Péréquation

La modération a meilleur goût

Élection Québec - 8 décembre 2008



La ministre québécoise des Finances, Monique Jérôme-Forget, a dû pousser un soupir de soulagement en prenant connaissance des derniers changements apportés à la formule de péréquation par le gouvernement fédéral. Malgré les quelques dizaines de millions en moins que prévu pour le Québec, elle a quitté Toronto lundi en sachant qu'elle aurait quand même davantage en 2009-10 qu'en 2008-09.
Le fait qu'aucune province bénéficiaire du programme fédéral n'ait vraiment protesté est révélateur. C'est qu'il en allait de la survie du programme et peut-être de celle d'autres transferts fédéraux dont elles ont bien besoin.
La formule de calcul a pourtant été changée, il y a seulement 18 mois, pour tenir compte, entre autres choses, d'une partie des revenus en provenance des ressources naturelles non renouvelables, comme le pétrole et le gaz. À l'époque, tous les experts s'entendaient pour dire que cette nouvelle formule ne tiendrait pas la route si les revenus en provenance des ressources naturelles s'emballaient. Or, c'est ce qui s'est produit.
La péréquation, un programme entièrement financé par Ottawa, vise à permettre aux provinces d'offrir à leurs citoyens des services de qualité à peu près équivalente sans pour autant alourdir indûment leur fardeau fiscal. Pour déterminer quelles provinces en ont besoin et le montant auquel elles ont droit, le fédéral calcule chaque année la capacité fiscale par habitant des provinces, c'est-à-dire leur capacité de collecter des taxes et impôts, qu'elles prennent avantage ou non de cette capacité. L'Alberta, par exemple, n'a pas de taxe de vente.
Ottawa établit la capacité fiscale moyenne et offre aux provinces se situant sous cette moyenne une somme par habitant qui comble en partie la différence. L'ampleur de l'écart entre les provinces a un impact direct sur la facture fédérale et, depuis plus d'un an, les redevances récoltées par les provinces productrices de pétrole et de gaz ont explosé. Leur capacité fiscale a gonflé au même rythme, permettant à la Colombie-Britannique, à la Saskatchewan et même à Terre-Neuve de rejoindre l'Alberta au rang des provinces n'ayant pas besoin de péréquation.
L'écart entre leur capacité fiscale et celles des autres provinces s'est creusé au point de reléguer l'Ontario dans le club des provinces bénéficiaires. Pour la première fois de son histoire, le moteur historique de l'économie canadienne recevra de la péréquation: 27 $ par habitant en 2009-10 ou 347 millions au total. (Le Québec, par comparaison, recevra 8,3 milliards ou 1073 $ par habitant.)
Pour Ottawa, ce fossé entre les provinces productrices de pétrole et de gaz et les autres risquait de se traduire par une facture inabordable en ces temps économiques difficiles, d'où les changements apportés à la formule de calcul. À l'avenir, le montant total ne pourra croître plus rapidement que la croissance économique moyenne sur trois ans.
L'inclusion partielle des revenus du secteur énergétique dans le calcul des paiements de péréquation ne pouvait que conduire à une explosion des transferts. C'était prévisible, au dire d'un des plus grands experts dans le domaine, l'économiste Thomas Courchene, professeur à l'Université Queen's et chercheur à l'Institut de recherche en politiques publiques. Il n'est donc pas surpris de voir le gouvernement fédéral modifier la formule.
Sans cette correction, c'est la capacité du fédéral d'assumer ses autres responsabilités et de financer d'autres transferts aux provinces qui aurait pu être compromise. Les bénéficiaires de la péréquation n'ont donc pas intérêt à ce qu'Ottawa continue à bride abattue parce que, si les finances fédérales dérapent, ce sont elles qui risquent de payer la facture, comme en 1995 quant le fédéral a mis la hache dans les transferts.
La retenue est d'autant plus de mise que la situation ne semble pas près de changer, le problème étant non seulement ponctuel, mais structurel. Le fait que notre voisine reçoive de la péréquation témoigne en effet de l'existence d'une économie canadienne à deux vitesses, la première basée sur l'exploitation des ressources et la seconde, sur le secteur manufacturier. Et avec l'explosion du prix de l'énergie, «il était presque inévitable que l'Ontario, avec son secteur manufacturier en grande difficulté, se retrouve parmi les provinces bénéficiaires. C'était mathématique», explique Thomas Courchene.
L'annonce de l'arrivée de l'Ontario dans le club des provinces bénéficiaires a blessé son orgueil, car on qualifie généralement les bénéficiaires de la péréquation de «provinces pauvres». La péréquation n'est pourtant pas le reflet de la richesse des citoyens d'une province - le revenu moyen par habitant en Ontario étant encore un des plus élevés au Canada, mais uniquement de la capacité du gouvernement provincial de collecter des taxes, redevances et autres revenus, et ce, comparativement aux autres provinces, note Al O'Brien, président du groupe de travail fédéral à l'origine de la nouvelle formule. Cette capacité est un indice de la richesse collective d'une province, mais, dans un pays aussi diversifié, cela ne peut que fluctuer, dit-il, notant au passage que toutes les provinces maintenant en auront eu besoin à un moment ou à un autre.
L'Ontario est dans la situation la plus paradoxale. Les contribuables de cette province versent au fédéral des milliards de plus que la province n'en reçoit en transferts de toutes sortes. «Dans les faits, nous nous payons nous-mêmes», disait avec justesse le ministre ontarien des Finances, Dwight Duncan, en commentant lundi le versement de péréquation à sa province.
Aussi, dans le contexte économique actuel, la priorité pour l'Ontario, comme pour le Québec, n'est pas de chipoter sur la formule et les sommes en jeu, mais bien d'obtenir du gouvernement fédéral, lors de la rencontre des premiers ministres de lundi prochain, un véritable engagement à venir en aide au secteur manufacturier et à accélérer les investissements dans les infrastructures.


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