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Vers une économie agricole isolée du monde

17. Actualité archives 2007


Pour la première fois depuis fort longtemps, le gouvernement canadien, actuellement conservateur et minoritaire, s'acharne contre le statut actuel de la Commission canadienne du blé (CCB). Au mois d'octobre, le gouvernement fédéral a publié un rapport du Groupe de travail sur la mise en oeuvre d'un régime de commercialisation mixte pour l'orge et le blé de l'Ouest. Depuis 70 ans, la CCB est le comptoir unique de vente des céréales (blé et orge) au Canada, et les agriculteurs qui veulent exporter leur grain doivent passer par la CCB.
À défaut de se conformer à cette règle, les producteurs risquent la prison. Le Groupe de travail recommande un processus pour assurer la transition d'une CCB monopolistique à un régime de commercialisation mixte pour les producteurs de blé et d'orge de l'Ouest canadien. Un plébiscite sur le mode de commercialisation de l'orge aura lieu au début de la nouvelle année. Bien que ces initiatives n'affectent principalement que les producteurs de l'Ouest à brève échéance, les répercussions d'une telle politique peuvent possiblement peser sur l'ensemble de nos méthodes de commercialisation de produits agroalimentaires au Canada. Y compris, bien sûr, le système de la gestion de l'offre, tant et si bien soutenu par les producteurs québécois et ontariens.
La gestion de l'offre est le mécanisme par lequel les producteurs de lait, de volaille et d'oeufs du Canada ajustent leur production afin de répondre aux besoins des consommateurs d'ici. Ce mécanisme est principalement destiné à contrebalancer la demande et la production intérieure des produits assujettis. La grande majorité des producteurs qui se rattachent à cette doctrine se situe au Québec et en Ontario. Ainsi, puisque ces deux provinces ne représentent guère des châteaux forts pour le gouvernement minoritaire actuel, ce dernier mise en effet sur l'Ouest pour introduire un débat idéologique fondamental sur l'avenir de l'agriculture au Canada. Puisque nous traversons une des révolutions agroalimentaires les plus sérieuses de l'histoire, ce débat est nécessaire pour plusieurs raisons.
Dans un premier temps, comme c'est souvent le cas dans le domaine agricole, ces engins de mise en marché ont été conçus dans une conjoncture de crise. La Grande Dépression, au début du siècle dernier, a grandement affecté les producteurs de l'Ouest, et le besoin de créer un levier pour le développement des filières agricoles s'est avéré manifeste. Ce fut la même chose pour la mise sur pied des plans conjoints au Québec et ailleurs, quelques décennies plus tard. Depuis lors, l'industrie s'obstine toujours à protéger l'offre au lieu de répondre à une demande de plus en plus fragmentée. Nous nous trouvons au bord d'un bouleversement aussi profond que celui qui donna naissance à l'industrie moderne, et l'industrie agricole canadienne peine à s'y préparer. Ce bouleversement concernera l'environnement, la génétique, les méthodes de production et, avant tout, l'information. Seule la mise en place de canaux de distribution internationaux permettra à l'industrie agricole d'accéder à de l'information stratégique indispensable et de rivaliser avec d'autres économies. Sans quoi, l'incapacité de prévoir les tendances et d'agir opportunément coûtera cher. Le Brésil, l'Australie, l'Ukraine, la Chine, l'Inde et d'autres pays émergents ont déjà une avance considérable à ce chapitre. Comparativement au Canada, ces pays jouissent d'une économie agricole compétitive et ouverte à d'autres marchés.
Dans un deuxième temps, les mécanismes de mise en marché agricole comme le système de la gestion de l'offre et la CCB sont pourfendus par plusieurs pays dans le monde. Même si le Canada a remporté une large part de ses litiges en vertu des accords de libre-échange, il n'a carrément plus aucun allié sur la scène internationale. La communauté mondiale perçoit souvent ces agences comme des systèmes gouvernementaux interventionnistes qui altèrent les forces naturelles du marché. Au cours des dernières années, plusieurs pays ont éliminé leurs plans conjoints afin de favoriser le commerce international. Malheureusement, le Canada n'est toujours pas rendu là.
Bref, pour survivre, un gouvernement minoritaire doit faire certains compromis. L'Ouest constitue, pour l'instant, le premier champ de bataille agricole pour le gouvernement actuel. L'Est sera vraisemblablement le prochain, quoique ce deuxième combat éventuel s'annonce plus ardu que le premier, si on en juge les enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels liés aux industries avicoles et laitières. Tôt ou tard, même les institutions politiques les plus protectionnistes se rendront à l'évidence qu'un pays qui se contente de défendre les industries d'hier devra à long terme céder la place à celles qui contribuent à concevoir les activités de demain.
Si le commerce international détermine la vitesse phénoménale du virage agroalimentaire, ce sont nos visions, nos valeurs et nos actes qui décideront de son dénouement. Bref, le pouvoir de choisir devrait appartenir aux agriculteurs et aux consommateurs et non à des agences de mise en marché obsolètes. Hélas, pour l'instant, aucun choix n'est offert à quiconque, et la position canadienne sur les marchés mondiaux est de plus en plus marginalisée. Si nous ne changeons pas de direction, nous risquons d'arriver exactement où nous allons: vers une économie agricole isolée du monde.
Robert D. Tamilia, Professeur de marketing au département des stratégies d'affaires de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM
Sylvain Charlebois, Professeur adjoint de marketing à la faculté d'administration des affaires de l'Université de Regina


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