WHAT?

Tribune libre


Il y a longtemps que j'aurais voulu écrire à vigile depuis ma retraite éloignée dans le grand nord Québécois. Les sujets ne manquent pas. Dans mon cas, c'est de trouver quelqu'un pour en discuter dans ma langue qui pose problème...
Il y a de ça quelques années, comme bien des Québécois, j'avais l'impression que si, parfois, je ne me sentais pas chez moi à Montréal, je pouvais toujours me réfugier en région pour entendre et parler en français au travail, au dépanneur, à l'épicerie, au bar, à la poste. Mais malheureusement, cette belle illusion s'est rapidement estompée à mesure que mon travail et mes intérêts m'ont poussé à parcourir ma terre natale que j'espère toujours appeler « un pays » d'ici quelques années. Au sud, les cantons, la beauce : « Sorry sir, do you speak english? » C'est vrai que la plupart d'entre eux descendent des loyalistes et vont faire leurs courses aux USA, c'est plus proche et moins taxé, surtout pour l'essence...
À Blanc-Sablon, on me sert la même réplique mais sans le « Sorry ». Ce sont des Beaudoins, des Joncas, des Dumas... On parle anglais au « coffy shop »... Le marchand général, John, va même porter ses vidanges au Labrador pour éviter de payer ses taxes au Québec. Il milite activement pour l'annexion du village à la province voisine. Bien sûr, on se bat pour garder l'école française où le français s'enseigne comme une langue seconde. Mais le soir, après l'école, c'est en anglais que les jeunes francophones préfèrent se parler. C'est que les anglo, leurs amis, cousins, grands frères, ne parlent pas français, et ils sont la moitié du village. De bonnes gens, recevants, rieurs, avec le cœur gros comme le Caterpillar pond, ( le sommet le plus élevé de la région). Des descendants de français que la négligence et l'indifférence des gens du sud ont laissés à eux même, il y a plus d'un siècle, sans routes et sans bateau l'hiver, à 11 km de Sainte-Barbe, New-foundland. Aussi se sont-ils développés dans l'espace économique Terre-Neuvien tout en prenant la langue qu'on y parle, tout en mariant les femmes qui y vivent. C'est comme ça sur toute la Côte-Nord, de Blanc-Sablon à Tête à la Baleine en passant par Harrington Harbour. Il faut bien manger... Mais la terre des colons est pauvre et gelée de septembre à juin, comme le détroit de Belisle d'ailleurs, ce qui les force à s'approvisionner en patate, en farine et autres biens essentiels, chez le voisin anglophone. Voilà l'histoire d'une assimilation lente qui tire à sa fin.
Encore aujourd'hui, la route ne relie toujours pas Blanc-sablon aux autres villages et au reste du Québec. Le lait qu'on y boit arrive une fois la semaine par bateau ou par avion, et vient de la « Central Dairy » de Terre-Neuve. Écoeuré du « Northern Pen », je me rappelle m'être presque mis à genoux devant un candidat libéral venu de Baie Comeau pour lui piquer son « Devoir ». Heureusement qu'il avait du cœur, et que bien qu'il fut en territoire conquis, il perdit ses élections... Le député de Duplessis, ne s'était d'ailleurs même pas pointé pour défendre son titre, sachant que c'était du temps perdu pour un souverainiste...
Je me suis retrouvé par la suite à la baie James, chez les Cree, où encore une fois, l'entrevue de sélection se passe en anglais. C'est la même chose encore plus au Nord, où les Inuit ont fait longtemps commerce avec la Hudson Bay co et ont fini, avec le temps, à presque oublier leur propre langue au profit de celle de l'occupant colonial. Là encore, il n'y a plus de « sorry I don't speack french », mais bien un silence amusé de celui qui feint de n'avoir rien entendu. Plus de 200 ans d'exploitation anglaise, puis de relation avec le fédéral, qui les a longtemps traités comme des chiens, ont quand même réussi à leur entrer l'anglais bien profond et à les faire dédaigner la langue de cet autre peuple soumis que nous sommes encore aujourd'hui. That's the same thing at Chibougamau-Mistassini, où il n'y a pas si longtemps, les Québécois eux-mêmes recevaient leurs ordres en anglais dans les mines et les moulins comme à Rouyn ou à Amos.
Il suffit de passer par Maniwaki ( le « cartoon » à 25$) sur le chemin qui mène à Gatineau pour constater que l'arrière pays rapproché n'est pas plus français que ne l'était le cul de Jonh A MacDonald. On pourra admirer, bien en vue, les superbes unifoliés qui flottent, souvent seuls, devant les écoles indiennes et les mairies, en plus de ceux que l'on retrouve, en banlieue de Gatineau, sur les terrains des bungalows des fonctionnaires fédéraux qui immatriculent leurs chars en Ontario mais qui s'établissent au Québec parce qu'il y reste encore des hectares à développer à meilleur prix qu'à Ottawa.
À ce stade, je n'ai plus envie de vous parler de quoi que ce soit. Pas même de la Gaspésie où dans l'office de certains motels on peut lire « Breakfast 7h to 10h » sans même la moindre traduction en français. Encore moins de vous parler de mon C#@$* de correcteur Microsoft qui transfère automatiquement mon ordinateur à l'anglais aussitôt que j'ai le malheur, pour les besoins de ce texte, d'écrire « YES, NO, MAY BE, TOASTER »...
De retour à Montréal pour manifester ma sympathie envers le peuple du Liban, j'entends les slogans « down down USA! Down down Israël! » La plupart des pancartes sont en Anglais... Quoi qu'il en soit, je ne peux que me reconnaître dans ces gens qui se sont déracinés et qui assistent, impuissants, à la destruction de leurs terres natales. La souffrance est la plus universelle des langues. Nous sommes bien placés pour la comprendre même si aujourd'hui ( pour paraphraser Falardeau ) notre principal souci est de « checker le PH de nos piscines » Je les envie presque... Au moins, eux, ils ressentent l'oppression dont ils sont victimes. Quant à moi, j'ai l'impression d'être tellement anesthésié que j'ai du mal à savoir si je suis encore en vie. Je ferme la bouche et je pleurs, en silence... VIVE LE LIBAN! VIVE LA PAIX!


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