Urgence plus que technique

Crise mondiale — crise financière


«Compte tenu du climat incertain de l'économie mondiale, le moment est venu de passer à l'action.» C'est par ces mots que commence l'Énoncé économique. Pas celui de demain, mais de l'an dernier. Il n'y avait pas crise, mais de fortes possibilités d'élections précipitées. Il n'était donc pas question, pour l'occasion, de se limiter à revoir le bilan économique et financier du Canada, comme on nous le promet pour demain. Le gouvernement Harper sentait la nécessité d'agir, et vite. Au total, 60 milliards en allégements fiscaux sur six ans étaient annoncés, certains rétroactifs.
Maintenant que la crise est à nos portes, on hésite et tergiverse. On répète avoir prévenu les coups en 2007 et on réaffirme qu'il faut faire preuve de prudence avant d'en faire davantage. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, insiste depuis une semaine sur le fait qu'il faudra attendre le prochain budget pour savoir ce que le gouvernement Harper a vraiment en tête.
On sait depuis la conférence des premiers ministres qu'il veut accélérer les investissements dans les infrastructures, mais ce genre de mesure prend un certain temps avant d'avoir de l'effet, d'autant qu'il faut s'entendre avec les provinces, sélectionner les projets, lancer les appels d'offres et ainsi de suite.
On sait aussi que les conservateurs invoquent la crise pour limiter autant que possible leurs dépenses. Dans sa réponse au discours du Trône, le premier ministre Stephen Harper a fait une longue énumération des mesures envisagées à ce chapitre. Cela va de la limitation de la rémunération des fonctionnaires, confirmée avec la conclusion d'une entente cette semaine avec le principal syndicat de fonctionnaires, au plafonnement des paiements de péréquation, ce qui a déjà été annoncé aux provinces.
Pour le reste, il a insisté, comme en campagne électorale, sur ce que son gouvernement a déjà fait, mais n'a pas donné de détails sur ce qu'il fera en plus. C'est pourtant ce que l'on veut connaître, en détail et rapidement. Dans l'Énoncé économique de l'an dernier, on affirmait que les «facteurs d'incertitude à l'échelle mondiale [faisaient] ressortir l'importance de mettre en place des mesures pour atténuer les risques pesant sur l'économie». On aurait cru que cela aurait été encore plus vrai cette année. On comprend d'autant moins le désir du ministre d'attendre la présentation du budget dans trois mois.
Alors que les autres pays s'activent à présenter des plans d'aide d'urgence et que le NPD et le Bloc québécois multiplient les suggestions, Ottawa attend. Le chef néodémocrate, Jack Layton, en conclut que les conservateurs ne savent pas quoi faire, contrairement à leurs prétentions en campagne électorale. Le chef bloquiste, Gilles Duceppe, soupçonne plutôt un blocage idéologique qui mène les conservateurs, traditionnellement contre un État interventionniste, à vouloir gagner du temps.
Peu importe la raison, une chose est sûre. Ça traîne aux yeux des Canadiens inquiets, qu'il s'agisse des petits entrepreneurs, des retraités ou des travailleurs. Pour tenter de calmer le jeu, le gouvernement a laissé filtrer qu'il annoncerait demain des compressions dans certains avantages financiers offerts aux éternels mal-aimés que sont les hauts fonctionnaires et les députés. Des grenailles au regard du défi économique actuel, qui ne font rien pour alléger l'inquiétude ambiante, mais qui ont l'avantage de satisfaire une certaine fibre populiste. On s'éloigne toutefois du coeur du problème.
Technique ou pas, une récession est une récession et ce n'est pas en tentant d'en atténuer la gravité par un détour sémantique que le ministre Flaherty y changera quelque chose. D'ailleurs, n'est-ce pas son patron qui disait au Pérou, en fin de semaine, que «le monde entre dans une période économique qui ne ressemble à rien de connu, mais qui est potentiellement aussi dangereuse que tout ce qu'on a connu depuis 1929»?
À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle, s'attendrait-on, mais elle ne vient pas, et ce, malgré des signaux d'alarme qui se succèdent. Hier, c'était au tour de l'OCDE de prédire une récession imminente au Canada et une aggravation de sa situation économique au cours des mois à venir. Une économiste du Conference Board prédisait de son côté que l'industrie automobile canadienne perdrait 15 000 emplois d'ici à la fin de 2009, une perte attribuable à la chute des ventes de voitures aux États-Unis. La coalition Banques alimentaires Canada révélait que, depuis 2002, le nombre de familles de salariés ayant besoin de leurs services avait augmenté de 11 %.
Le gouvernement, lui, invite tout le monde à la patience. De quoi se demander s'il a un plan cohérent pour faire face à la crise.
En fait, le gouvernement Harper semble souffrir d'une certaine paralysie depuis les élections, comme s'il était pris au dépourvu. Après avoir accusé les libéraux de ne pas avoir de plan économique au-delà des 30 jours suivant le scrutin, les conservateurs envisagent d'en prendre environ 120 pour dévoiler le leur.
Alors que Stephen Harper avait déclenché les élections pour mettre fin, disait-il, au dysfonctionnement du Parlement qui empêchait l'adoption de projets de loi cruciaux, aucun de ses ministres n'a même donné avis du dépôt imminent d'un projet de loi aux Communes.
En 2006, les conservateurs, qui n'avaient pas été au pouvoir depuis 1993, n'ont pris que sept jours pour présenter leur imposant projet de loi sur la responsabilisation. L'an dernier, pourtant, le ministre de la Justice n'a attendu que deux jours après le discours du Trône pour présenter son projet de loi omnibus en matière de justice et confirmer que ce dernier ferait l'objet d'un vote de confiance. «Nous avons assez parlé, il est maintenant grand temps de passer à l'action», avait dit M. Harper pour justifier cet empressement.
On aimerait que le même sentiment d'urgence l'anime aujourd'hui et lui inspire rapidement beaucoup d'imagination. Le temps presse, que ça lui plaise ou non.


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