CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS

Vous avez dit... "c'était déjà écrit" ?

Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier


Il s'est dit, maintes fois, que le rapport des commissaires Bouchard et Taylor était déjà écrit avant même les consultations auprès du grand public. Robert Leroux, dans un texte intitulé "[Les dés étaient pipés->13825]", est l'un de ceux qui en sont convaincus: il suffisait, en effet, de connaître la pensée et les écrits de Gérard Bouchard, dit-il, pour prévoir, avec une facilité déconcertante, la nature des recommandations qui nous seraient présentées.
Vous connaissez la croqueuse de mots, elle veut toujours vérifier ce qu'il en est exactement, et c'est ce qu'elle a fait en relisant le document de consultation (ci-après DC) en le comparant avec le rapport final (version abrégée, ci-après VA).
Première surprise: de ce petit exercice comparatif se dégage la nette impression que le DC a servi de base pour rédiger cette VA, comme si on l'avait tout simplement fait venir à l'écran et qu'on en avait modifié certaines phrases (changer un mot pour un synonyme, ajouter ou enlever une préposition ou une conjonction, refaire un peu la mise en page, et insérer les quelques retouches finalement recommandées, qui nous avaient d'ailleurs déjà été suggérées dans le DC). En effet, plusieurs paragraphes des sections du rapport abrégé sont presque la réplique intégrale de ceux qu'on trouve dans le premier document. C'est tout particulièrement le cas de la section III sur les pratiques d'harmonisation, VA p. 23 à 26 minimum, mais ce n'est évidemment pas la seule concernée.
Incroyable! Je n'en croyais vraiment pas mes yeux! Il est bien vrai que TOUT ÉTAIT DÉJÀ ÉCRIT, me suis-je alors dit. Et quelle extraordinaire découverte, vous ne trouvez pas? La preuve matérielle, et la preuve algébrique, par A + B !!! -- Distingués membres du jury, voici une preuve INCONTESTABLE de ce que nous avançons!
-- Bon, bon... Malgré ces nombreux paragraphes tout à fait incriminants, n'y a-t-il pas, tout de même, du nouveau dans cette version abrégée du rapport? -- Oui: son format, plus petit (5 1/2 par 7 3/4), alors que le document de consultation est un 8 1/2 par 11.... -- Hahaha! Comme dirait Boucar Diouf, on ne rit pas assez quand on parle des raccommodements!! Profitons-en, maintenant que la crise est passée!!
-- Allons, sérieusement, Madame, au niveau du contenu, avez-vous comparé les orientations qui figuraient dans le DC avec celles proposées dans le rapport final, à la suite de la vaste consultation populaire? -- Bien sûr que oui, pensez-vous! -- Et le résultat? -- De simples RETOUCHES, mon bon ami! Comme il en était d'ailleurs question (p.14 et 21) dans le DC! -- Des exemples? -- A la tonne!
Pour le mandat, c'est pratiquement pareil, même au niveau de la rédaction. On nous avait déjà annoncé que le mandat donné par le gouvernement avait été modifié, élargi, et qu'il fallait bien distinguer, soigneusement distinguer, "accommodements raisonnables" et "ajustements concertés", distinction serinée à plaisir, et de long en large, au début de tous les forums de la Commission, et reprise, répétée et martelée tant dans le DC que dans le rapport final. Comme les premiers passent par la voie juridique et que les seconds empruntent la régale voie citoyenne, il était à prévoir, aussi bien dire PAR DÉFINITION, qu'il serait recommandé de favoriser cette dernière pour régler les demandes. -- Chose faite.
Pour la laïcité, même chose, c'est aussi bien dire PAR DÉFINITION qu'il fallait s'attendre au choix d'une laïcité dite "ouverte", les autres formes ou modèles étant qualifiés de laïcité "restrictive", "radicale", "intégrale". Trois horreurs qui étaient éliminées dès le départ, cela va de soi! Dans le rapport, on répondrait tout simplement aux objections des partisans de ces horreurs (le MLQ en tête), comme c'est fait tout au long du chapitre VII de la version intégrale. -- Il fallait bien que la consultation serve à quelque chose, et elle servirait à cela même: entendre les objections, les noter et les contre-argumenter pour les mieux rejeter. -- Chose faite.
En ce qui concerne les demandes d'accommodement comme telles, il était question, au niveau de la crise qu'elles ont provoquée, d'une "médiatisation parfois alarmiste de la situation" (DC p. V). Là-dessus, le rapport retouche en renchérissant: oui, les médias ont bel et bien exagéré et présenté les faits de façon tordue, erronée, inexacte, et la rumeur a fait le reste. Conclusion: ce fut une simple crise des perceptions (ou de perception, ou de la perception), et non une "crise des accommodements". Un peu de sagesse -- surtout politique -- aurait évité la coûteuse Commission elle-même, mais celle-ci a tout de même servi à éclairer le bon peuple, bien mal informé sur la "vraie" réalité, particulièrement celle des immigrants. (Voir l'extrait de la p. 76 du rapport intégral.)
Bref, désinformation, déformation des faits, ignorance, exagérations, préjugés xénophobes, voire racistes, voilà l'explication de cette crise et ce, du DC au rapport final. Le groupe de citoyens d'Outremont, entre autres personnes, peut aller se rhabiller avec son rapport détaillé et illustré! Antisémitisme que cela... comme le sont aussi toutes les interventions ayant parlé de la cachérisation. (Là-dessus, le rapport final n'en démord pas et ne change pas un iota de son idée première, qu'on a entendue, de surcroit, tout au long des travaux de la Commission: parler de ce sujet, c'est de l'antisémitisme. (On trouve la preuve matérielle de ce que je dis là à la page 89 de la VA, de même qu'à la page 233 de la version intégrale.)
-- Voilà qui nous amène à parler de la question des accusations portées contre les Québécois de souche, alias les "Québécois d'origine canadienne française", et de savoir si c'est bien vrai que le rapport les rend responsables de la crise et, donc, les culpabilise. -- Eh bien, même si, à l'occasion, on nous flatte le poil des jambes, dans le rapport (nous formons une société ouverte et accueillante), il reste que la vision globale et essentielle est que ce sont ces Québécois et Québécoises-là qui voient mal et perçoivent mal, qui ne sont pas suffisamment informés, qui sont frileux, hétérophobes, inutilement inquiets... -- Mais comme il y a des pages et des pages à écrire sur ce seul sujet...
-- D'accord, on remet cela à plus tard! -- Et sur la question de l'identité québécoise, quoi de neuf? -- Pratiquement rien par rapport au DC. On y parlait d'une majorité linguistique minoritaire dans un vaste ensemble nord-américain anglophone, perpétuellement inquiète de son héritage (p.4), et c'est resté l'explication de base de la crise des accommodements. (A lire, tout le chapitre 9 du rapport intégral.) De plus, comme dans toutes les "terres d'accueil" d'Occident, il s'agit là de "la réaction de vieilles identités déstabilisées par une diversité ethnoculturelle qui entend désormais se faire entendre" (DC p.5, et rapport intégral p.42 et 129). Alors, pour la vieille identité canadienne française si frileuse, qu'elle se réchauffe auprès de la science des experts de la pluralité ethnique, et des communautés ethniques elles-mêmes, qu'elle semble bien méconnaître presque complètement! Que cette vieille identité canadienne française sache, aussi, qu'elle s'en va vers une nouvelle identité, comme cela s'est déjà passé au Canada où les Canadiens de souche, fondateurs du pays, ne sont plus majoritaires (34% maintenant), et c'est le même sort qui attend le Québec. (Vous n'avez pas voulu procréer? Alors il faut en subir les conséquences, maintenant!) -- Nous voici donc d'abord et avant tout une TERRE D'ACCUEIL sur laquelle toutes les cultures ont droit de cité, en toute égalité, au même titre que les fondateurs de ce Québec, appelés, dans le DC (p.10), les "Québécois d'origine ethnique française (ou canadienne-française)".
***
Parlons, maintenant, de l'esprit dans lequel s'est faite la consultation. Dans l'optique, fort plausible, où les réponses aux questions posées étaient déjà pratiquement écrites ou, à tout le moins, trouvées, ce rapport n'est pas une synthèse des points de vue exprimés, dont on aurait cherché un juste milieu, une sorte d'entre-deux-extrêmes, mais la reprise de la vision de départ qu'avaient les commissaires et, sans doute aussi, la grande majorité de leurs experts. D'ailleurs, le DC nous apprend (note 6, p.4) qu'il y a eu une "pré-consultation" auprès d'experts et de gestionnaires, laquelle a certainement orienté l'officielle et avait déjà établi les conclusions du rapport. Il n'en fallait pas davantage pour que tous les opposants soient rabroués et se fassent donner la leçon pédagogique à l'occasion, pendant les forums et audiences, et que ces derniers aient tout simplement servi à écouter et prendre en note les objections pour y répondre dans le rapport final. Ainsi, le DC aurait très bien pu, avec quelques retouches, évidemment, servir de rapport final dès septembre 2007!
NOTE 1:
Lire, en complément, le texte de [Georges Le Gal,->13975] que j'ai lu après la rédaction de cette chronique. Ses prédictions du 13 décembre 07 se sont avérées tout à fait exactes.
NOTE 2:
Le chapitre 9 du rapport est si important qu'il faudrait que le plus grand nombre de gens le lisent intégralement et le commentent. Je l'ai mis en format html (cliquez sur le lien), facilement copiable en Word et imprimable à moindre coût. J'y reviendrai.
LIENS:
1) Robert Leroux:

http://www.vigile.net/Bouchard-Taylor-les-des-etaient
2) l'extrait de la p. 76 du rapport intégral:

http://www.geocities.com/philovicto/extrait-p76-ri.html
3) Rapport d'un groupe de citoyens d'Outremont:

http://www.accommodements.qc.ca/documentation/memoires/Montreal/lacerte-pierre-malaise-persistant-a-outremont-le-laisser-faire-des-autorites-publiques-montreal%20.pdf
4) l'extrait de la p.89 de la VA:

http://www.geocities.com/philovicto/extrait-p89-va.html
5) note 6, p4 du DC:

http://www.geocities.com/philovicto/note6-p4-dc.html
6) texte de Georges Le Gal:

http://www.vigile.net/Comment-voulez-vous
7) Dans la note 2, le chapitre 9:

http://www.geocities.com/philovicto/rapport-final-ch9.html


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1 commentaire

  • Jean Lapointe Répondre

    22 juin 2008

    Je ne partage évidemment pas le point de vue exprimé dans le chapitre 9 du rapport.
    Que les Québécois se sentent insécures, cela je pense est incontestable. Que ce soit surtout les Québécois d'ascendance canadienne-française qui le ressentent, cela aussi je pense est incontestable. Cela n' a rien d'étonnant il me semble étant donné que ce sont eux qui constituent principalement la société québécoise. Ce sont eux qui l'ont façonnée.
    Mais que cette insécurité soit due au fait qu'ils constituent une minorité au Canada et en Amérique du nord cela je pense n'est pas tout à fait exact.
    Si nous nous sentons insécures (je dis nous parce que j'en fais partie de cette catégorie de Québécois) c'est beaucoup plus je pense parce que nous sommes bien conscients que nous constituons une nation, parce que nous sommes bien conscients que nous sommes maintenus dans un état de tutelle au sein du Canada et parce que nous sommes bien conscients que nous ne disposons pas de tous les pouvoirs dont nous aurions besoin pour nous organiser comme nous aimerions bien pouvoir le faire.
    Nous nous sentons donc menacés dans notre existence parce que nous sommes dominés par des étrangers et parce que nous sommes incapables de prendre toute la place à laquelle nous avons droit dans ce pays et sur ce continent et dans le monde.
    Mais si nous en sommes incapables ce n'est pas parce que nous serions faibles ou parce que nous manquerions de volonté c'est parce que nous manquons de moyens, maintenus que nous sommes dans un état de subordination au sein du Canada. Et pourtant ce n'est pas parce que les éléments les plus conscients et les plus lucides d'entre nous n'ont pas essayé de les obtenir ces moyens.
    Le problème n'est pas uniquement ni surtout un problème psychosociologique comme semblent le penser les auteurs du rapport mais bien plutôt un problème politique.
    En évacuant de leur analyse l'aspect politique du problème je trouve que nos deux "savants" ne peuvent qu'avoir tout faux.
    Monsieur Taylor lui semble se considérer comme un Canadian et il nous regarde de haut. Monsieur Bouchard quant à lui semble se considérer comme un Canadien français et non pas comme un Québécois.Selon toute apparence il n'a pas suivi la majorité de ses compatriotes dans leur évolution vers une identité québécoise. Il ne devrait donc pas être étonné des réactions que son rapport suscite chez beaucoup d'entre eux.