La visite de trois jours que Benjamin Nétanyahou a faite à Washington cette semaine a suscité une crise sans précédent entre le gouvernement américain et le premier ministre israélien. Dans son discours prononcé devant le Congrès mardi, ce dernier a accusé le gouvernement Obama de vouloir conclure d’ici la fin du mois un accord qui laisserait « inévitablement » à l’Iran la possibilité de développer l’arme atomique. Du coup, Barack Obama a accusé M. Nétanyahou de « conjecturer » sur un accord qui n’existe pas encore et de « politiser » les relations entre Israël et les États-Unis. Mais dans cette affaire, tout est politique.
Devant la Chambre et le Sénat américains réunis, Benjamin Nétanyahou a d’emblée déclaré qu’il regrettait « profondément de voir certains considérer [sa] présence au Congrès comme politique alors que ça n’a jamais été [son] intention ».
Mais tant le discours du premier ministre israélien que les réactions à sa visite étaient éminemment politiques. Il s’agissait de politique dans tous les sens du terme : la « grande » politique, celle qui, en l’occurrence, concerne la tentative d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme atomique, et la « petite » politique, celle politicienne dans les contextes israélien et américain.
Dans son allocution, Benjamin Nétanyahou a dit que les ambitions nucléaires de l’Iran constituent « une menace grave » pour « la survie du peuple d’Israël » et pour « la paix du monde entier ». Il a averti que l’Iran n’est pas digne de confiance dans ses négociations avec les États-Unis, la Russie, la Chine, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Il a affirmé que des concessions majeures sont déjà faites à Téhéran, qui « ne feront que garantir que l’Iran aura des armes atomiques ». Notamment, il croit savoir que l’Iran a obtenu le droit de conserver l’essentiel de son infrastructure nucléaire.
Du jamais vu
Ce discours a certes été copieusement applaudi dans l’hémicycle, par la majorité républicaine et par la minorité démocrate. Mais il a aussi provoqué des réactions jamais vues dans l’histoire de l’alliance entre Israël et les États-Unis.
Une cinquantaine d’élus démocrates ont ainsi boycotté l’événement. Nancy Pelosi, tête de file des amis de Barack Obama à la Chambre, était présente, mais a quitté l’hémicycle avant Benjamin Nétanyahou, en signe de protestation, avant de qualifier son discours d’« insulte à l’intelligence des États-Unis ». Contrairement à la tradition qui prévaut quand un dirigeant étranger parle devant le Congrès, le président américain avait ordonné aux membres de son gouvernement de ne pas assister à l’allocution du premier ministre israélien. Barack Obama a aussi refusé de recevoir Benjamin Nétanyahou pendant sa visite.
Les relations personnelles entre Obama et Nétanyahou n’ont jamais été bonnes. Sur le plan politique, leurs relations sont souvent agitées en privé, notamment à propos des colonies juives en Cisjordanie. Après le discours du premier ministre, le président a jugé que celui-ci « n’a rien apporté de nouveau » et « n’a offert aucune solution de rechange » aux négociations avec l’Iran. « Notre approche est le meilleur moyen d’empêcher l’Iran d’obtenir l’arme atomique », a martelé le chef de la Maison-Blanche.
« Ces tensions entre les États-Unis et Israël vont durer, car elles sont structurelles », indique au Devoir Harvey Feigenbaum, professeur de sciences politiques dans la capitale, à l’Université George Washington.
Comme Churchill
C’est à l’invitation du président de la Chambre, le républicain John Boehner, que Benjamin Nétanyahou a pris la parole devant les députés et les sénateurs. Un privilège réservé aux plus proches alliés des États-Unis, comme Israël, un privilège historique aussi pour Benjamin Nétanyahou puisqu’en s’exprimant devant le Congrès pour la troisième fois, il ne partage cet honneur qu’avec Winston Churchill. Conscient du symbole politique associé à l’événement, John Boehner a d’ailleurs offert à son invité un buste du premier ministre britannique.
Dès l’invitation annoncée, la Maison-Blanche a accusé le président de la Chambre de rompre avec le protocole en accueillant le chef du gouvernement israélien sans avoir consulté Barack Obama et de s’ingérer dans la vie politique israélienne en le recevant à deux semaines d’une élection importante pour le premier ministre. John Boehner maintient qu’il a le droit d’inviter des responsables étrangers et de souligner le danger iranien alors que le président Obama cherche à conclure un accord avec l’Iran d’ici le 24 mars.
À bien des égards, la scène de théâtre politique autour du discours de Benjamin Nétanyahou s’inscrit dans la pièce qui se joue entre les républicains et Barack Obama, et plus largement entre le législatif et l’exécutif américains.
Conflit interne
Les républicains, qui jouissent de la majorité à la Chambre et au Sénat depuis janvier grâce à leur victoire aux législatives partielles de novembre, prônent, avec l’appui de certains démocrates, une proposition de loi qui vise à renforcer les sanctions américaines contre l’Iran immédiatement de façon, selon eux, à accroître la pression sur le régime iranien pour l’amener à conclure un « bon accord », c’est-à-dire, pour les partisans de ce texte, un accord qui démantèle complètement le programme nucléaire iranien civil pour empêcher tout programme nucléaire militaire.
Le chef de la Maison-Blanche a promis d’opposer son veto à l’augmentation des sanctions si le texte est adopté. Or Benjamin Nétanyahou soutient l’idée d’un renforcement des sanctions américaines contre l’Iran. Pour Barack Obama, un accord avec l’Iran est une priorité depuis sa première campagne présidentielle en 2008 et reste, en l’absence d’un grand succès international, le trophée historique qu’il espère intégrer au bilan de sa présidence.
Par ailleurs, et depuis vingt ans environ, les parlementaires déplorent que la Chambre et le Sénat soient en passe de devenir des chambres d’enregistrement pour les politiques d’une présidence de plus en plus puissante. Cette plainte, d’abord entendue parmi les républicains libertariens et sur l’aile gauche du Parti démocrate, est reprise par l’appareil républicain depuis l’arrivée de Barack Obama au pouvoir. Avec l’avènement d’une cohabitation entre le président démocrate et un Congrès entièrement dominé par les républicains, John Boehner entend réaffirmer les pouvoirs du législatif, y compris en politique étrangère. D’où l’invitation faite à Benjamin Nétanyahou, qui est en phase politiquement avec les républicains.
Impasse!
Mais dans le contexte de la polarisation extrême du bipartisme américain, ce type de manoeuvre conduit à l’impasse, voire à la crise ouverte comme ce fut le cas cette semaine.
« Les institutions américaines ne peuvent fonctionner que si les deux partis collaborent, souligne Harvey Feigenbaum. Depuis le New Deal, il y a une évolution qui va vers l’accroissement des pouvoirs de l’exécutif, mais cela ne peut fonctionner que si les partis politiques sont moins polarisés qu’aujourd’hui, que si le président peut former des coalitions selon les dossiers. Or le système a changé maintenant parce que la possibilité d’accords entre les partis n’existe pratiquement plus, donc au lieu d’avoir un président qui devient le plus puissant face au législatif, ce qui s’est passé depuis 10-15 ans, surtout sous Obama, c’est une énorme polarisation des partis qui nous condamne à la paralysie. »
Dans le dossier des relations entre les États-Unis et Israël, la polarisation des partis démocrate et républicain s’accompagne de changements importants dans le paysage politique américain au sens large.
L’AIPAC
L’organisation la plus influente du lobby juif américain, le Comité américain d’affaires publiques pour Israël (AIPAC), créé en 1963 dans un esprit bipartisan et fort aujourd’hui de plus de 100 000 membres, a commencé à se rapprocher des républicains dans les années 80 et a perdu de son influence auprès de la Maison-Blanche de Barack Obama. « Au sein de l’AIPAC, il y a eu peu à peu une prise de pouvoir des juifs conservateurs, des républicains et du Likoud, le parti de Nétanyahou », note le professeur Feigenbaum.
Parallèlement, l’opinion publique américaine et la communauté juive en particulier ont elles aussi évolué, mais dans un sens moins favorable à Israël. Si la plupart des Américains restent pro-israéliens, comme pendant la guerre contre le Hamas en juillet, les jeunes le sont moins que leurs aînés. Durant les bombardements sur Gaza, seulement 44 % des Américains de 18 à 29 ans soutenaient Israël, contre 51 % pour l’ensemble de leurs compatriotes et 60 % pour ceux de plus 65 ans.
En outre, de plus en plus de jeunes juifs américains refusent de défendre Israël aveuglément. « La communauté juive vit un changement générationnel aux États-Unis. Les jeunes, au moins ceux de gauche, ne veulent plus être servilement loyaux envers Israël et leur loyauté dépend désormais de la nature du gouvernement en place en Israël », explique Harvey Feigenbaum.
Réduire les tensions
Avant le discours de Benjamin Nétanyahou devant le Congrès, la conseillère de Barack Obama pour la sécurité nationale, Susan Rice, n’a pas hésité à qualifier la visite du chef actuel du gouvernement israélien de « destructrice » pour les relations bilatérales. Depuis, les protagonistes de cette crise ouverte ont essayé de réduire les tensions.
Barack Obama a dépêché deux représentants de haut niveau au congrès annuel de l’AIPAC qui se tenait à Washington en même temps que la visite du premier ministre. L’ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU a réaffirmé la solidité de l’alliance américano-israélienne. « Notre partenariat transcende la politique politicienne et il en sera toujours ainsi », a lancé Samantha Power.
Pour sa part, Benjamin Nétanyahou a assuré les quelque 16 000 congressistes de l’AIPAC que son discours devant le Congrès ne reflétait « aucun manque de respect pour Barack Obama, ni pour la fonction qu’il occupe ». Dans son discours devant le Congrès, il a ensuite déclaré qu’il sera « toujours reconnaissant envers le président Obama pour tout ce qu’il a fait pour Israël ».
Mais les tensions sur le fond demeurent et leur résolution semble devoir reposer sur l’avenir politique des partenaires. « Il semble exclu que Nétanyahou perde les élections du 17 mars en Israël, donc la situation ne pourrait changer qu’avec un nouveau président américain », explique M. Feigenbaum. « Il est difficile d’imaginer que les républicains gagneront les présidentielles de 2016. Chez les démocrates, Hillary Clinton penche un peu plus vers une ligne dure envers l’Iran qu’Obama. En tout cas, le nouveau président américain, quel qu’il soit, aura à coeur de définir sa propre politique étrangère », ajoute le politologue.
BIBI ET BARACK
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