par André Gagnon, Éditorialiste, Magazine Être - Depuis le dépôt du rapport Bouchard-Taylor, une nouvelle notion a été introduite dans le débat sur la laïcité de l’État québécois, la laïcité ouverte. Ce serait une version plus pragmatique, plus tolérante de la laïcité de l’État, qui favoriserait l’intégration des immigrants en établissant une distinction entre la laïcité des institutions et la liberté pour les personnes participant à ces institutions d’exprimer, d’afficher leurs convictions religieuses. Et cela en opposition à une laïcité ‘stricte’, ‘rigide’ à l’image des débats qui ont cours en France par exemple sur le port de signes religieux ostentatoires dans les institutions publiques.
Au Québec, c’est de facto ce qui s’applique à l’heure actuelle et c’est ce que certains veulent ériger en modèle de laïcité. C’est ce que confirmait récemment la Commission des droits de la personne et de la jeunesse en tranchant que les services de la RAMQ n’ont pas à accommoder les minorités religieuses, tout en confirmant qu’une employée de ses services pouvait porter des signes religieux ostentatoires comme le foulard islamique.
C’est le sens aussi du projet de loi 94 déposé par la ministre de la Justice Kathleen Weil qui défendait elle-même en ondes ce concept de ‘laïcité ouverte’, le présentant comme l’approche issue de ‘nos traditions’, de celle de l’Amérique du nord et celle qui serait conforme aux traités internationaux.
Pour ce qui est des traditions, dans un pays comme le Canada, une monarchie constitutionnelle, de droit divin rappelons-le, où la Charte des droits reconnaît la suprématie de Dieu et où les lois font toutes sortes d’exceptions en faveur des religions, la ministre a certainement raison. Cela va dans le sens du statut privilégié accordé aux religions qui leur permet aussi d’exercer diverses discriminations autrement illégales (sur la base du sexe, de l’orientation sexuelle notamment) et même de tenir sur la place publique des discours qui seraient autrement considérés haineux.
On se demande toutefois comment la ministre agencera sa ‘laïcité ouverte’ avec la politique contre l’homophobie qu’elle a présentée en décembre dernier. Compte-t-elle sur ces nouvelles concessions pour convaincre les intégristes religieux de combattre l’homophobie… et leurs propres convictions? Ou l’attitude accommodante s’étendra-t-elle à les exempter d’appliquer la nouvelle politique?
On en a un avant-goût en relisant le texte de la politique déposée le 11 décembre dernier. Alors que le rapport de la Commission des droits de la personne reconnaissait les origines religieuses de l’homophobie au Québec, la nouvelle politique annoncée n’y fait aucune référence, préférant adopter la position de l’autruche.
La laïcité, garantie de la liberté d’expression
C’est précisément pour assurer la liberté d’expression de tous et toutes, sans privilège pour les uns aux détriments des autres, que l’État se doit d’être laïque. Et c’est le sens profond de la laïcité dans une république démocratique où le pouvoir est entre les mains du peuple et non soumis à ‘la suprématie de Dieu’ comme dans les théocraties et monarchies constitutionnelles héritières de ces valeurs autocratiques. Dans un état vraiment laïque, avant de réclamer sa ‘liberté d’expression’ religieuse, tout employé de l’État doit se conformer à ce devoir de laïcité dans l’offre de services… puisque c’est ce pourquoi il est payé et non pour faire du prosélytisme ou exprimer des opinions personnelles sans rapport avec ce travail… ou pire encore qui vont à l’encontre des droits reconnus dans nos lois. Surtout quand ces convictions religieuses, le plus souvent de religions patriarcales, sexistes et homophobes, sont bien connues pour leurs attitudes discriminatoires.
Même le rapport Bouchard-Taylor recommandait d’interdire les signes religieux pour certaines fonctions, pour les juges, policiers, présidents et vice-présidents de l’Assemblée nationale. Mais l’égalité entre les hommes et les femmes ayant maintenant préséance sur la liberté religieuse dans la charte québécoise des droits et libertés, les tenants de la laïcité ouverte se permettent de prétendre qu’il n’y a plus aucun problème avec le port de signes religieux par les employés de l’État.
Ce ‘pluralisme’ où nous sommes dans le placard
Ce thème de la ‘laïcité ouverte’ a été repris par Québec Solidaire et plus récemment par les signataires du Manifeste pour un Québec pluraliste. S’il n’est guère surprenant qu’on n’ait pas pris en compte les problèmes que posent certaines religions à l’exercice de nos droits dans un État qui en est encore à articuler un plan d’action contre l’homophobie, il est plus étonnant de voir des personnalités qui se veulent progressistes, débattre de ces questions en faisant comme si nous n’existions pas et comme si la plupart des intégrismes religieux à l’origine de ces demandes n’étaient pas une menace à nos droits récemment reconnus.
Après nous avoir dit que ‘chacun peut s’intégrer à la société québécoise – c’est-à-dire participer à la vie sociale, politique et économique – en demeurant attaché à des croyances ou à des pratiques qui sont distinctes de celles de la majorité, tant qu’elles ne portent pas atteinte aux droits d’autrui’, les défenseurs de la ‘laïcité ouverte’ signataires du Manifeste pour un Québec pluraliste y vont d’affirmations pour le moins étonnantes du genre ‘ aucun groupe religieux, au Québec, n’est en mesure d’imposer ses normes à l’ensemble de la société’. Ou encore ’Le fait qu’un agent de l’État affiche un signe d’appartenance religieuse ne l’empêche nullement d’appliquer les normes laïques de façon impartiale’.
En lisant ceci, j’ai eu l’impression de ne pas vivre sur la même planète que les signataires. Et je me suis demandé pourquoi nous avions dû mener une longue lutte jusqu’en Cour Suprême pour obtenir le droit au mariage ? Sûrement parce qu’‘ aucun groupe religieux, au Québec, n’est en mesure d’imposer ses normes à l’ensemble de la société’’ !!! Je me suis aussi dit que je devais rêver en pensant que ce sont tantôt les catholiques, les chrétiens évangéliques, les mormons ou les musulmans qui mènent la charge contre nos droits un peu partout dans le monde, y compris ici au Québec et au Canada.
Et je me suis demandé comment des enseignants et enseignantes qui afficheraient leur foi catholique ou musulmane pourraient enseigner de façon crédible le respect de la diversité sexuelle… quand les élèves apprendront dans leurs cours d’éthique et de culture religieuse que ces religions condamnent l’homosexualité et autres éléments de la diversité sexuelle ?
J’aimerais bien que ces brillants intellectuels se mettent dans la peau des jeunes issus des minorités sexuelles dans nos écoles, à un âge où ils découvrent à travers de grands questionnements et tourments, dans l’isolement leur ‘différence’. Ils pourraient peut-être comprendre comment leurs concessions aux intégristes religieux risquent de fragiliser encore plus les minorités sexuelles avec de tels messages ambigus.
Évidemment dans leur long manifeste pour un Québec ‘pluraliste’, il est question de minorités religieuses, ethniques, linguistiques, mais pas de minorités sexuelles. Il est question de sexe, d’ethnie, d’accent, mais pas d’orientation sexuelle. Leur manifeste ‘pluraliste’ nous laisse dans le placard. Il est ainsi plus facile de faire passer les intégrismes religieux pour des idéologies inoffensives.
Alors que les intégristes religieux, ces croisés du patriarcat sexiste et homophobe, sont en guerre partout sur la planète contre nos droits, y compris ici au Québec et au Canada, les partisans de la ‘laïcité ouverte’ préfèrent se fermer les yeux et tenter de nous faire croire que les concessions face à des idéologies qui défendent contre vents et marées la discrimination mèneront à une meilleure intégration. Ils préfèrent jouer à l’autruche et faire des compromis sur la laïcité qui ne peuvent que contribuer à consolider les intégrismes dans notre société. Ne savons-nous pas de notre propre expérience comment l’ambiguïté entre la sphère publique et le religieux, les privilèges accordés aux convictions religieuses nous ont forcés à mener de longues luttes pour faire prévaloir nos droits? Que ce soit pour louer une salle à la CÉCM, pour inviter notre copain au bal des finissants, pour pouvoir nous marier… ou simplement pour pouvoir vivre en paix en banlieue de Montréal.
Et dites-moi, qu’est-ce qui a le plus besoin de protection sur cette planète: la liberté religieuse ou les droits humains des LGBT?
Projet de loi 94
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