Une crise pour rien?

L’Empire - mondialisation-colonisation


Éric Desrosiers - Plus le temps passe et plus on a des raisons de craindre que les promesses de réforme en profondeur des règles de la finance mondiale ne seront pas tenues. Cet échec serait terrible, parce qu'il voudrait dire que cette crise n'a servi à rien, mais aussi à cause de ce qu'il dirait sur notre capacité de faire face aux nombreux autres problèmes qui nous attendent dans les prochaines années.
Ce n'est pas qu'on croyait ceux qui annonçaient «la fin du capitalisme», ni même les autres, qui promettaient sa «refonte», mais quand même. Il était raisonnable de penser que tous ces chefs de gouvernement du G20 étaient sérieux quand ils disaient vouloir apporter des changements importants aux règles et pratiques du secteur financier. D'autant plus que tout le monde semblait tellement d'accord sur l'absolue nécessité d'apporter ces changements. Il était question de renforcer les institutions financières internationales, de resserrer la surveillance et la réglementation des plus gros acteurs dans le secteur, d'étendre son droit de regard aux agences de notation, aux fonds de couverture et aux produits dérivés, de fixer une limite à la rémunération des banquiers, ainsi que de relancer les négociations à l'OMC.
Les progrès au niveau international ont pourtant été modestes jusqu'à présent. La Chine et l'Inde ont enfin été invitées à prendre place à la table des grands au Fonds monétaire international. On a aussi convenu d'augmenter le budget du FMI et de lui donner un plus grand rôle de surveillance des marchés, sans toutefois lui accorder plus de pouvoir coercitif. De nouvelles normes internationales devraient normalement être adoptée pour relever le niveau des réserves de liquidités des banques, mais cela ne devrait pas se concrétiser avant plusieurs années et ne fera souvent que ramener les choses à ce qui était pratique courante il n'y a pas si longtemps.
On avait toutefois compris, depuis quelques mois, qu'en dépit de la forte intégration du secteur financier, il n'était pas question de créer une nouvelle autorité mondiale, mais plutôt de renforcer les lois nationales, et de trouver des mécanismes de coordination entre les pays. Le problème est que les réformes n'avancent pas plus vite au niveau national. Relativement ambitieuses à l'origine, les réformes proposées aux États-Unis rétrécissent au fil des débats politiques. À l'image de ce qui se passe sur la scène internationale, les pays de l'Union européenne n'ont pas voulu, quant à eux, se donner de nouvelle institution commune forte, et peinent, chacun de leur côté, à adopter de nouvelles règles. La Chine, pour sa part, n'affiche aucun désir d'assumer les responsabilités propres au statut de grande puissance et de se passer de sa politique de taux de change fixe.
Bien sûr, de telles réformes sont extrêmement complexes et prennent du temps à se mettre en place. La tâche est d'autant plus délicate que les pays doivent convenir de certaines normes communes, sans quoi les plus exigeants feront nécessairement les frais des politiques des autres. Or, les Américains et les Britanniques sont loin d'avoir la même définition que les Français et les Allemands de ce qu'est un salaire raisonnable pour un patron. «On aurait tort de sous-estimer la détermination des chefs de gouvernement du G20 à redéfinir le secteur des services financiers», assurait cet automne, le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney.
On voudrait bien le croire, mais le temps passe et l'on craint de manquer l'étroite fenêtre d'opportunité ouverte par la crise. Encore aux abois, il y a quelques mois, les banquiers de Wall Street et de la City de Londres ont repris pied grâce aux milliards des pouvoirs publics et ont lancé leur puissante machine de lobbying contre le resserrement de la réglementation. Leurs voix a d'autant plus de poids que la crise qu'ils ont provoquée a forcé les gouvernements à s'endetter jusqu'aux oreilles, les plaçant en position de faiblesse devant les agences de notation et autres pouvoirs de l'argent.
Pelleter par en avant
À l'évidence, les réformes promises ne sont pas seulement confrontées à des difficultés pratiques et des délais normaux. Il manque aussi une certaine volonté politique. «Il n'y a pas que le système financier qui est cassé. Il y a le processus politique américain aussi», soupire l'ancien président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volker, dans le Business Week de cette semaine.
Mais les politiciens américains ne sont pas les seuls à se défiler devant leurs responsabilités à cause des groupes de pression, de la partisanerie ou d'une vision trop étroite et à court terme de la réalité. Les exemples pleuvent même, ici comme ailleurs. La plus récente démonstration en a été le sommet de Copenhague sur les changements climatiques, le mois dernier.
Cette situation, si elle n'a rien de très original, mais elle n'en est pas moins extrêmement inquiétante. La réforme du secteur financier n'est pas le seul problème grave, complexe et de nature mondiale auquel la communauté internationale devra s'attaquer dans les prochaines années. Outre la crise environnementale, il faudra aussi trouver des solutions, entre autres choses, à la crise alimentaire, à la crise énergétique, au choc démographique et à la pauvreté dans le monde.
Les gouvernements seront bien obligés d'apprendre à mieux travailler ensemble et à faire preuve de plus de vision et d'envergure. Ils ne pourront pas toujours compter sur un contexte aussi propice à l'adoption de réformes que la crise que l'on vient de vivre aurait dû l'être pour la mise au pas du secteur financier.


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