2010: la suite - Le retour des démons

L’Empire - mondialisation-colonisation



On se souviendra de l'année 2009 sur la scène économique comme celle des extrêmes. Après un début déprimant marqué par la plus importante débâcle financière depuis la Grande Dépression, on a fermé les livres sur une note d'optimisme teintée par l'un des rebonds boursiers les plus spectaculaires de l'histoire contemporaine. Il n'en fallait pas plus pour ressusciter les vieux démons du laisser-faire, ceux-là mêmes à qui on doit cette crise.
Dans un discours prononcé dimanche devant l'American Economic Association (AEA), le président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, a rejeté pour la énième fois les accusations d'une partie de la droite américaine selon lesquelles la politique monétaire du début de la décennie est à l'origine de la crise financière.
Selon cette thèse, reprise abondamment par les défenseurs canadiens du laisser-faire et de la déréglementation des marchés, les banques américaines ne seraient pas responsables de la bulle immobilière qui a éclaté l'an dernier. Ce sont plutôt le gouvernement et la Réserve fédérale américaine qui doivent être montrés du doigt, à cause des taux d'intérêt trop bas décrétés dans la foulée de la crise des titres technologiques, entre 2000 et 2008. En d'autres mots, si la Réserve fédérale s'était contentée de combattre l'inflation sans se soucier de la croissance et de l'emploi au moment de la récession de 2001, il n'y aurait pas eu de bulle immobilière ni de crise financière.
Lors de son exposé devant l'AEA, le président Bernanke a rappelé que le prix des maisons avait commencé à grimper bien avant la période des bas taux d'intérêt et que le mouvement s'est poursuivi malgré la hausse des taux survenue entre 2004 et 2006.
L'erreur, il faut plutôt la chercher du côté de la réglementation insuffisante des établissements financiers, qui ont ainsi pu inventer les subprimes; réglementation défaillante aussi en matière de réserves de capitaux exigées de ces établissements, qui ont prêté beaucoup plus que leur capacité, ce qui a forcé le gouvernement américain à venir à leur rescousse pour éviter qu'ils n'entraînent l'économie mondiale dans leur chute.
Aujourd'hui, les mêmes hauts dirigeants qui ont causé cette crise se comportent comme si rien ne s'était passé, s'allouant des bonis records tout en finançant l'important lobby des opposants à un resserrement de la réglementation, qui risquerait «de tuer le risque et la créativité»!
Les banquiers ne sont pas les seuls à nier le rôle positif et indispensable d'une réglementation adéquate des marchés. Poussés par les lobbies anti-intervention de l'État, les élus conservateurs au Congrès, démocrates et républicains, contestent aussi fortement la pertinence d'une réglementation plus serrée et proposent même de restreindre les pouvoirs de la Réserve fédérale, qui est pourtant une des rares instances indépendantes de l'immense machine politique américaine.
Au Canada, des forces semblables s'opposent au resserrement de la réglementation. Pourtant, si la crise a été moins dure ici, c'est précisément grâce à l'obligation qu'ont les banques de maintenir un niveau de réserves élevé, grâce aussi au nombre moins grand de produits financiers exotiques en circulation.
Maintenant que la tempête semble s'être calmée, que l'industrie financière mais aussi celle de l'automobile ont obtenu tout ce qu'elles voulaient des gouvernements sans faire trop de concessions en échange, voilà que les militants de l'État minimal reprennent le micro pour critiquer l'État-providence, défendre les baisses d'impôt pour les sociétés et les mieux nantis, exiger des allégements réglementaires et rêver tout haut de l'avènement du «consommateur-payeur», concept peu subtil repris du principe du pollueur-payeur des écologistes.
Après une année 2009 au cours de laquelle la droite en Occident a dû se taire devant l'échec évident du laisser-faire, voilà qu'elle revient en force avec pour priorité l'élimination rapide des déficits publics. On a fait comprendre au bon peuple que ses impôts devaient servir à sauver ceux-là mêmes qui ont causé la crise; il faut maintenant lui faire accepter de leur donner toute la latitude nécessaire pour se refaire une richesse... et celle de leurs actionnaires. N'est-il pas ironique que les mêmes citoyens à qui on a demandé de se sacrifier pour l'économie soient appelés à se serrer la ceinture pendant dix autres années pour leurs gouvernements? Et s'ils répondaient simplement «Non, merci!»?


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->