Vous avez bien dit «diversité culturelle»?

Par Noémie Dansereau-Lavoie

17. Actualité archives 2007



La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée par l'Unesco en octobre 2005, est maintenant ratifiée par plus de 30 pays, et son entrée en vigueur officielle est prévue le 18 mars 2007.
On le sait, les gouvernements québécois et canadien, épaulés par la France et les organes de la Francophonie, se veulent les artisans majeurs de ce projet visant à reconnaître la spécificité des biens et services culturels. Or, force est de reconnaître que depuis quelques temps, le terme «diversité culturelle» est invoqué à tout propos, en toutes circonstances. Mais qu'entend-on exactement par là?
Parfois, l'expression est synonyme de diversité de l'offre créatrice (biens et services culturels), alors qu'à d'autres moments, elle englobe une réalité sociale et anthropologique beaucoup plus vaste.
Au Québec, les politiciens et les différents acteurs sociaux ont bien compris l'engouement que suscite ce terme, comme en témoignent les récents discours du gouvernement québécois en ce domaine. D'ailleurs, à cet effet, le 19 décembre dernier, la ministre de la Culture et des Communications, Line Beauchamp, co-signait dans les pages du Devoir, avec la ministre des Relations internationales et ministre de la Francophonie, Monique Gagnon-Tremblay, et le ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, Raymond Bachand, une lettre visant à confirmer l'appui du gouvernement québécois à ce nouveau traité international.
Certes, dans un contexte de libéralisation des marchés internationaux et d'industrialisation croissante du secteur de la culture et des communications, une mobilisation en faveur de la diversité des expressions culturelles nous apparaît essentielle. Ainsi, pour la première fois dans le cadre d'un traité international, on reconnaît que les biens culturels, «parce qu'ils sont porteurs d'identités, de valeurs et de sens, ne doivent pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale». Par conséquent, ils peuvent bénéficier du soutien de l'État, à qui l'on reconnaît le droit d'adopter des politiques culturelles visant à assurer la diversité des expressions sur son territoire.
Un paradoxe majeur
On sait que le Québec a joué un rôle de premier plan dans la création de ce nouvel instrument international. Or, le gouvernement québécois a beau s'afficher comme un ardent défenseur de la diversité culturelle, dans quelle mesure son discours officiel est-il en adéquation avec ses politiques dites culturelles à l'interne? Dans un contexte axé essentiellement sur la concurrence et où domine le culte du divertissement, nous éprouvons un certain scepticisme quant à la réelle volonté de promouvoir une véritable diversité créatrice.
Le paysage culturel actuel parle de lui-même: financement accru de la télévision privée et réduction considérable de l'aide à la télévision publique, laquelle doit faire davantage appel à la publicité (sombrant du coup dans une logique marchande reposant sur la dictature des cotes d'écoute); financement de projets cinématographiques susceptibles d'attirer le plus large public possible. D'ailleurs, le très actuel dossier du financement du cinéma québécois témoigne clairement de l'ambiguïté quant à l'orientation des politiques culturelles nationales dans le milieu cinématographique: la logique commerciale (voire industrielle) côtoie la logique artistique et «identitaire», entraînant très souvent de sérieuses confusions.
On assiste également à une concentration sans précédent du secteur de l'édition et de la presse écrite entre les mains de quelques géants. Au Québec, la récente acquisition par Quebecor de l'entreprise Sogides, le plus important groupe d'édition et de distribution, vient confirmer cette tendance.
Comment expliquer cette nouvelle réalité, propre à notre époque? Selon Florian Sauvageau, professeur au département de communication de l'Université Laval, la situation est assez claire: «Nos politiques culturelles, le plus souvent, sont devenues des politiques industrielles dans le secteur de la culture.» Il fait ainsi remarquer, avec grande justesse, que nous observons à l'heure actuelle l'expression d'un paradoxe majeur dans ce dossier: d'un côté, on craint l'américanisation et l'uniformisation culturelles alors que, de l'autre, on souhaite la participation de nos entreprises nationales au marché global du divertissement.
Dans ce contexte, il nous semble pertinent de rappeler que l'«américanisation», cette tendance que l'on dénonce vigoureusement au sein de plusieurs forums nationaux et internationaux, ne se limite pas seulement à l'importation ou l'influence des contenus culturels américains, c'est aussi, comme le souligne le chercheur québécois Dave Atkinson, l'adoption d'un mode d'organisation et de gestion des industries de la culture et des communications dans leur ensemble. En d'autres mots, c'est la commercialisation de la sphère culturelle.
L'omniprésence de la logique marchande
Cette prédominance des enjeux économiques de la culture suscite une profonde réflexion quant à l'idée même de notre rapport à la réalité: tout semble ramené à la dimension marchande. Comment expliquer que le terme «industries culturelles» soit maintenant utilisé de façon si courante et qu'il fasse l'objet d'un consensus dans les discours politiques et médiatiques, sans que l'on s'interroge sur sa véritable implication? Alors qu'au départ, l'expression était, ironiquement, associée à la fin de la culture, elle semble aujourd'hui glorifiée par les différents acteurs sociaux afin d'illustrer le dynamisme et la vitalité de celle-ci.
La valorisation excessive des «industries de la culture» et la façon dont nous les façonnons depuis quelques années témoignent, d'une certaine façon, d'un effritement de sens au sein de la culture contemporaine, et de la société en général.
Ainsi, lorsque nous réalisons que les principales mesures visant à assurer le plein épanouissement de la «diversité culturelle» reposent essentiellement sur le développement des entreprises culturelles, nous croyons qu'une sérieuse réflexion sur les conséquences d'une industrialisation massive du secteur culturel s'impose. Si nous reconnaissons l'importance des entreprises culturelles quant à la vitalité et au dynamisme de notre paysage culturel, c'est plutôt la prédominance de ces dernières dans la stratégie d'intervention en matière d'action culturelle du gouvernement qui nous préoccupe.
La dimension humaine et sociale de notre présence dans le monde se trouve de plus en plus évincée derrière les lois du marché. Cette situation soulève un enjeu politique fondamental, à savoir la remise en question de notre capacité à être présents et à réfléchir sur notre situation. D'où la nécessité de revisiter notre conception du développement culturel, de façon à pouvoir offrir aux citoyens les outils pour qu'ils développent et exercent leur esprit critique et leur droit de parole.
À titre d'exemple, un véritable système de radiodiffusion public, indépendant des forces du marché et de l'État, nous apparaît fondamental. Or, l'an dernier, le ministère de la Culture et des Communications du Québec annonçait d'importantes coupures à Télé-Québec, qui a dû se départir du tiers de ses employés et reléguer une importante partie de sa production au secteur privé. Du côté d'Ottawa, le gouvernement conservateur annonçait, en avril dernier, qu'il entendait mettre sur pied un nouveau comité pour revoir le rôle et le mandat de Radio-Canada.
Dans ce contexte, nous croyons qu'il y a lieu de s'interroger sur le façonnement de notre paysage culturel et sur son orientation. L'entrée en vigueur de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, en mars prochain, représente à nos yeux une occasion privilégiée de relancer le débat. Non pas tant sur la question de la diversité culturelle, au sens où elle est présentée jusqu'à maintenant, c'est-à-dire en tant que discours autoréférentiel circulant en boucle au sein des différentes tribunes nationales et internationales, mais plutôt sur la nécessaire remise en question des bases sur lesquelles repose notre conception de la culture, et par conséquent, celle du développement culturel.
Mais pour que s'instaurent de véritables structures qui permettent à la fois la participation des citoyennes et des citoyens à la vie culturelle de leur collectivité de même que l'épanouissement de la créativité, encore faut-il reconnaître le caractère essentiel de la culture, au lieu de sombrer dans la logique marchande et la tyrannie du résultat immédiat.
Noémie Dansereau-Lavoie : Maîtrise en communication, Université du Québec à Montréal


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