Une laïcité mal comprise

Laïcité — débat québécois


Frère Albert Tremblay, f.i.c. - Je réalise que cet lettre d'opinion arrive en retard. Quand on est aveugle, on travaille forcément plus lentement, et jamais seul. À Saguenay, le maire et son conseil municipal sont victimes d'une laïcité mal comprise.
Je ne suis pas un juriste. Simplement un ancien professeur de philosophie, et à ce titre, j'ai gardé la détestable habitude de mettre un sens précis sous les mots. Comme tout le monde, j'en ai plein les oreilles du mot laïcité. Le dictionnaire m'apprend que ce terme couvre tout ce qui n'est pas religieux. Domaine immense qui rejoint, en somme, tout le créé. Une très importante exception cependant: l'être humain échappe à la réduction à la laïcité. Il est foncièrement ouvert à l'au-delà, à ce que Socrate appelait le beau risque de l'immortalité.
Lamartine a bien exprimé cette évidence: «Borné dans sa nature, infini dans ses voeux, l'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.»
Histoire
La laïcité telle qu'on l'entend aujourd'hui entra dans l'histoire moderne avec la Révolution française. On sait quel en fut le prix. Deux siècles plus tard, en 1990, en une circonstance de particulière solennité et face à de nombreux parlementaires et représentants des grandes Églises, Pierre Jox, ministre français des cultes, précisait avec une remarquable sagesse le sens de la loi de la séparation de l'Église et de l'État, votée en 1905. Après 200 ans d'essais et d'erreurs, la laïcité est décrite avec une clarté et une incontestable honnêteté:

«Cette loi ne veut pas mettre les cultes hors-la-loi; elle organise au contraire leur liberté, la non reconnaissance ne signifiant pas ni l'absence de relations et de collaboration entre autorité civile et institutions religieuses, mais délimitation des domaines propres à chacun. Ceci a laissé aux différents cultes de larges possibilités d'action dans la société civile. Le gouvernement tient à ce que les autorités spirituelles et morales que sont les responsables religieux de ce pays fassent entendre leur voix sur les problèmes de notre temps et contribuent au rayonnement de notre pays en maintenant vivante les valeurs qui ont fait la France.»

La lecture de ce texte nous laisse une atmosphère d'appel à la collaboration beaucoup plus que de séparation. La laïcité française reconnaît sa différence; elle affirme ne dépendre d'aucune religion, mais elle en reconnaît l'existence et les valeurs et dit son désir de travailler en harmonie avec les Églises dont elle garantit les libertés. On précise qu'elles ne sont pas hors-la-loi.
Or, on ne retrouve rien de tout cela dans le procès de Saguenay. La religion n'y est pas reconnue: elle y est interdite. La liberté de la religion n'est pas respectée: on lui fait un procès, même si la laïcité n'a aucun pouvoir d'ingérence dans le domaine religieux. C'est sa définition même. La laïcité française reconnaît le rôle des Églises dans le maintien des valeurs: le procès de Saguenay met fin à une tradition aussi vieille que la ville elle-même.
Il y a quelques semaines, la France laïque volait au secours des Coptes catholiques d'Égypte. La laïcité québécoise, elle, supprime cette même liberté de prier dans un édifice public, droit élémentaire et fondamental de toute religion. Ces champions de la laïcité se prétendent les sauveurs de la neutralité. C'est à ce titre que la juge (du Tribunal des droits de la personne) a exigé la suppression de tous les signes religieux dans la salle où elle devait ouvrir le procès. Éloquente illustration du concept de neutralité! Ce n'est plus la non intervention, c'est tout simplement la suppression de la partie gênante.
C'est sans doute au nom de cette même neutralité que le droit de ne pas prier de M. Simoneau écrase le droit de prier de toute une population. Comble de l'iniquité: coupables d'avoir voulu maintenir une sainte tradition, le maire et son conseil devront payer 30 000$ au plaignant responsable de tout ce charabias juridique. C'est cela, le modèle québécois?
Aucun croyant ne devrait voter pour un gouvernement qui entérinerait un tel jugement, qui viole à la fois les chartes canadienne et québécoise et la saine laïcité.
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Frère Albert Tremblay, f.i.c.
Dolbeau-Mistassini


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