois partis d'opposition, le gouvernement Harper a fait une nouvelle fois volte-face hier au sujet des prisonniers transférés par les troupes canadiennes aux autorités afghanes. Moins de 24 heures après avoir annoncé la conclusion d'un accord «verbal» avec le gouverneur de la province de Kandahar leur garantissant enfin l'accès aux prisonniers, les conservateurs ont laissé entendre hier qu'une telle entente n'était probablement pas nécessaire. Le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, a en effet déclaré à la Chambre des communes que le personnel des services correctionnels canadiens avait toujours pu visiter les geôles du sud de l'Afghanistan.
Le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, a en effet déclaré à la Chambre des communes que le personnel des services correctionnels canadiens avait toujours pu visiter les geôles du sud de l'Afghanistan.
Le droit des soldats canadiens de visiter les prisons en Afghanistan avait d'ailleurs été confirmé aux députés le 11 décembre dernier, devant le Comité parlementaire de la défense nationale. «Rien dans l'entente conclue avec les autorités afghanes n'empêche le Canada et les membres des forces canadiennes de demander aux autorités afghanes la permission de rendre visite aux détenus», avait soutenu en décembre Vincent Rigby, le sous-ministre adjoint par intérim à la Défense nationale.
«Il y a certainement eu des membres des forces canadiennes qui se sont rendus dans les centres de détention pour rendre visite aux détenus que nous avions transférés», avait poursuivi M. Rigby. Sans en révéler le nombre, il avait qualifié ces visites de «sporadiques» tout en précisant que le Canada cherchait à rendre celles-ci plus «régulières» et qu'il songeait à aborder cette question avec Kaboul.
Hier, M. Day a confié qu'il avait récemment parlé à une agente du service, qui avait elle-même effectué une quinzaine de visites. Selon lui, «les choses s'améliorent. C'est difficile. Ça bouge, mais c'est difficile», a-t-il affirmé.
Cette révélation a été froidement accueillie par l'opposition, qui reproche au gouvernement d'entretenir volontairement la confusion au sujet du traitement réservé aux prisonniers. Pour le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, les conservateurs improvisent leur politique au sujet des prisonniers et tissent «une courte-pointe d'inventions et de fabrications».
C'est aussi l'avis de son homologue libéral, Stéphane Dion, qui croit que le gouvernement Harper est en train de se couvrir de ridicule dans cette affaire. «Je pense que le gouvernement descend de plus en plus bas dans la manipulation, la désinformation, et que cette fois-ci il s'y prend tellement mal que c'est évident pour tout le monde», a-t-il déclaré à l'issue de la période des questions.
Néo-démocrates, libéraux et bloquistes sont de nouveau revenus à la charge pour exiger la démission du ministre de la Défense, Gordon O'Connor. Même s'il était présent à la Chambre des communes, l'ancien militaire n'a pas soufflé mot hier.
M. Day, le premier ministre Stephen Harper et la secrétaire parlementaire aux Affaires étrangères se sont relayés pour répondre aux salves de l'opposition. M. Harper et son ministre de la Sécurité publique ont accusé leurs adversaires politiques de colporter des rumeurs sans fondement au sujet du traitement des prisonniers remis aux autorités afghanes.
Le gouvernement a une nouvelle fois tenté de minimiser les allégations d'une trentaine de détenus qui ont raconté au quotidien The Globe and Mail avoir été torturés, battus, électrocutés, laissés dehors dans le froid et privés de sommeil, entre autres.
«Le vrai problème, c'est la propension du Parti libéral et de ses collègues à croire, à répéter et à exagérer n'importe quelle accusation contre l'armée canadienne, qui combat ces tueurs fanatiques que sont les talibans. C'est une honte», a martelé M. Harper. Selon Stockwell Day, les talibans ont été entraînés à mentir et à dire qu'ils avaient été torturés, même si ce n'est pas le cas.
Le Canada a par ailleurs nommé hier un nouvel ambassadeur pour l'Afghanistan, Arif Lalani, ancien ambassadeur en Jordanie et en Irak. Il remplacera David Sproule.
La Haye
Les arguments du gouvernement, qui prétend mieux surveiller les prisonniers faits par l'armée canadienne, ne rassurent en rien les organismes de défense des droits de la personne. Même si les visites des prisons sont plus fréquentes que par le passé, rien n'empêche les geôliers de torturer les détenus quand ils sont seuls avec eux, a fait valoir le porte-parole d'Amnistie internationale, John Tackaberry.
Pour l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch, c'est tout le système qu'il faut revoir. Le responsable pour l'Asie, Sam Zarifi, croit que les pays de la coalition, qui incluent le Canada, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, devraient s'entendre pour se doter d'un centre de détention commun en Afghanistan.
Un professeur canadien et un défenseur des droits de la personne irlandais ont de leur côté demandé à la Cour pénale internationale de La Haye, aux Pays-Bas, d'enquêter sur de «possibles crimes de guerre» qui auraient été commis en Afghanistan par les plus hauts responsables du ministère de la Défense nationale.
The Globe and Mail rapporte ainsi que le Pr Michael Byers, de l'Université de Colombie-Britannique, et le directeur du Centre irlandais pour les droits humains, William Schabas, ont écrit à l'enquêteur principal de la cour afin qu'il étudie le comportement et les décisions du ministre canadien Gordon O'Connor et du chef d'état-major Rick Hillier. Leur lettre allègue que les grands patrons des Forces armées canadiennes ont accepté de confier des prisonniers aux autorités afghanes malgré les risques de sévices.
Le Globe avance qu'il est cependant peu probable que la Cour pénale internationale ouvre une enquête formelle. Elle a reçu au moins 1700 requêtes depuis sa création, en 2002, et a déterminé que la plupart n'étaient pas du domaine de ses compétences.
Interrogé sur cette affaire de présumées tortures, le dirigeant du commandement sud de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), le major-général Ton van Loon, a affirmé hier que ce serait une erreur de retirer aux forces de sécurité afghanes la garde des prisonniers talibans.
Afghanistan : Nouvelle volte-face d'Ottawa
Le personnel canadien aurait toujours eu accès aux prisonniers
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