A Padoue, les églises évangéliques voient dans l’immigration africaine « un plan céleste »

5cad2331d4727c55357b9a9ae3b3cdd2

Les évangélistes, complices du remplacement de population

Difficile de ne pas remarquer les Africains de Padoue : pédalant dans les rues de cette vieille cité de Vénétie où le vélo est roi, marchant vers leur travail dans la zone industrielle, bavardant à l’ombre des parcs publics, rassemblés dans des églises de toutes obédiences lors du service dominical, lieux de retrouvailles et de solidarité.


Il y a aussi, image insolite, ce personnage noir sur les célèbres fresques de Giotto qui racontent la Passion du Christ dans la chapelle des Scrovegni. Elles datent de l’aube du XIVe siècle, lorsque s’est épanouie la « Renaissance padouane », bien avant que la peinture occidentale ne fasse d’un des rois mages un Africain.


Aujourd’hui les Africains de Padoue, originaires de 17 pays situés au sud du Sahara, ne sont pas les plus nombreux parmi les immigrés attirés par les emplois qu’offrent les 1 300 entreprises locales : quelque 4 000 personnes dans une commune de 210 000 habitants, qui compte 16 % de non-Italiens. Mais ils sont forcément plus visibles que d’autres, et l’affaire de l’Aquarius, le bateau chargé de migrants que le xénophobe ministre de l’intérieur Matteo Salvini (la Ligue, extrême droite) a refusé de laisser accoster en Italie, a braqué les projecteurs sur cette population installée parfois de longue date.


Cantiques et musique entraînante


C’est le cas de Rose, une ancienne femme de ménage contente de toucherune modeste retraite, ou de John, un Ibo originaire du sud-est du Nigeria, employé dans l’industrie du cuir de luxe, qui s’occupe le dimanche de la sono de son église, l’ICF Padova (International Christian Fellowship). Car cantiques et musique entraînante sont de rigueur. Fondée en 1998 par un couple d’Américains, cette communauté évangélique, où se côtoient Asiatiques, Latinos et Africains, dispose au centre-ville de locaux presque cossus en comparaison des lieux délabrés dont doivent se contenterd’autres églises.


On est loin, très loin des centres d’accueil de migrants carcéraux et surpeuplés de Cona et Bagnoli di Sopra, dans le sud de la province. « Mon père, ouvrier à Padoue, m’a fait venir ici », raconte John, pilier de l’ICF avec son épouse Imo. « Elle, elle est yoruba, de l’ouest du Nigeria, nous sommes un vrai mariage mixte ! », sourit-il.


Les fidèles de l’ICF s’inquiètent-ils des polémiques actuelles ? « Il n’y a jamais eu de gros problèmes avec les autorités de Padoue, affirme Xhuli, une jeune femme originaire d’Albanie. Elles sont trop conscientes que les migrants font des travaux que les Italiens n’acceptent plus », comme le nettoyage ou les soins aux personnes, assurés, notamment, grâce à une immigration roumaine, moldave et ukrainienne.


La majorité des Africains vivent dans les quartiers périphériques de Padoue, moins chers. Il y a parfois des tensions, comme dans les HLM de Palestro, où l’association sportive Il Quadrato Meticcio (« Le carré métissé »), qui se réclame de Nelson Mandela, s’efforce d’encourager de jeunes joueurs venus du continent, future relève du football local.


« Déclaration d’antifascisme »


Sous ses airs bourgeois, Padoue est le laboratoire d’une résistance contre l’idéologie de la peur, de l’étranger comme de l’avenir, propagée par le parti dominant dans le nord de l’Italie, la Ligue, maintenant au pouvoir à Rome.


En juin 2017, une coalition de centre gauche portait la candidature aux municipales de l’entrepreneur Sergio Giordani, président du club de football Calcio Padova : appuyée par des catholiques, les écologistes et Coalizione Civica (« coalition citoyenne »), le mouvement de « réformisme participatif » d’Arturo Lorenzoni, un universitaire, elle a réussi à battre le maire sortant, Massimo Bitonci, chef de la Ligue en Vénétie, qui était soutenu par Forza Italia, la droite berlusconienne, et les postfascistes de Fratelli d’Italia. Une récente décision du conseil municipal impose désormais à ceux qui veulent louer des espaces publics de signer une « déclaration d’antifascisme ».


De ce conflit entre valeurs humanistes et identitaires, les églises néoprotestantes de Padoue se tiennent à distance, même si le destin des immigrés ne peut les laisser indifférentes. Car en Italie, du nord au sud, ces courants sont en plein essor. Selon le Pew Research Center, il y a 600 000 chrétiens évangéliques dans la péninsule, pour moitié immigrés : c’est la religion qui croît le plus vite au niveau mondial, après l’islam. Caritas Italiana dénombrait déjà, en 2012, quelque 850 « églises africaines néopentecôtistes » : en Campanie comme en Sicile, elles prospèrent dans les friches abandonnées par les mafias italiennes et sont un recours pour des ouvriers surexploités, victimes d’actes racistes, malgré leur style agressivement mercantile – un « business appelé Jésus », a écrit l’hebdomadaire L’Espresso.


A l’ICF Padova, le révérend Jack Richards, un Canadien, égratigne dans son sermon le « catholicisme paresseux de beaucoup d’Italiens » et vante l’éthique de la responsabilité personnelle chère aux évangéliques. Il valorise les enfants de la communauté, puisqu’ils sont « l’église de demain », et organise des rencontres avec les hommes adultes « pour qu’ils apprennent à aimer leur femme, d’ailleurs ce sont souvent les femmes qui me les envoient ! », explique-t-il.


Front commun contre la xénophobie


Ces immigrés ne sont-ils pas la chrétienté de demain ? Ils défient une religion catholique enracinée depuis dix-sept siècles, s’étonnent du culte des saints et des reliques, dont celles d’Antoine de Padoue qui attirent toujours les foules, eux qui ont répudié les croyances « idolâtres » de leurs ancêtres. Mais ces born again (« nés de nouveau ») réintroduisent aussi une vision conservatrice de la famille et une homophobie en déclin en Occident.


Un front commun contre la xénophobie pourrait-il s’esquisser entre ces différents courants chrétiens si le gouvernement de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles mettait à exécution son plan d’expulsion de 500 000 immigrés illégaux ? Pour l’instant, les signaux émanent du Vatican. Issu d’un monde latino-américain où les évangéliques sont incontournables, le pape François leur a tendu la main dès le début de son pontificat. D’origine argentine, il a aussi honoré, en mars, la communauté catholique Sant’Egidio, en pointe dans l’accueil des migrants. Le quotidien du Vatican, L’Osservatore Romano, a défendu le chef de l’Etat italien quand celui-ci a bloqué, en mai, la nomination d’un ministre eurosceptique, tandis que la conférence épiscopale italienne publiait, le 7 juin, un communiqué mettant en garde contre la tentation d’instrumentaliser « peurs » et « colère sociale ».


Les pasteurs de l’ICF Padova, eux, voient dans l’immigration « un plan céleste » : « L’une des façons dont Dieu touche de nouveau l’Europe, veut croire Donna, c’est à travers cette vague en provenance des autres continents. Le mouvement d’évangélisation s’est inversé. Après tout, le christianisme a commencé par une migration. »