COMMISSION CHARBONNEAU

Une « taxe » obligatoire au bénéfice des partis

Un ex-ingénieur établit le lien entre les dons des entreprises et l’obtention de contrats publics

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L'esprit de la mafia nous habite

Les dons des entreprises sont à la politique ce que le pizzo est à la mafia : une taxe obligatoire pour entrer dans les bonnes grâces du pouvoir.

« Si on était dans les années 50, je vous dirais que c’était la dîme. Si on était dans un milieu plus mafieux, je vous dirais que c’était le pizzo. Là, je vous dirais une taxe, un droit d’entrée pour le réseautage auprès du gouvernement », a dit un ex-ingénieur de BPR et de Roche jeudi à la commission Charbonneau.

L’homme, qui a trempé dans le financement politique pendant près d’un quart de siècle, témoigne derrière un paravent pour des raisons de santé. Il a été rebaptisé « Jean Gagnon » par la commission.

Il a établi un lien clair et net entre le financement par les firmes de génie-conseil Roche et BPR (qui dominent le marché des contrats municipaux dans l’est du Québec) et l’obtention d’informations privilégiées dans les cabinets ministériels, pour faire avancer les projets de leurs clients.

Le témoin ne fait aucune distinction entre le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ). Les deux principales formations politiques sollicitaient toutes deux les dons des entreprises. L’Action démocratique du Québec (ADQ) n’est pas en reste. En 1997, le chef Mario Dumont et l’un des fondateurs du parti, Éric Montigny, ont approché « Jean Gagnon » au restaurant Louis-Hébert, à Québec.

Selon le témoin, ils « sollicitent clairement » BPR pour du financement corporatif. Le président de la firme, Paul Lafleur, refuse d’aider l’ADQ, estimant qu’il s’agit du parti « d’un seul homme ».

Vers 2002, devant la montée de l’ADQ dans les sondages, M. Lafleur se ravise. « On a pris la décision de donner 100 000 $ à l’ADQ », a dit M. « Gagnon ». Selon les données officielles du Directeur général des élections du Québec, les employés de BPR et leurs proches ont donné près de 153 000 $ à l’ADQ de 2002 à 2010, dont la moitié de la somme pour les années 2002 et 2003. De 1998 à 2011, BPR a également versé 620 000 $ au PLQ et 390 000 $ au PQ.

Un cycle sans fin

Les entreprises et les partis politiques étaient engagés dans un cycle sans fin en matière de financement. Les partis sollicitaient les entreprises ; celles-ci donnaient par crainte de représailles. Elles mettaient à profit leurs élans de générosité pour obtenir de l’aide dans les cabinets ministériels ; après avoir obtenu un coup de pouce, les partis les sollicitaient à nouveau l’année suivante. « C’est une vis sans fin », a-t-il dit.

« M. Gagnon » a été impliqué dans le financement libéral lors de la campagne de 1994, orchestrée par Marc-Yvan Côté dans l’est du Québec. Pour faire son travail, on lui remettait des listes à solliciter dans les firmes de génie, et autres cabinets de professionnels. « J’ai des souvenirs très précis que c’est l’entreprise qu’on sollicitait, ce n’était pas les individus. »

« M. Gagnon » a qualifié le parti de « réseau d’affaires » au sein duquel se croisaient les dirigeants des firmes de génie-conseil et des grands cabinets d’avocats, d’architectes, d’urbanistes et de comptables. Ils cherchaient tous des contrats du gouvernement.

« Je ne connais personne en affaires qui va donner ses profits après impôts, après de durs labeurs, pour rien », a-t-il dit.

À ce sujet, le témoin a reproché à son ancien collègue Marc-Yvan Côté d’avoir rendu un témoignage incomplet.

« Il a mis un voile, il a teinté un peu sa réponse », a-t-il dit. À son souvenir, M. Côté pouvait obtenir des informations « extrêmement privilégiées » du ministère des Affaires municipales, grâce à son implication dans le financement de Nathalie Normandeau et ses liens d’amitié avec son chef de cabinet, Bruno Lortie.

Le témoin parle en connaissance de cause. Il a entretenu le même genre de relation avec Jean-Philippe Marois, chef de cabinet de Jean-Marc Fournier aux Affaires municipales. À la suite de l’élection du gouvernement Charest, en avril 2003, il s’est rapproché de M. Marois pour casser l’image de firme péquiste qui collait à BPR.

De fil en aiguille, il a accepté de trouver des prête-noms pour faire des dons de 7000 $ au PLQ lors d’un cocktail du premier ministre. « M. Gagnon » a même payé le billet de Jean-Philippe Marois et d’un autre conseiller politique de M. Fournier, Jean-Philippe Guay, pour assister au cocktail.

À la suite de son passage de BPR à Roche, en 2005, le témoin anonyme a poursuivi ses activités de financement illégal. Il a notamment coordonné les efforts pour que trois entreprises (Kwatroë, Béton provincial et Premier Tech) donnent 5000 $ pour financer un sondage complaisant lors de la campagne du député libéral des Îles-de-la-Madeleine, Germain Chevarie, qui était en difficulté en 2008. L’UPAC a d’ailleurs rencontré le député Chevarie à ce sujet.

Toujours en 2008, le témoin a été impliqué « de près » dans la campagne d’un autre candidat libéral, Georges Mamelonet, qui a reçu 5000 $ d’Inspec-Sol, Premier Tech et Béton provincial. Cette histoire fait aussi l’objet d’une enquête de l’UPAC.

Le témoin mystère a enfin corroboré le témoignage d’Ernest Murray, attaché politique de Pauline Marois et responsable du bureau de la circonscription de Charlevoix. Roche a bel et bien versé 10 000 $ pour la campagne de Mme Marois en 2008.


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