Une démocratie mal emmanchée

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)



Reprenons du début, cette histoire va trop vite.
Il y a donc vendredi matin un type qui est chef de l'opposition de la plus grande ville au Québec. Il s'appelle Benoit Labonté. Il est aussi maire de l'arrondissement de Ville-Marie (le centre-ville). Et depuis qu'il a compris n'avoir aucune chance, il s'est résigné à être le lieutenant de la candidate Louise Harel. Ça, c'est vendredi matin.
Lundi, pouf, le type a disparu.
Démissionné de tout, plus candidat à rien, il est en dehors de la ville. Le même qui voulait faire l'Expo 2020? Eh oui.

Pourquoi? Vendredi après-midi, RueFrontenac.com déclare qu'il a reçu une centaine de milliers de dollars de Tony Accurso pour financer sa campagne au leadership de Vision Montréal (avant l'arrivée de Louise). Il nie. Il a eu un seul contact avec cet entrepreneur. Le même jour, Radio-Canada sort une information semblable. Puis TVA affirme qu'il a reçu 25 000$ d'une firme impliquée dans le scandale des compteurs d'eau (pas celle de M. Accurso). Samedi, il nie encore mais démissionne de son poste de chef de l'opposition et lieutenant de Louise Harel. Le samedi soir, TVA affirme que six appels ont été effectués entre les cellulaires de MM. Accurso et Labonté, en janvier et février 2009. Après ça, M. Labonté s'en va. Fini la politique.
Voici donc un homme qui entendait diriger une ville dotée d'un budget de 4 milliards dont la carrière politique vient de prendre fin en deux jours après la diffusion d'informations qu'il nie catégoriquement.
Explications à suivre!
* * *
En politique comme dans un procès, l'accusé a le droit de se taire. Mais on a le droit de se poser des questions.
Si Benoit Labonté a une dette politique envers Tony Accurso, il est bien mal placé pour faire 1) la morale à Gérald Tremblay et 2) son travail de chef de l'opposition quand vient le temps de critiquer le contrat des compteurs d'eau.
Selon la compilation d'André Noël, les sociétés apparentées à M. Accurso ont été celles qui ont récolté le plus de contrats de la Ville entre 2005 et 2009, sans même parler des compteurs d'eau. Il n'y a rien de mal en soi à obtenir beaucoup de contrats, surtout quand on a des firmes aussi considérables que celles de M. Accurso. Mais comment un homme politique lui étant redevable peut-il poser des questions pointues sur le copinage à l'hôtel de ville? Et si quelqu'un s'en va lui dire que Frank Zampino (président du comité exécutif au moment de l'octroi du contrat) est allé sur le bateau de M. Accurso, que va-t-il faire? Il préfère sans doute que ça sorte dans La Presse.
Prenons un exemple hypothétique. Si on informe M. Labonté que deux concurrents dans un appel d'offres, disons sur les compteurs d'eau, sont allés en vacances ensemble au moment critique. Et supposons qu'un, ou les deux concurrents, financent M. Labonté. Posera-t-il les questions qui s'imposent à l'hôtel de ville? On ne le sait pas mais on a comme un doute.
M. Labonté allait-il s'inspirer du modèle administratif Zampino?
* * *
Ce sont les questions légitimes qui surgissent après ces reportages. Et auxquelles Benoit Labonté n'a pas répondu. En fuyant, il nous donne à penser qu'il n'est pas capable d'y répondre.
Tentative d'assassinat politique? Assurément. Les sources en politique comme dans tout le reste sont rarement désintéressées.
Mais Louise Harel fait un mauvais combat en dénonçant le complot politique de ses adversaires, comme elle l'a fait hier soir. Une campagne électorale n'est-elle pas un vaste complot pour prendre le pouvoir en écartant les concurrents? J'imagine fort bien des gens dans l'entourage du maire qui tentent de faire sortir des informations défavorables par tous les moyens, à visage masqué, de face ou de profil. Basse politique? Politique.
Mme Harel semblait pourtant avoir choisi son camp: elle n'a plus confiance en Benoit Labonté. Les intentions des sources sont sans doute intéressantes, mais c'est sur le fond de l'affaire qu'on veut des réponses.
Le fond de l'affaire, ce sont aussi ces indices qui s'accumulent pour nous convaincre que quelques entrepreneurs ont fait main basse sur l'hôtel de ville, de tous bords tous côtés, neutralisant les contre-pouvoirs administratifs et politiques.
Le fond de l'affaire, c'est que le système de financement des partis politiques est moribond parce que contourné systématiquement de toutes sortes de manières.
Le fond de l'affaire, c'est que la démocratie municipale est affaiblie gravement quand quelques personnes-clés censées servir l'intérêt public ont une main attachée dans le dos. Et qu'ils sont surveillés par des adversaires emmanchés de la même manière.


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