Le général de Gaulle, à bord du croiseur Colbert, arrive à l’Anse-au-Foulon.
(Archives Le Soleil)
Martin Pelchat - Des mandarins du gouvernement du Québec ont bataillé en 1967 pour obtenir que le voyage historique du général Charles de Gaulle débute par une escale dans la capitale. Il fallait à leurs yeux éviter de se faire voler la vedette par le fédéral et par Montréal.
L’ambassadeur français au Canada, François Leduc, avait d’ail-leurs déploré, deux mois avant l’arrivée du président, n’avoir « jamais eu autant de difficultés de sa vie à organiser une visite de son chef d’État ». « Quoi que fasse De Gaulle, il y a quelqu’un au Canada qui ne sera pas content», avait-il prédit.
C’est au printemps 1967 que les Français informent le chef québécois du protocole, André Patry, que le croiseur Colbert amenant le président ne fera que passer devant Québec avant de s’arrêter à Montréal. « Si nous acceptons que le général arrive à Montréal, nous perdrons inévitablement la vedette au profit des autorités fédérales, de celles de l’Expo, et, bien entendu, de celles de la Ville de Montréal », écrit M. Patry à son patron, le premier ministre Daniel Johnson. La lettre passionnée de ce pionnier des relations internationales du Québec qu’est M. Patry est aux Archives nationales, où Le Soleil l’a dénichée.
Il y va donc d’un plaidoyer pour convaincre M. Johnson de « forcer les intéressés » à permettre l’arrivée « à Québec d’abord » du général. « Les Canadiens français sont naturellement pessimistes, défaitistes, écrit-il. Lorsque la France, sortie vaincue de la guerre, donna l’exemple de son impuissance et de sa faiblesse, les Canadiens français se sentaient, dans leur inconscient, solidaires d’un destin qui leur échappait et qu’ils identifiaient, au fond d’eux-mêmes, à celui de la France et de son prestige.»
Mais le Québec est en train de se donner un « visage propre et une espérance nouvelle » et cela coïncide avec le retour de la France « au rang de puissance respectée », poursuit le haut fonctionnaire, en soulignant que les Québécois s’attendent à ce que le général arrive dans la Vieille Capitale et non à Montréal comme dans le plan des Français. « L’opinion publique verra là une victoire nouvelle du gouvernement canadien et ce sera un nouveau motif de défaitisme pour les nôtres », juge-t-il.
Le sous-ministre aux Affaires fédérales-provinciales, Claude Morin, intervient lui aussi auprès du premier ministre après un entretien avec l’ambassadeur français, au cours duquel il a fait part au diplomate de la déception du Québec devant ce « compromis à la Paul Martin ». Le père de l’ex-premier ministre canadien était à l’époque secrétaire d’État fédéral aux Affaires extérieures. Selon le sous-ministre, l’arrivée du général à Montréal excluait Québec du protocole d’accueil en vertu d’ententes avec Ottawa.
La peur d’un incident diplomatique !
Dans cette note également archivée, M. Morin rapporte que selon l’ambassadeur, c’était « le seul compromis possible, le général ne voulant pas d’une part arriver à Ottawa, ni d’autre part créer un incident interne dont le monde entier serait témoin »... Le représentant français ajoute que «la solution de l’arrivée à Montréal, de toutes façons, déplaisait souverainement à nos amis d’Ottawa » et que ces derniers, « depuis le début s’opposent à une arrivée aussi bien à Montréal qu’à Québec avant Ottawa à cause de la répercussion politique inévitable d’un tel geste de De Gaulle ».
Les pressions du Québec causent « de gros problèmes à l’ambassadeur », poursuit M. Morin. « Il m’a diplomatiquement laissé entendre que cela met la France dans la situation où elle aura ouvertement à choisir, devant le monde entier, entre le Canada et le Québec, alors que de Gaulle peut implicitement montrer son choix du Québec plutôt que du Canada en arrivant à Montréal, territoire québécois, et en venant immédiatement à Québec ensuite. » L’ambassadeur confiera aussi au sous-ministre n’avoir jamais eu autant de mal à organiser une visite. M. Leduc plaidera aussi que « les perdants dans toute l’affaire sont les fédéraux ».
Les Français ont fini par céder et le 23 juillet 1967, le Colbert s’est arrêté devant l’Anse-aux-Foulons. Quelque 316 notables ont entre autres pu assister à un dîner en présence du président au château Frontenac. Au menu : queue de homard de Gaspé à la Nouvelle-France, caille au nid à la vigneronne et cœur de filet de bœuf Champlain. La facture totale du repas: 17 288 $. Les convives étaient loin de se douter que sa déclaration du lendemain à Montréal allait éclipser l’escale à Québec.
«VIVE LE QUÉBEC LIBRE»
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